Site icon La Revue Internationale

«La répression vise à écarter toute une génération de la politique»

[image:1,l]

Manifestation au Venezuela au mois de février dernier – Photo DR Shutterstock

JOL Press : Cinq mois après le début des manifestations, le mouvement protestataire s’est-il essoufflé ?
 

Eduardo Rios : Le calme est relatif au Venezuela. Des mouvements sociaux perdurent pour dénoncer des pénuries de gaz, des rationnements d’eau, et l’insécurité, mais ils sont moins massifs, car moins « idéologiques » si l’on peut dire.

Les manifestations étudiantes qui se sont déroulées pendant le processus qui a mené à l’incarcération de Leopoldo Lopez et de nombre dirigeants de son parti Voluntad Popular, se sont peu à peu essoufflées, en partie à cause de la répression policière.

JOL Press : L’ONG Human Right Watch (HRW) a publié un rapport dans lequel elle dénonce des violations « systématiques »  des droits de l’homme ? Quelle est l’ampleur de la répression policière et militaire au Venezuela ?  
 

Eduardo Rios : L’Etat a utilisé de façon exceptionnelle une violence à laquelle Hugo Chavez lui-même n’avait pas habitué les Vénézuéliens. Depuis le début du mouvement, entre 2000 et 3000 personnes ont été emprisonnées, une centaine de cas de violations des droits de l’homme ont été enregistrés, et des personnes ont perdu la vie. Maintenant, une question s’impose : cette violence inédite révèle–t-elle d’un phénomène plus profond dans la société ?

Les étudiants ont été emprisonnés, comme s’ils étaient des prisonniers ordinaires. Cela met en évidence un élément intéressant de la politique pénitentiaire du gouvernement de Nicolas Maduro. Il  utilise des instruments répressifs plus ou moins encadrés par la police, qui dérive en torture et autres traitements inhumains comme ceux qui ont été dénoncés dans le rapport de l’ONG Human Right Watch.

La répression ne se limite pas aux emprisonnements, mais agit aussi sur ces personnes actives en politique qui risquent d’être inéligibles : environ 900 personnes engagées dans une carrière politique universitaire risquent sérieusement l’impossibilité de se présenter aux élections. Cette répression vise à écarter toute une génération de la politique.

JOL Press : Quelles sont les avancées du côté de l’opposition ?
 

Eduardo Rios : Du côté de l’opposition, deux évènements très importants se sont produits. Tout d’abord, le débat national sur toutes les chaines de télévisions – la première réunion du dialogue avec le gouvernement – lui a permis de présenter sa vision du pays de façon claire avec une audience à laquelle elle n’était jusque-là pas habituée. C’est un résultat tangible de ces manifestations car cela a permis à l’opposition de se présenter d’une autre manière que ce que montrait le gouvernement.

Autre fait important : lors des élections partielles de deux municipalités où les maires ont été écartés de leurs fonctions par le gouvernement qui les accusait d’avoir provoqué des manifestations, l’opposition a choisi de présenter leurs femmes. L’opposition a gagné ces élections avec plus de participation que lors des dernières élections – un an auparavant –  et avec une abstention des partisans du gouvernement. Ces manifestations ont donc donné des gages électoraux à l’opposition.

JOL Press : Et du côté du gouvernement ?
 

Eduardo Rios : Ceux qui ont joué leurs pions lors de ces manifestations sont ceux qui avaient des positions institutionnelles dans le gouvernement comme le président de la République ou le vice-président. Les radicaux au sein du gouvernement ont quant à eux été écartés des positions de pouvoir économique, depuis le mois de janvier.

JOL Press : Quelles sont les perspectives d’avenir pour les jeunes vénézuéliens aujourd’hui ?
 

Eduardo Rios : C’est un large débat… En politique, les jeunes ont encore une voie. Le système actuel annonce des changements de génération au sein du gouvernement et des partis de l’opposition : le personnel politique va être renouvelé par de jeunes figures, mais pour l’instant la répression les en empêche. Il faut donc qu’ils réinventent la façon même de se mobiliser.

Sur le plan économique, le tableau est plus sombre… Avec une inflation qui s’élève à 61% au mois d’avril, de nombreuses pénuries, la situation est compliquée pour les jeunes vénézuéliens. Les bas salaires, le manque de logements les empêchent d’être indépendants et de mettre de l’argent de côté.

On assiste également à un exil massif des jeunes. A cause de l’insécurité et des perspectives d’avenir réduites, ceux qui ont les moyens sont de plus en plus nombreux à quitter le pays en quête de travail et d’avenir meilleur. Lors des manifestations, beaucoup de jeune scandaient d’ailleurs le slogan « rendez-nous notre futur ». La situation s’annonce encore très compliquée pour les jeunes sur les trois prochaines années.  

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

———————–

Eduardo Rios est Chercheur au Centre de recherche en sciences sociales de l’international (CERI, Sciences Po-CNRS), spécialiste du Venezuela.

Quitter la version mobile