Site icon La Revue Internationale

La Tunisie durcit le ton contre le djihadisme

[image:1,l]
 
Le Premier ministre Mehdi Djomaa a décidé de fermer immédiatement toutes les mosquées qui ne sont pas sous le contrôle des autorités (Photo: Shutterstock.com)
JOL Press : Dans quel contexte s’inscrivent ces mesures sécuritaires ?
 

Vincent Geisser : Ces mesures font suite à la mort de 15 soldats tunisiens, mercredi 16 juillet, lors d’une attaque revendiquée par un groupe islamiste lié à Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). Plus largement, ces décisions s’inscrivent dans un contexte de flambée du terrorisme à la frontière tuniso-algérienne. Les mesures prises par le gouvernement sont à la hauteur de l’événement : c’est le plus lourd bilan enregistré par l’armée depuis l’indépendance en 1956.

De nombreux Tunisiens considèrent ces militaires comme des martyrs. L’armée tunisienne a plutôt une bonne image – c’est suffisamment rare dans le monde arabe pour être souligné. En janvier 2011, l’armée s’était portée «garante de la révolution», permettant d’éviter un bain de sang. Elle est perçue comme l’une des institutions assurant le processus de démocratisation.

JOL Press : Comment a évolué l’islamisme radical depuis la «Révolution de jasmin» et la chute de Ben Ali ? 
 

Vincent Geisser : L’islamisme radical n’est pas apparu en 2011. Ce phénomène existait déjà du temps de Ben Ali. La Tunisie est un petit pays sur le plan démographique (environ 10 millions d’habitants), mais un grand pourvoyeur de djihadistes. Ce qui est nouveau, c’est la volonté farouche des djihadistes salafistes de commettre des actes terroristes et meurtriers à des moments clés de la construction démocratique tunisienne.

La Tunisie est le seul Etat du monde arabe à avoir bien géré sa post-révolution. Il n’y a pas eu de retour de l’autoritarisme comme en Egypte ou d’instabilité politique comme en Libye. Mais à chaque fois que le pays a atteint sa vitesse de croisière démocratique, les terroristes ont frappé. 

JOL Press : Qui sont les djihadistes salafistes qui commettent des attaques en Tunisie ? 
 

Vincent Geisser : Il s’agit majoritairement de jeunes désœuvrés, issus des milieux populaires et venant de l’intérieur du pays. Cela étant, on ne connaît ni leurs buts, ni leurs commanditaires. Les enjeux qui animent les djihadistes tunisiens dépassent largement leur dimension nationale. Selon moi, il est clair que ces groupes répondent aux agendas de grandes puissances régionales qui ont tout intérêt à ce que le processus démocratique tunisien n’aboutisse pas. Pour les Etats autoritaires de la région, qu’il s’agisse de la Syrie ou des pays du Golfe, le modèle tunisien est le modèle à abattre. 

JOL Press : Le gouvernement tunisien a-t-il encore la main dans la lutte contre le terrorisme ? 
 

Vincent Geisser : La lutte contre le terrorisme fait hypocritement consensus dans le monde arabe. Mais la situation de la Tunisie est particulière : contrairement à ses voisins du Golfe, elle doit lutter contre le terrorisme tout en défendant sa démocratie encore adolescente. La Tunisie ne peut pas combattre les groupes djihadistes en portant atteinte aux droits fondamentaux de ses citoyens (en procédant à des arrestations massives par exemple).

On peut restreindre l’espace de liberté au nom de la lutte anti-terroriste, mais pas au point de revenir à un régime autoritaire. C’est le grand défi auquel est confronté la Tunisie.

Quitter la version mobile