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Maroc: un miracle économique à deux vitesses

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20% des jeunes Marocains sont au chômage (Photo: Shutterstock.com)

JOL Press : En 15 ans, comment l’économie marocaine a-t-elle évolué ?

Pierre Vermeren : Sur l’ensemble de la période, il faut souligner une normalisation de l’économie marocaine. Aujourd’hui, le PIB augmente avec plus de régularité et à un niveau plus soutenu. [Selon le FMI, la croissance devrait s’établir à 3,9% cette année et à 4,9% en 2015, ndlr.]

La crise de 2008 a frappé le pays de plein fouet. Le Maroc parvient à maintenir une croissance positive, mais au prix d’un aggravement important de son déficit budgétaire et commercial. L’économie marocaine est très dépendante de l’économie européenne, notamment française et espagnole. Et comme ces pays peinent à se redresser, le Royaume souffre lui aussi.

Dualité économique

JOL Press : Qui profite de la croissance au Maroc ?

Pierre Vermeren : Sur le plan social, les choses ont peu évolué en 15 ans. Les classes rurales restent très pauvres et vivent grâce aux revenus envoyés par les émigrés. Le «miracle économique marocain» concerne surtout Rabat, la capitale, Casablanca et Tanger. L’Etat essaye d’investir dans les villes de province, sans que cela ait de réel impact sur l’activité productive.

La démographie du Maroc est moins forte qu’avant, ce qui est plutôt une bonne chose. Toutefois, la croissance est insuffisante pour pouvoir bénéficier à l’ensemble de la population. La piètre qualité de l’enseignement public ainsi que la faiblesse des retraites et des revenus pour l’immense majorité des habitants demeurent les points noirs de l’économie et de la société.

JOL Press : Le miracle économique marocain est donc à deux vitesses.

Pierre Vermeren : Effectivement. Cette dualité économique est très ancienne – elle remonte à l’époque coloniale – et s’intensifie. Une dynamique s’est créée dans certaines grandes villes – celles déjà citées, mais aussi Marrakech ou Agadir. Cependant, des régions entières, souvent rurales, sont plus qu’à la traîne. Cet état de fait rend la situation économique et sociale très incertaine et tendue. Des émeutes locales éclatent d’ailleurs régulièrement. 

Stabilité politique

JOL Press : Quel est le principal défi à relever pour le Maroc ?

Pierre Vermeren : De toute évidence, il s’agit du développement du système éducatif. Le Maroc a presque réussi à généraliser la scolarisation des enfants au primaire, mais la faiblesse de l’enseignement public ne permet pas aux jeunes Marocains de s’insérer sur le marché du travail. 60% de la population active n’a pas de diplôme et seulement 13% des 18-24 ans accèdent à l’enseignement supérieur. Le chômage touche 20% des jeunes, sans parler des ruraux.

JOL Press : Quel est le sentiment de la population vis-à-vis de Mohammed VI et de la classe dirigeante ?

Pierre Vermeren : Il est difficile de répondre à cette question étant donné que les sondages visant à évaluer la popularité du roi sont interdits. Il n’y a pas de possible liberté d’expression au Maroc sur cette question. Les Marocains sont assez prudents et, apparement, plutôt bienveillants avec Mohammed VI. Ce dernier est un personnage sacré qui reste au-dessus des citoyens.

En revanche, la population est très critique vis-à-vis de la classe dirigeante. Les plus proches conseillers du roi et certains membres de la famille royale ont fait l’objet de sévères reproches en 2011. Les politiques sont accusés d’être corrompus et inefficaces. Depuis les années de plomb (années 1960), il y a toujours le sentiment partagé sur place que les choses pourraient se dégrader. Mais, de fait, le Maroc est toujours le pays le plus stable de la région.

Propos recueillis par Marie Slavicek pour JOL Press

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