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Nicolas Sarkozy: «Le président perdant est un futur vainqueur»

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Nicolas Sarkozy a entamé son retour le soir du 6 mai 2012 (Photo: Shutterstock.com)

Ce soir-là, il est le seul à ne pas craquer. Autour de lui, on pleure. Étrangement, Nicolas Sarkozy, lui, est serein. Ce soir du 6 mai 2012, après avoir fait ses adieux aux Français, il console à tour de bras. «Allez, ne sois pas triste», lance-t-il aux proches qu’il croise, à l’issue de son discours, dans les coulisses de la Mutualité. «Qu’est-ce qui te fait pleurer ? Tu as peur de trop me voir à partir d’aujourd’hui ?» Il plaisante parce qu’il sait que, dès le lendemain, il sera en campagne. Une campagne de cinq ans. Il s’apprête à réaliser ce que personne n’a jamais fait : revenir après une défaite. Séduire à nouveau après le rejet. Nicolas Sarkozy aime les défis autant que la France. Celui-là l’enthousiasme, plus que d’autres. Il confiera à une amie : «Ils ont voulu Hollande, ils vont voir. Ce type est un sucre dans un verre d’eau, il va fondre au contact du réel. Dans un an et demi je serai à nouveau l’homme politique le plus populaire du pays.»

Nicolas Sarkozy n’avait prévu ni les attaques de François Fillon, ni le retour d’Alain Juppé, et encore moins l’appétit des quadras prêts à lui barrer la route. Il ne s’imaginait pas cerné par les juges, trahi par son gourou, Patrick Buisson, vieilli par son clone, Manuel Valls. Il n’avait pas rêvé non plus que son épouse, Carla, devienne son principal soutien.

Extrait de Chronique d’une revanche annoncée, de Christelle Bertrand (Éditions du Moment – 3 juillet 2014).
 

LA STATUE : Arrêtez, Dom Juan, vous m’avez hier donné parole de venir manger avec moi.

DOM JUAN : Oui, où faut-il aller ?

LA STATUE : Donnez-moi la main.

DOM JUAN : La voilà.

LA STATUE : Dom Juan, l’endurcissement au péché traîne une mort funeste, et les grâces du Ciel que l’on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre.

Nicolas Sarkozy pense-t-il parfois à la statue du Commandeur ? Ce colosse de pierre qui revient du monde des morts pour venger sa fille, punir celui qui l’a déshonorée et rétablir l’ordre d’une main de fer ? Cette ombre dont le moindre pas fait trembler les murs.

Sans doute aurait-il aimé, durant cinq ans, incarner la statue du Commandeur de la politique française. Être là sans l’être, flottant au-dessus. Veillant la France, surveillant les traîtres, sans mot dire. Jetant son ombre tutélaire sur la droite orpheline. Il aurait aimé être convoqué en cas de péril. Revenir du monde des morts pour rétablir l’ordre moral. La Statue du commandeur, c’est ainsi que Max Gallo intitula le dernier tome de sa biographie du général de Gaulle. Dommage, le titre est déjà pris. Nicolas Sarkozy ne sera pas celui qu’il aurait rêvé d’être et c’est un peu l’histoire de sa vie. 

Comme tous ceux qui ne s’apprécient pas beaucoup, l’ancien locataire de l’Élysée a toujours voulu être un autre. Jamais heureux dans son costume, parfois trop grand, souvent trop petit. Et c’est ainsi qu’il avance, qu’il vit son ambition.

À Neuilly déjà, alors que le week-end il travaille chez un fleuriste pour gagner un peu d’argent de poche, Nicolas Sarkozy s’imagine ailleurs, fuyant cette vie anonyme qui lui pèse. Moins aisé que les adolescents qu’il fréquente, il choisit la politique parce que c’est le seul domaine accessible quand on ne connaît personne et que l’on est trop impatient pour suivre de longues études. Faute d’argent, le pouvoir. Le débat d’idées, en revanche, n’est pas alors sa préoccupation première. « Je ne me suis pas engagé parce que je serais tombé en arrêt devant les Mémoires d’espoir du général de Gaulle, confie-t-il en 1995. Je me suis engagé parce que j’avais besoin de faire quelque chose de ma vie. […] Je voulais sortir du destin qui m’était tracé, échapper à un milieu défini, ne pas m’occuper de petites choses. » Être un autre. Déjà. Échapper au milieu défini.

[image:2,s]Sans doute s’imagine-t-il encore ailleurs lorsque, ce 7 mai 1995, à 20 heures, il assiste, silencieux, au triomphe de Jacques Chirac. Les gaullistes renouent avec le pouvoir suprême pour la première fois depuis Georges Pompidou ; le peuple de droite est en liesse et il n’est pas invité à la fête. En choisissant de soutenir Édouard Balladur, il s’est trompé. Le Premier ministre a perdu, ses proches sont devenus des parias, des traîtres. Et pour longtemps. Les chiraquiens auront la mémoire longue. Nicolas Sarkozy entame une traversée du désert. Après sa défaite aux élections européennes de 1999, il quitte la présidence du RPR et se replie à Neuilly pour un long, très long hiver. Un hiver qui va durer trois ans. Durant cette retraite, encore une fois il s’imagine sous d’autres cieux. Il se voit, pénétrant dans une vaste cour, Cécilia à son bras. Sous ses pas, les pavés de Matignon. En 2002, Nicolas Sarkozy veut être le Premier ministre de Jacques Chirac. Pour mériter ces galons, il mène campagne, tambour battant. Il se montrera le plus zélé, le plus efficace, faute d’avoir été le plus fidèle. Le 6 mai 2002, Nicolas Sarkozy rêve d’être Jean-Pierre Raffarin…

Jamais là où il faut. Et pourtant, il avance. D’autres que lui auraient calé au milieu du guet. D’autres que lui se seraient satisfait de devenir le premier flic de France, le ministre le plus populaire du gouvernement. Lui non. Faute d’être nommé Premier ministre, il finira par se tailler un costume de Premier ministre bis, piétinant les plates-bandes de Jean-Pierre Raffarin et, plus franchement encore, celles de Dominique de Villepin. C’est cette éternelle insatisfaction qui finalement le propulse à l’Élysée, un dimanche de mai 2007.

Ce soir là encore, il aurait aimé être un autre. Le mari de Cécilia et non ce Président que l’on acclame et qu’elle quitte. « À toi je peux le dire, c’était le jour le plus triste de ma vie », confiera-t-il plus tard à une amie. Lorsqu’il arrive, à 20 h 30, salle Gaveau où l’attendent ses partisans en liesse, il est seul. Certes, tous les présidents le sont. Seuls dans leur tête. Seuls au sommet du pouvoir. Mais cette fois, Nicolas Sarkozy n’a pas son épouse à son bras, lui qui ne sait pas faire trois pas sans lui tenir la main. Cécilia est enfermée chez elle. Ils sont nombreux à lui téléphoner pour la convaincre de sortir. De venir. Elle ne peut pas lui faire ça… Elle finira par le rejoindre, vêtements en vrac, jouant à peine le jeu de la victoire. L’honneur est sauf mais lui souffre, face aux marches qu’il s’apprête à gravir. Rêvant d’un ailleurs, loin de l’Élysée mais avec elle.

Ailleurs… C’est le mot-valise de certains des proches qui ont fait la dernière campagne. « Il était ailleurs »… « Il n’était pas dedans »… « Il savait qu’il allait perdre »… Les expressions diffèrent mais toutes veulent dire la même chose, 2012 n’était pas 2007. Nicolas Sarkozy a entamé la campagne épuisé, déçu par la presse, en colère même de n’avoir pu, durant cinq ans, endiguer les critiques. Il sent qu’il n’est plus aimé. Or l’affect est son moteur. Sa relation à la France, aux Français, est passionnée, quasi charnelle. Ne lancera-t-il pas, le soir du second tour, dans son discours d’adieu cet intriguant « je vous aime », comme on salue son public du haut de la scène de l’Olympia ?

Mais les Français ne l’aiment plus. Alors il est pressé d’être un autre, accueilli dans un monde plus chaleureux. Il multiplie les déclarations sur sa vie d’après. « J’irai faire du fric. » Sans doute y croit-il vraiment tant il souffre du désamour qui lui parvient aux oreilles et au coeur. Le désamour de la France d’en bas, de celle d’en haut. Il est cerné. Blessé. Il veut changer de costume. Businessman de luxe, le petit fleuriste de Neuilly pourrait s’en contenter. Il parle de fonds d’investissement, de voyages autour du monde. Ces projets l’habiteront jusqu’au 6 mai. Jusqu’à cette réunion, à l’Élysée, qui succède à l’annonce des résultats, durant laquelle Alain Juppé, François Fillon ou encore Patrick Buisson, vont découvrir le discours que doit prononcer le Président quelques heures plus tard. Tous lui demandent de retirer le mot « jamais » écrit par Henri Guaino : « Je ne ferai plus jamais de politique »… Mais la plupart des participants en sont persuadés, si personne n’était intervenu, il l’aurait biffé lui-même.

Il refera de la politique, bien entendu.

Dès ce soir-là, Nicolas Sarkozy entame son retour. Le président perdant est un futur vainqueur. Il réapparaîtra, se dit-il, métamorphosé. Rien de tel qu’une bonne traversée du désert pour changer de peau. Revenir avec le visage buriné du sage qui a beaucoup appris. Il se conçoit en référence incontournable, en homme providentiel que l’on appellera au secours. Mais pour que le héros existe, il lui faut prendre le temps de la mue. La statue du Commandeur sort du fond des âges. Du royaume des morts. Elle est restée silencieuse bien longtemps. Nicolas Sarkozy va avoir du mal.

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Journaliste politique, Christelle Bertrand suit Nicolas Sarkozy depuis 2002. Elle a couvert son actualité pour le quotidien France-Soir jusqu’en 2011, puis pour le magazine VSD, participant à de nombreux déplacements avec lui, avant et pendant sa présidence.

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