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Quel bilan pour la France de l’avis de la Cour internationale de justice sur le mur construit en territoire palestinien?

9 juillet 2004 – 9 juillet 2014 : il y a 10 ans jour pour jour, la Cour internationale de justice de La Haye rendait un avis déclarant le mur construit par Israël en Palestine illégal au regard du droit international. Quel bilan peut-on dresser de cet avis rendu par la plus haute juridiction internationale ? La France l’a-t-elle respecté ?

En 2002, le gouvernement israélien a décidé la construction d’un « mur de séparation » en vue, selon lui, de prévenir toute intrusion palestinienne sur le sol israélien. Le tracé de ce mur pose problème et il démontre que son objet est autre : situé à 85% sur le territoire de la Cisjordanie et non sur la ligne verte séparant Israël de la Cisjordanie, il place environ 10% du territoire de la Cisjordanie à l’ouest du mur. En réalité, son tracé a été dessiné pour inclure les colonies israéliennes de peuplement et contribuer à un contrôle militaire plus étroit de la population palestinienne. 

Cette situation étant très vite apparente, en 2003, l’Assemblée générale des Nations Unies adressait une requête à la Cour internationale de justice de La Haye (CIJ) pour lui demander de se prononcer sur la légalité de ce mur. La CIJ rendait le 9 juillet 2004 un avis relatif aux Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé. L’avis rendu était consultatif, l’Etat d’Israël n’ayant pas entendu se soumettre à la compétence de la Cour. Il n’en dit pas moins le droit et constitue une source du droit international.

Les conséquences juridiques résultant de la construction du mur et des colonies israéliennes 

L’avis déclare la construction du mur en territoire palestinien occupé illégale – tout comme celle des colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est – au regard du droit international. Ces constructions violent au moins trois séries de normes : le droit international public (notamment le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, le tracé du mur revenant à une annexion de facto d’une partie du territoire palestinien), le droit international humanitaire (notamment la IVème Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, ratifiée par Israël en 1951) et le droit international des droits de l’homme (notamment le pacte international relatif aux droits civils et politiques et le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 et la convention des droits de l’enfant de 1989, trois textes ratifiés par Israël en 1991).

Toutefois, l’avis de 2004 ne se limite pas à cet énoncé et détaille également les conséquences juridiques résultant de la construction du mur et des colonies israéliennes de peuplement. La CIJ fait une distinction entre les obligations qui s’imposent à Israël et celles qui s’imposent aux autres Etats.

Pour Israël, la CIJ dégage trois obligations (§151 à 153 de l’avis) : « cesser immédiatement les travaux d’édification » du mur – tout comme les travaux de construction des colonies – ; « démanteler » ces constructions ; « réparer tous les dommages causés » à toutes les personnes physiques ou morales concernées. La mise en œuvre de cette troisième obligation nécessite, selon la Cour, une restitution de tous les biens fonciers et immobiliers saisis aux Palestiniens et dans le cas où ce serait impossible, une indemnisation des personnes de toutes les personnes physiques ou morales qui auraient subi un préjudice matériel du fait de ces constructions.

En pratique, les obligations fixées par l’avis de 2004 ont été totalement ignorées par Israël. Aucun démantèlement, même partiel, n’a eu lieu. Israël a poursuivi la construction du mur et une accélération sans précédent de la construction des colonies s’est produite depuis 2009. Il y a actuellement plus de 600.000 colons en Cisjordanie, contre 380.000 en 2004. Aucune restitution, même partielle, des biens fonciers et immobiliers saisis n’a eu lieu. Aucune indemnisation des personnes physiques ou morales qui ont subi un préjudice matériel n’a été effectuée.

De manière tout à fait intéressante, la Cour va plus loin, en indiquant la voie à suivre pour les Etats membres de la communauté internationale – y compris la France -. La CIJ dégage également trois obligations (§159 de l’avis) pesant sur les Etats : « ne pas reconnaître la situation illicite » créée par Israël ; « ne pas prêter aide ou assistance » au maintien de cette situation ; « faire respecter par Israël le droit international ». Cette dernière obligation consiste, selon la CIJ, à ce que les Etats veillent, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, à ce qu’il soit mis fin aux entraves à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination et à faire respecter par Israël le contenu de la IVème Convention de Genève.

Qu’a fait la France depuis 10 ans pour se conformer aux trois obligations énoncées ? 

La France a globalement respecté son obligation de « ne pas reconnaître la situation illicite » créée par Israël : elle continue dans ses déclarations publiques à rappeler le caractère illégal du mur et des colonies et à demander la fin de la colonisation. 

S’agissant de l’obligation de « ne pas prêter aide ou assistance » au maintien de la situation créée, la France s’est contentée du strict minimum. Certes, l’Etat français n’a pas directement aidé ou assisté au maintien et à l’extension du mur et des colonies. Et tout récemment, le 24 juin 2014, sur le site du Ministère des Affaires étrangères, une information peu lisible mais réelle, a précisé que les activités d’entreprises françaises dans les colonies sont à déconseiller. C’est un petit pas à noter.  

Toutefois, l’Etat français n’a pris aucune mesure législative ou réglementaire pour s’assurer que les personnes françaises – publiques et privées, morales et physiques – n’apportent pas d’aide ou d’assistance à la situation illicite. Il est même possible de soutenir que, par sa passivité actuelle, la France contribue au renforcement de la viabilité économique, démographique et territoriale des colonies israéliennes de Cisjordanie et de Jérusalem-Est.

 Quelques exemples suffisent à le montrer. Des entreprises françaises – y compris publiques – conduisent des activités commerciales ou financières dans les colonies : citons, parmi d’autres, Dexia, Orange, Veolia ou Alstom. La France importe chaque année plusieurs dizaines de millions d’euro de marchandises fabriquées et de produits agricoles récoltés dans les colonies. Sodastream, qui fabrique des machines à gazéifier les boissons dans la colonie de Maale Adoumim, fait la promotion de ses produits, notamment sur France 2, une chaîne de télévision pourtant de service public. Des universités ou des instituts de recherche français ont conclu des accords avec des partenaires israéliens impliqués dans la colonisation. Des associations françaises, ayant pignon sur rue en Israël, participent au financement des colonies. Plus de 8.000 franco-israéliens vivent dans les colonies et y ont acquis biens immobiliers. Certains commettent des actes violents contre les Palestiniens en tout impunité.

La France doit montrer qu’elle refuse toute forme de complicité avec une politique de spoliation des terres et de transfert de population civile

Il reste donc à espérer que la France mette ses actes en conformité avec sa position publique et le droit international. Le 10ème anniversaire de l’avis de la CIJ en fournit l’occasion. Comme le préconisent de nombreuses associations, notamment la FIDH, la LDH et le CCFD, l’Etat français devrait engager les mesures suivantes :

– l’exclusion des colonies de tous les traités bilatéraux et de coopération avec Israël : ils doivent inclure une clause territoriale claire limitant explicitement leur application au territoire israélien proprement dit. 

– l’instauration d’un mécanisme effectif de vérification que les activités bilatérales ne profitent pas aux colonies. 

– l’interdiction de toute activité publique de coopération, de recherche ou d’enseignement dans les colonies ou avec toute institution impliquée dans la colonisation.

– l’interdiction de l’importation en France des produits manufacturés dans les colonies ou des biens agricoles qui y sont récoltés. 

– l’interdiction faite aux entreprises françaises d’investir et d’entretenir des relations économiques avec ou dans les colonies. 

– l’interdiction faite aux entreprises françaises de conserver ou de prendre des participations dans des entreprises israéliennes ayant des activités dans les colonies. 

– l’exclusion des marchés publics de toutes les entreprises israéliennes, françaises et étrangères implantées ou opérant dans les colonies.

– l’adoption de directives à l’attention des voyagistes afin d’éviter toute forme de soutien à des entreprises et des sites touristiques dans les colonies.

– la dissolution des associations françaises participant au financement des colonies ou à tout le moins le retrait de toute possibilité de déduction fiscale des dons qu’elles perçoivent.

– l’interdiction de toutes les transactions financières émanant de citoyens, d’organisations et d’entreprises à destination des colonies.

– l’adoption de mesures visant à prévenir l’installation de colons français et l’achat de biens immobiliers dans les colonies. 

– le déclenchement de poursuites pénales contre les citoyens français qui, comme colons ou comme volontaires dans les unités de l’armée israélienne déployées en Cisjordanie, commettent des actes de violence à l’encontre de la population civile palestinienne.

Il s’agit de mesures simples qui pourraient être mise en œuvre rapidement. Elles permettraient à la France de montrer qu’elle refuse toute forme de complicité avec une politique de spoliation des terres et de transfert de population civile. Rappelons que la construction des colonies israéliennes en territoire occupé palestinien constitue un crime de guerre, tant en droit international (art. 49§6 de la IVème Convention de Genève; art. 85§4 (a) du Protocole I additionnel ; art. 8, 2.b.viii, du Statut de la CPI) qu’en droit français (art. 461-26 du code pénal issu de la loi n° 2010-930 du 9 août 2010). Or, l’aide ou l’assistance, même par la simple fourniture de moyens – y compris financiers -, à cette politique constitue un acte de complicité de crime de guerre (art. 25§ 3 et 30 du Statut de la CPI; Tribunal spécial pour la Sierra Leone, Jugements des 16 mars 2006, §40 et 26 avril 2012, §149). 

Une campagne émanant de la société civile palestinienne appelle les sociétés civiles des autres Etats à se mobiliser

S’agissant de l’obligation de « faire respecter par Israël le droit international » énoncée par la CIJ, la France n’a guère pris d’initiative concrète. Relevons seulement les votes de la France le 31 octobre 2011 en faveur de l’admission de la Palestine comme Etat membre de l’UNESCO et le 29 novembre 2012 en faveur de l’admission de la Palestine comme Etat-non membre des Nations Unies. Ces votes sont certes deux étapes en faveur du respect du droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Mais ils apparaissent plus comme une démarche inévitable – au regard du très grand nombre d’Etats ayant voté pour cette admission dans les deux cas – que comme une véritable initiative française. Rappelons que la France n’a toujours pas reconnu bilatéralement la Palestine comme Etat, alors que 132 Etats l’ont déjà fait.

La France n’a pas non plus exercé de sanctions, dans le respect du droit international et de la Charte des Nations Unies, contre l’Etat d’Israël pour qu’il se conforme à l’avis. La doctrine universitaire, tout en reconnaissant aux Etats une latitude quant au choix des mesures, a pourtant recensé depuis longtemps celles pouvant être mises en œuvre pour faire respecter le droit international : des pressions diplomatiques aux mesures coercitives (politiques, diplomatiques, économiques et commerciales, suspension de la coopération, restrictions au commerce bilatéral, embargo, boycott, gel de capitaux, interdiction des investissements, confiscation des biens et des avoirs etc.) en passant par la saisine des organisations régionales et internationales (qu’elles soient politiques, économiques, culturelles ou juridictionnelles). Depuis dix ans, aucune de ces mesures n’a été prise, créant une impunité de fait.

Face à cette ineffectivité regrettable du droit international du fait de la carence des Etats, une initiative intéressante doit être mentionnée. Il s’agit de la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) lancée le 9 juillet 2005, soit un an jour pour jour après l’avis de la CIJ, après que 172 ONG palestiniennes aient relevé le refus de d’Israël de se conformer à l’avis et l’absence de volonté des autres Etats de le faire respecter. Cette campagne émanant de la société civile palestinienne appelle les sociétés civiles des autres Etats à se mobiliser pour inciter – entre autres – les gouvernements à respecter les trois obligations mentionnées dans l’avis. La campagne connait une nette accélération depuis 2009, de plus en plus d’acteurs de la société civile et d’institutions, y compris en France, refusant d’entretenir tout lien avec les colonies israéliennes ou avec les sociétés et institutions qui y ont des activités. La campagne BDS peut avoir un effet d’entrainement qui contribuera à ce que les Etats se mettent enfin en mouvement pour contraindre Israël à respecter le droit international.

 

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