Entretien avec Pierre Conesa, maître de conférences à Sciences Po et ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense. Il est l’auteur de «Les Mécaniques du chaos : bushisme, prolifération et terrorisme» (L’Aube, 2007).
A la demande des autorités américaines, qui redoutent de «nouvelles menaces terroristes», la France va accroître la sécurité dans ses aéroports pour les vols vers les Etats-Unis. «Il est légitime que la vigilance soit renforcée à des périodes de déplacements de grande ampleur», explique le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius dans une interview au JDD.
JOL Press : Le Quai d’Orsay a-t-il raison de craindre une menace terroriste ?
Pierre Conesa : Oui, cette crainte est fondée. Le problème de la France est qu’elle combat indifféremment les salafistes sunnites et les extrémistes chiites. Or, elle n’a absolument pas les épaules pour le faire. Nous sommes un pays de moyenne impuissance, ce qui devrait nous obliger à adopter un discours beaucoup plus diplomatique et moins englobant.
Barack Obama a compris qu’il fallait prendre en compte les divisions internes à l’islam. Il est en train de réviser la diplomatie mise en place par Bush en renouant avec l’Iran. L’actuel président américain désigne clairement les ennemis des Etats-Unis – à savoir les extrémistes sunnites –, alors que son prédécesseur avait lancé une guerre globale contre le terrorisme.
JOL Press : La France payerait donc la diplomatie qu’elle a mise en place ?
Pierre Conesa : Effectivement. La diplomatie française est schizophrène. Elle repose sur un double standard, notamment sur cette question du terrorisme islamiste. D’un côté, le Quai d’Orsay soutient les opposants au régime d’Assad et les combattants de l’Armée syrienne libre, et de l’autre, il se dit préoccupé par les avancées de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL)…
Le discours de la France est illisible. Elle mène une diplomatie dure contre l’Iran (chiite) et contre les salafistes jihadistes (sunnites). Elle apparaît comme l’ennemie de tous les musulmans. Cette bipolarité gêne sa politique de lutte contre les filières jihadistes en France. C’est d’autant plus inquiétant que les succès de l’EIIL risquent de provoquer un appel d’air dans nos banlieues.
JOL Press : Le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve doit présenter mercredi un projet de loi visant à renforcer le plan gouvernemental anti-jihad d’avril. Ce plan va-t-il dans la bonne direction ?
Pierre Conesa : Il manque un point essentiel dans ce dispositif : une parole politique. Le gouvernement n’a jamais dit qu’il visait les salafistes jihadistes, laissant ainsi planer l’impression de cibler de façon assez indifférenciée l’ensemble de la communauté musulmane.
Une solution serait d’interdire à tout Français, peu importe sa religion, d’aller se battre dans une zone de guerre. «Si un homme quitte son pays pour défendre les victimes d’un conflit, c’est un héros. Si on apprend que cet homme est musulman, c’est un jihadiste», écrit un site jihadiste.
On se pose uniquement la question de la religion du combattant, et jamais celle de la cause qu’il défend. C’est justement par là qu’il faudrait commencer. Il faut désethniciser le débat pour décrisper la communauté musulmane sur ce sujet.