Entretien avec Jean-Sylvestre Mongrenier, spécialiste de la Russie. Docteur en géopolitique et professeur agrégé d’histoire-géographie, il est aussi chercheur à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII).
Les rebelles pro-russes et leurs soutiens à Moscou sont montrés du doigt dans la catastrophe du Boeing 777 de la Malaysia Airlines. Vladimir Poutine est sur la défensive, mais à moins que les Occidentaux ne tapent du poing sur la table, le chef du Kremlin poursuivra son projet expansionniste.
JOL Press : Sur le plan géopolitique, que change le crash du vol MH17 ?
Jean-Sylvestre Mongrenier : Cet événement met au jour la gravité de la situation. A en croire certains, la crise ukrainienne était en voie de résolution et Vladimir Poutine était prêt à lâcher du lest. Il n’en est rien. Il ne s’agit pas d’une «crise» : c’est une véritable guerre qui se déroule dans la province du Donbass (Est de l’Ukraine). Il est évident que la Russie est très impliquée dans ce conflit. Le tir du missile sol-air Buk (fabrication russe), à l’origine du crash, en est la preuve.
Revanchisme
Jean-Sylvestre Mongrenier : Il s’agit surtout d’un tournant dans notre représentation de ce conflit. Les dirigeants occidentaux ne peuvent plus se voiler la face : nous sommes bel et bien engagés dans une épreuve de force avec Vladimir Poutine. Et le bras de fer est parti pour durer.
La situation ne cesse de se détériorer depuis la fin de l’année 2013. On pensait alors que Moscou respecterait les règles du jeu diplomatique. Or, la Crimée (péninsule au Sud de l’Ukraine) a été rattachée à la Russie manu militari en mars dernier. Les dirigeants européens ont laissé faire, persuadés que Vladimir Poutine n’oserait pas aller aussi loin. Ensuite, un conflit armé s’est amorcé en Ukraine, où depuis, les affrontements vont crescendo.
JOL Press : Comment pourrait évoluer la situation en Ukraine ?
Jean-Sylvestre Mongrenier : Deux scénarios sont possibles. Vladimir Poutine pourrait prendre conscience qu’il est allé trop loin. Il est pris à son propre piège. D’un côté, son discours national-bolchévique a exalté les partisans de la «grande Russie». D’un autre côté, la situation dans le Donbass semble inextricable. Le président russe se trouve entre le marteau et l’enclume. Cela pourrait ouvrir la porte à une politique d’apaisement.
Le second scénario, qui a ma préférence, est que le chef du Kremlin poursuive l’escalade. Le projet eurasiatique de Vladimir Poutine est marqué par un revanchisme d’après guerre froide. Il aspire à une reconquête du maximum d’Etats membres de l’ex-Union soviétique. A ce titre, l’Ukraine est une pièce maîtresse de ce projet réunioniste.
Endiguement
Jean-Sylvestre Mongrenier : Si les Européens se montrent fermes, ce dernier scénario semble difficilement réalisable. Cela implique un appui important à l’Ukraine et à son nouveau gouvernement. Cela suppose aussi une stratégie de «néo-containment» (endiguement) qui passe notamment par une politique de sanctions économiques. Livrée à elle-même, l’Ukraine pourrait très bien perdre de nouveaux territoires au profit de la Russie.
Il est essentiel que Kiev puisse restaurer et consolider sa souveraineté pour prendre la voie de sa modernisation politique et économique. Autrement, le pays ne fera que végéter au sein de l’espace post-soviétique. C’est toute l’organisation géopolitique du continent européen qui est en jeu. Si la Russie annexait d’autres territoires ukrainiens, elle pourrait ensuite se tourner vers les Etats baltes, qui sont membres de l’Union européenne et de l’Otan.