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Union européenne: faut-il donner plus de poids aux régions?

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(Crédit photo: Shutterstock.com)

JOL Press : En quoi le projet de réforme territoriale, qui vise à réduire le nombre de régions en France, s’inscrit-il dans un mouvement européen de redéfinition de la place des régions ?
 

Jacques Lippert : Il n’existe pas d’Europe des régions, mais il existe bien des régions dans l’Europe. Évidemment, les degrés d’autonomie de ces régions sont très divers. La régionalisation française telle que voulue par le gouvernement n’est pas une régionalisation au sens de l’Espagne par exemple, où il y a des régions autonomes, qui disposent d’une partie du budget national, par le système des transferts financiers depuis Madrid.

Ce n’est pas non plus comme en Italie, où il y a aussi des provinces et des régions largement autonomes : la Sardaigne par exemple est plus autonome que la Corse. Si l’on prend le cas de l’Allemagne, on a affaire à des Länder qui sont des États fédérés, de même qu’en Suisse. Le système du Royaume-Uni, constitué de l’Écosse, du Pays de Galles, de l’Angleterre et de l’Irlande du Nord, est encore différent : ces États disposent là aussi de plus ou moins d’autonomie.

Mais qu’il s’agisse de l’Allemagne, de l’Espagne ou de l’Italie, les régions disposent d’un conseil régional et d’un exécutif régional qui, à des degrés divers, jouissent d’un plus ou moins grand pré carré d’autonomie. Ce n’est pas le cas en France, où la régionalisation est en fait une décentralisation administrative, mais où l’État est toujours présent par le biais du préfet de région, qui représente un peu « les yeux et les oreilles » du gouvernement.

Même avec la réforme envisagée par le gouvernement Hollande-Valls, la France est encore loin des régions telles qu’on les connaît dans ces autres pays. Le cas de la Belgique est encore un cas à part. La région flamande, la région wallonne et la région bruxelloise disposent de pouvoirs dont aucune région française ne dispose actuellement. En France, il s’agit peut-être d’une étape vers une régionalisation plus poussée qui fera probablement disparaître le champ administratif du département. C’est une première étape qui reste relativement timide par rapport à ce qui se fait ailleurs.

JOL Press : Quel poids est aujourd’hui donné aux régions à l’échelle européenne ?

Jacques Lippert : Actuellement, la voix des régions à Bruxelles est purement consultative, à travers le Conseil des régions. Elles ont plus ou moins d’importance à l’intérieur des frontières nationales, mais la règle reste que l’Union européenne est constituée de 28 États-nations souverains. Pour Bruxelles, sur le plan juridique, les régions n’ont pas de poids : la Commission européenne parle avec les gouvernements.

Le fond régional européen est distribué par le canal de l’État-nation membre de l’Union européenne, et non transféré directement aux régions. C’est d’ailleurs une réforme à laquelle certains pays pensent au niveau des institutions européennes, à savoir la création d’un canal direct de transmission des aides financières depuis le fond européen vers les régions.

JOL Press : Si l’on donne davantage de poids aux régions, pourrait-on en voir certaines revendiquer plus fermement leur indépendance ?
 

Jacques Lippert : C’est évident. C’est à la fois une question de poids des régions à l’intérieur de chaque État, et aussi de désir plus ou moins grand d’autonomie. Si l’on prend le cas de l’Écosse, un référendum aura effectivement lieu au mois de septembre. Si celui-ci est positif, le gouvernement écossais, présidé par Alex Salmond, demandera probablement au Royaume-Uni de reconnaître son indépendance.

Le cas de la Catalogne est un peu le même puisqu’un référendum doit avoir lieu en novembre, mais on sait très bien que cela se fera contre l’assentiment de Madrid qui a rejeté le projet de loi déposé par les Catalans pour autoriser ce référendum. S’il a lieu, il se fera en désaccord complet.

Quant au cas de la Flandre, on sait qu’il y a un fort courant séparatiste avec le parti de la N-VA depuis plusieurs années. Leur objectif est en fait de transformer l’État fédéral belge en une coquille relativement vide, puisque selon le projet, il n’y aurait plus de Premier ministre belge mais un comité de personnes qui règleraient les affaires entre les États autonomes de la Flandre et de la Wallonie – la pierre d’achoppement étant Bruxelles.

Chaque cas est différent, distinct l’un de l’autre. En Italie, la question se posera peut-être un jour avec la Lega Nord qui veut l’indépendance de l’Italie du Nord, rebaptisée Padanie. Elle peut également se poser avec des minorités hongroises en Roumanie, etc.

JOL Press : Dans ce cas-là, quel risque cela ferait-il peser sur l’unité de l’Union européenne ?
 

Jacques Lippert : L’année 2014 est en quelque sorte « l’année de tous les dangers » pour l’Union européenne. Il est évident que le premier qui voudra accéder à l’indépendance totale, et donc sortir du système de son État d’origine et se faire accepter par l’Europe, aura un chemin extrêmement difficile à parcourir. Une adhésion de ces régions à l’UE n’est en effet pas du tout automatique. Tous les constitutionnalistes sont d’accord pour dire que si l’on proclame l’indépendance, cela signifie que la région ou l’État quitte l’UE et l’euro, et doit refaire les démarches nécessaires pour y accéder.

Le cas de l’Écosse  est un peu différent parce que Cameron a accepté la tenue du référendum, donc s’il tourne en défaveur du Royaume-Uni, il devra en accepter les résultats et accepter de facto l’indépendance écossaise. Cela ne veut néanmoins pas dire que les Écossais seraient reconnus comme ils le veulent : ce n’est pas sûr qu’ils soient accueillis à bras ouverts à Bruxelles, parce que ce serait ouvrir la boîte de Pandore.

Si les Catalans sont indépendants, cela pourrait pousser les Basques à demander leur indépendance, des deux côtés de la frontière, et on se retrouverait avec une Espagne complètement démembrée, où un quart du PIB partirait avec la Catalogne, et une autre partie avec le Pays Basque. Il faut donc bien voir les conséquences, notamment économiques, de ces indépendances.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Jacques Lippert est spécialiste des aspects politiques et institutionnels de lEurope et directeur adjoint de l’Institut européen des relations internationales.

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