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De l’opportunité d’un axe Paris-le Caire pour assurer la paix et la stabilité dans le Levant

Revenus du Caire il y a quelques jours[1], alors que s’y déroulait un intense ballet diplomatique visant à tenter de mettre fin aux combats qui ensanglantent la bande de Gaza et Israël, nous, parlementaires français, membres du Groupe d’amitié France-Egypte, venus d’horizons politiques et de territoires différents, avons la ferme conviction que l’Egypte a résolument entamé son retour sur la scène internationale. Alors que la France s’était contentée de prendre « acte » de la destitution en juillet 2013 du président Mohamed Morsi, il convient désormais de prendre en « compte » cette nouvelle réalité stratégique.

Depuis la révolution du 25 janvier 2011, la « contre-révolution » du 30 juin 2013 qui vit plus de vingt millions d’Egyptiens descendre dans les rues pour mettre fin à l’expérience gouvernementale hasardeuse des Frères musulmans et du Parti Liberté et Justice de Mohamed Morsi, la promulgation en janvier dernier de la nouvelle Constitution et la récente élection présidentielle de mai dernier qui vit l’élection plébiscitaire avec 92% du général Abdelfattah al-Sissi, les Egyptiens, vivent la douloureuse quoique enthousiasmante expérience de la démocratie.

Celle-ci reste, néanmoins, prise en otage par les instabilités régionales et la menace terroriste tant intérieure qu’aux frontières, notamment en bordure de la Cyrénaïque libyenne et dans le Sinaï – entaché de près de 1500 morts, dont 700 membres des forces de l’ordre, depuis le début de l’année 2011. Le président Abdelfattah al-Sissi, ainsi que nos différents interlocuteurs (parmi lesquels le Premier ministre francophone, Ibrahim Mehleb et le nouveau ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukry) que nous avons eu l’honneur de rencontrer ont ainsi confirmé la constante détermination égyptienne à mettre en œuvre une offre de médiation crédible et pérenne entre le Hamas et Israël, dont dépend, pour une large part sa propre sécurité dans le Sinaï, bordé par la Bande de Gaza et Israël, avec lequel l’Egypte a signé, du reste, un accord de sécurité historique – le premier entre un Etat arabe et Israël – et ce dès septembre 1978 et les Accords de Camp David.

Intense ballet diplomatique

Un intense ballet diplomatique a vu Le Caire accueillir, ces derniers jours, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, l’ancien Premier ministre britannique et émissaire du Quartette (ONU, UE, USA, Russie) Tony Blair, le Secrétaire d’Etat américain, John Kerry, le Secrétaire général des Nations-Unies, Ban-Ki Moon, le porte-parole du Hamas, Abou Marzouk et notre ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, venu au Caire, aux côtés de sa collègue italienne Federica Mogherini, dont le pays préside le Conseil européen pour le dernier semestre 2014, pour appuyer l’offre égyptienne.

Au-delà de la confirmation de la « centralité » cairote dans la complexité diplomatique levantine, gagée entre autre, par la présence du siège de la Ligue arabe, la diplomatie égyptienne semble renouer avec la notion quelque peu minorée par trois années de soubresauts post-révolutionnaires de « profondeur stratégique ». Celle-ci confirme son statut géopolitique, géo-économique et géographique de pivot. Puissance autant levantine, méditerranéenne, arabe, africaine que globale, l’Egypte se veut désormais plus visible et sa voix plus audible.

Il faut lui en donner quitus et accompagner ce retour aux premières loges de la diplomatie régionale et internationale. Le premier acte de ce retour sur le devant de la scène s’est joué, il y a quelques semaines à Malabo, en Guinée équatoriale, où s’est tenu le 23ème Sommet de l’Union africaine. Le Président égyptien y a été réintégré « urbi et orbi », par ses 53 pairs au sein de l’organisation pan-africaine. Il a ainsi pu constater combien les agendas africains et égyptiens sont inextricablement liés : lutte contre le terrorisme, le narco-djihadisme et le séparatisme armé, participation solidaire des Africains au sein des opérations de maintien de la paix onusiennes et issues du système de sécurité sub-régional africain, importance de la sécurisation des investissements touristiques, coopération internationale contre la piraterie maritime, reconnaissance de la place de l’Afrique au sein des Nations Unies.

L’annonce de la participation de l’Egypte à la force onusienne déployée au Mali, la MINUSMA, est le premier acte concret de ce retour africain de l’Egypte, consciente que l’instabilité sahélo-saharienne aura des effets certains et immédiats sur sa propre sécurité. Cette décision, prend, du reste, une solennité particulière, quand on se souvient que le président Morsi, n’avait pas hésité à être un des seuls à se montrer critique à l’égard de l’implication militaire française au Nord-Mali ! Le deuxième acte de cette renaissance diplomatico-militaire revêt un caractère singulier, tant les instabilités de son voisinage, occidental, méridional et oriental, obligent les forces armées égyptiennes à réaffirmer leur puissance, sans doute plus que ne l’aurait souhaité le Conseil Suprême des Forces armées, du reste.

Diplomatie hydrique

Il en a été fortement question à l’occasion de la visite symbolique entre le président algérien Abdelazziz Bouteflika et le président Abdelfattah al-Sissi, dans les premiers jours du mandat du nouveau président égyptien. Il en va ainsi du brutal délitement de l’Etat libyen – et son corollaire de porosité dangereuse des 1200 km de frontière commune – gage de transit de près de 12 millions d’armes légères et de petit calibre (ALPC) et de djihadistes de tous poils, dont les interconnections entre mouvements proches d’Al-Qaeda (Al-Nostra ancré dans le sud-tunisien et libyen, Ansar Beit Al-Maqdess actif dans le Sinai) sont avérées.

Au sud, les instabilités récurrentes qui obèrent l’installation démocratique au Soudan (toujours aux prises avec les revendications des Darfouris et l’instabilité chronique et meurtrière au Soudan-du-Sud entre son président Salva Kir et son vice-président, Riek Machar) ou encore l’épineuse question de la souveraineté partagée des eaux du Nil, source d’une brouille durable avec l’Ethiopie, caractérisée par l’inauguration prévue en 2015 du barrage de la Renaissance sur le Nil bleu, en amont de sa frontière avec le Soudan.

Sur ce dossier, la rencontre, à Malabo, entre les présidents égyptien Abdelfattah al-Sissi et éthiopien, Mulatu Teshome offre des perspectives d’une nouvelle diplomatie hydrique, que la France aurait raison d’appuyer, non seulement eu égard au fait qu’Alstom est le principal maître d’œuvre du barrage contesté par sa taille, mais compte-tenu aussi du fait que le Nil est la source non seulement de la survie des populations soudanaise et égyptienne qui le bordent mais aussi un des leviers de la présence des touristes, dont les 600 000 Français qui se rendaient chaque année en Egypte…avant les événements de la place Tahrir – alors qu’ils ne sont plus que 100 000 à s’être rendus en Egypte, cette année.

Diplomatie parlementaire

A l’instar des autres pays européens, l’assouplissement des consignes aux voyageurs qui se rendent en Egypte en général et sur la mer rouge en particulier nous apparaît plus qu’un signe positif, une nécessité. La France et l’Egypte souffrent de deux maladies contagieuses : « l’égyptomanie » et la « francophilie », legs de deux civilisations universelles basées sur une tradition plurimillénaire et une modernité républicaine. La première a largement inspiré une passion architecturale, spirituelle et culturelle des Français.

La seconde a façonnée l’Egypte moderne, et ce depuis que la Constitution de 1805 et les institutions républicaines qui en résultent dans l’Egypte du Pasha Mohamed Ali, s’est largement inspirée du geste révolutionnaire et de la modernité napoléonienne. Il est ainsi temps de revisiter et d’inciter à la réaffirmation de cette relation, à l’aune aussi, des perspectives économiques qu’offrent une métropole de près de 20 millions d’habitants et d’un pays de plus de 85 millions d’habitants. La vente, confirmée il y a quelques jours, de quatre frégates qui seront construites par DCNS à Lorient et à Alexandrie, pour un montant de près de 1 milliard d’euros, le confirme avec certitude.

D’autres secteurs sont aussi porteurs de perspectives d’avenir, notamment dans le secteur agro-alimentaire, des énergies renouvelables, de la haute technologie et de l’automobile, à l’instar de l’usine que Valeo a installée dans la banlieue du Caire. Nous pensons enfin, que la diplomatie parlementaire, forte de « missi-dominici » complémentaires mais parfois aux exigences différentes des tenants de la diplomatie traditionnelle, a un important et noble rôle à jouer. C’est notamment le cas, en vue d’accompagner l’installation de la dernière étape démocratique que doit encore accomplir l’Egypte, à l’aune des prochaines élections législatives qui devraient se tenir en octobre-novembre prochains.

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[1] Philippe Folliot, Député du Tarn (UDI) en tant que président du groupe d’amitié France-Egypte de l’Assemblée nationale, présidait une délégation de parlementaires français qui s’est rendue au Caire, du 15 au 19 juillet dernier. La délégation parlementaire était composée de M. Georges Fenech, Député du Rhône (UMP), M. Jean-Claude Guibal, Député des Alpes-Maritimes (UMP), Mme Marie Récalde, Députée de la Gironde (PS), M. Jean-Luc Reitzer, Député du Haut-Rhin (UMP) et M. Gwendal Rouillard, Député du Morbilhan (PS). Ils étaient accompagnés d’Emmanuel Dupuy, Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE).

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