Site icon La Revue Internationale

Ferguson: les Etats-Unis face aux vieux démons du racisme

 
[image:1,l]

Des personnes rassemblées à l’endroit où Michael Brown a été tué (Photo: Shutterstock.com)

JOL Press : De quoi les émeutes à Ferguson sont-elles le symptôme ? 
 

Frédéric Robert : L’affaire Michael Brown, qui part de Ferguson, une petite ville au nord de Saint-Louis dans l’Etat du Missouri, doit être située dans un contexte historique plus large.

Plusieurs médias ont d’ailleurs fait un parallèle avec l’affaire Rodney King – un noir passé à tabac par des policiers après une course-poursuite pour excès de vitesse, en avril 1992 à Los Angeles. Les quatre officiers avaient été acquittés par un jury composé de 10 blancs, d’un asiatique et d’un latino, provoquant six jours d’émeutes, des pillages, plus de 3 500 incendies, la destruction de plus d’un millier de bâtiments, une cinquantaine de morts, plus de 4 000 arrestations et des dégâts matériels évalués à près d’un milliard de dollars.

Ces émeutes rappellent aussi celles de Watts à Los Angeles, entre le 11 et le 17 août 1965, suite à une altercation entre les membres d’une famille noire et la police. Elles se soldèrent par la destruction de près d’un millier de bâtiments, une trentaine de morts, plus d’un millier de blessés et plus de 4 000 arrestations. Les dégâts furent évalués à plus de 35 millions de dollars.

Les événements de Ferguson sont le symptôme d’une fracture raciale – d’une ségrégation – qui existe toujours aux Etats-Unis. La discrimination raciale touche de nombreux domaines : logement, éducation, emploi et justice. A titre d’exemple, sur les 53 policiers de Ferguson, seuls trois sont noirs, dont le capitaine Ron Johnson, rapidement baptisé «Magic Johnson» (un clin d’œil au joueur de basket), qui tente de servir de tampon entre les deux communautés tout en s’efforçant de montrer que la justice existe malgré tout dans la ville.

Dans le cas présent, les manifestants dénoncent une justice à deux vitesses, l’une pour les blancs, l’autre pour les noirs. L’affaire Michael Brown a une résonance nationale : il s’agit d’un événement isolé, certes, mais qui est révélateur de ce qui se passe dans le pays en matière de relations entre les communautés noire et blanche.

JOL Press : Le spectre du racisme hante-t-il toujours les Etats-Unis ? 
 

Frédéric Robert : En 1896, la Cour suprême a rendu un arrêt intitulé – ironie de l’histoire – Plessy v. Ferguson (Plessy contre Ferguson), autorisant les Etats qui le souhaitaient à légaliser la ségrégation raciale, et instaurant la doctrine appelée «separate but equal» (séparés mais égaux).

En 1954, la Cour suprême a rendu l’arrêt Brown v. Board of Education of Topeka, déclarant la ségrégation raciale inconstitutionnelle dans les écoles publiques, et invalidant de facto la décision de 1896. Le Civil Rights Act de 1964 a ensuite déclaré illégale la discrimination fondée sur la couleur, la religion, le sexe ou l’origine nationale. Ce texte a ouvert la voie à d’autres lois, notamment le Voting Rights Act (1965), supprimant toutes les restrictions au droit de vote dont les noirs du sud étaient victimes (ils étaient soumis à des tests d’alphabétisation).

Aujourd’hui, force est de constater que ces mesures ne sont pas toujours appliquées scrupuleusement. La communauté noire se sent discriminée. La ville de Ferguson, qui comptait un peu plus de 21 000 habitants en 2012 (67,4% de noirs et 29,3% de blancs) est coupée en deux, Delmar Boulevard servant de ligne de démarcation : au nord (98% de noirs) le salaire annuel médian est de 18 000 dollars ; au sud (73% de blancs) il est de 50 000 dollars. 

Le moindre événement isolé sert de catalyseur pour mettre l’Amérique face aux vieux démons de la discrimination raciale. Toutefois, la situation varie considérablement selon les Etats : être noir dans le Mississippi ou en Louisiane ce n’est pas la même chose que d’être noir en Californie ou dans le Rhode Island. De manière générale, le sud du pays reste assez fortement marqué par les stigmates de la ségrégation.

JOL Press : L’élection de Barack Obama a-t-elle contribué à changer la donne ? 
 

Frédéric Robert : La portée symbolique de l’élection d’Obama – le premier président noir des Etats-Unis – est évidemment importante. D’un côté, son accession à la Maison-Blanche a été perçue de manière positive par la communauté afro-américaine. Mais d’un autre côté, cela a exacerbé le racisme de certains, notamment dans les Etats du sud. Une cinquantaine d’années plus tard, le rêve de Martin Luther King semble virer au cauchemar.

Le profilage ethnique, le «délit de sale gueule», existe. Dans le Missouri, en 2013, deux personnes sur trois arrêtées par la police étaient noires. Jeudi, le capitaine Johnson a participé à une manifestation pacifique en mémoire de Michael Brown, ramenant un calme tout relatif dans la ville. Cela montre à quel point la couleur de peau entre toujours en compte aux Etats-Unis.

Quitter la version mobile