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Gouvernement et patronat : une relation de défiance

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L’université d’été du Medef se déroule les 27 et 28 août (Photo: Shutterstock.com)

JOL Press : Comment définiriez-vous la relation entre le patronat et le gouvernement français ? 
 

Hervé Joly : La relation entre le patronat et le gouvernement français n’est pas normalisée. En France, l’idée de discuter avec les patrons est toujours un sujet sensible, ça ne va pas de soi. Par exemple, le fait qu’un ministre participe à l’université d’été du Medef est systématiquement perçu comme quelque chose de suspect : on parle alors d’opération séduction, de main tendue, d’opportunisme, etc.

Traditionnellement, la relation entre le patronat et l’exécutif français est plus politique que dans les autres pays européens. Lorsqu’un gouvernement de droite dialogue avec le patronat, il est accusé d’être à ses ordres. Et lorsqu’il s’agit d’un gouvernement de gauche, c’est interprété comme un signe de faiblesse. 

JOL Press : Comment expliquer la singularité de cette relation ? 
 

Hervé Joly : La France – pays de tradition catholique – entretient une relation complexe avec le monde de l’entreprise, l’économie de marché et l’argent. Dans un pays où le profit est perçu comme quelque chose de douteux, voire d’illégitime, les patrons sont toujours soupçonnés de vouloir défendre leur cause afin de s’enrichir indûment. 

Par exemple, la France est le seul pays européen à avoir procédé au début des années 1980, dans le cadre d’un « socialisme à la française » qui conservait une inspiration marxiste, à des nationalisations (des groupes bancaires et financiers, et des entreprises du secteur industriel comme Thomson ou Saint-Gobain) remettant en cause la propriété des moyens de production.

Ensuite, la vague libérale a rapidement tout submergé : des privatisations massives ont été menées par la droite, mais d’une manière qui a prêté le flan à des accusations de favoritisme. Une fois revenus au pouvoir, les socialistes ne les ont pourtant pas remises en cause, ils les ont même poursuivies, mais sans jamais l’assumer véritablement.

En France, réussir ne signifie pas devenir entrepreneur. Dans notre pays, la réussite passe plutôt par l’accès à la haute fonction publique. En Allemagne et en Scandinavie – où la tradition sociale-démocrate est très ancrée – le libéralisme est admis, ce n’est pas un gros mot. Dans ces pays, la propriété privée des moyens de production n’a jamais été remise en cause. L’idée est d’aménager le capitalisme par la redistribution sociale. 

JOL Press : Chez nos voisins européens, la situation est-elle la même ? 
 

Hervé Joly : La question est moins sensible dans d’autres pays européens, notamment en Allemagne, où les représentants des dirigeants d’entreprises sont perçus comme des interlocuteurs incontournables, au même titre que les syndicats de travailleurs. 

Ailleurs en Europe, c’est le discours des dirigeants d’entreprises qui est entendu : contrairement à la France, on ne se focalise pas sur la relation entre le patronat et le gouvernement. En outre, le fait que les patrons aient un avis sur la politique économique et budgétaire liée à la défense de leurs intérêts est perçu comme quelque chose de tout à fait normal. 
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