Site icon La Revue Internationale

La Centrafrique peine à sortir la tête de l’eau malgré le cessez-le-feu

centrafrique-bangui-soldats.jpgcentrafrique-bangui-soldats.jpg

[image:1,l]

Fragile accord de cessez-le-feu
 

JOL Press : Qu’est-ce qui a permis la signature de l’accord de cessation des hostilités en Centrafrique ?
 

Emmanuel Dupuy : Bien que le résultat obtenu à l’occasion du Sommet consacré à la paix en RCA, tenu à Brazzaville du 21 au 23 juillet derniers (en l’espèce le cessez-le-feu qui a été signé par les deux parties en présence, Seleka et anti-balaka), a été voulu par le médiateur désigné par la Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale (CEEAC), en l’occurrence le président du Congo, Denis Sassou-Nguesso, son application effective reste fortement hypothétique.

Le choix de Brazzaville n’allait pas forcément de soi. Une lutte d’influence diplomatique sous-jacente entre le Gabon et le Congo en résulte. Le président Ali Bongo, qui préside la Communauté Economique et monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC), souhaitait, lui aussi, réunir les protagonistes chez lui…

Par ailleurs, la démission du Premier ministre centrafricain, André Nzapayeke, mardi 5 août, est une des conséquences collatérales de l’agenda « caché » du Sommet de Brazzaville. Il s’agissait autant de trouver un accord de paix que de signifier à la présidente de RCA Catherine Samba-Panza que le gouvernement d’Union nationale, véritablement consensuel et plus simplement composé des deux parties (ex-Seleka/anti-balaka) était un préalable, et non la finalité à la réconciliation nationale que le Sommet appelait de ses vœux.

JOL Press : Pourquoi celui-ci peine-t-il aujourd’hui à être mis en place ?
 

Emmanuel Dupuy : Pour une raison à la fois simple et largement prévisible : la faible gouvernance et une certaine illégitimité des signataires présents à Brazzaville. Dès les premières heures, après la signature de l’accord, le 23 juillet, plusieurs responsables politiques de premier plan restés à Bangui, ne souhaitant pas participer au Sommet de Brazzaville, dont l’ancien Premier ministre et Président du Mouvement pour la Libération du peuple centrafricain (MPLC) Martin Ziguélé, et son prédécesseur à la Primature, Anicet Georges Dologuéléen, en récusaient les termes.

A ces voix « politiques », certains dignitaires religieux, à l’instar du pasteur Nicolas Guerekoyamé-Gbangou, n’hésitaient pas à exprimer ouvertement leur scepticisme quant au caractère inopportun d’un nouveau Sommet sur la RCA centré sur la réconciliation nationale et, une fois de plus, comme à N’Djamena en janvier 2014, tenu hors de son territoire.

Au-delà, les deux signataires de ce cessez-le-feu fragile, le général Mohamed Dhafane pour le compte des ex-rebelles de la coalition Seleka, récemment reconstitués dans l’est du pays, et Patrice-Edouard Ngaissona, coordinateur national anti-balaka, ne sont pas aussi légitimes dans leur propre camp que cela. Il aura fallu la force de persuasion des « missi dominici », tels que le médiateur de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI), l’ancien ministre des Affaires étrangères sénégalais, Cheick Tidiane Gadio, pour obtenir un soutien implicite quoique distant de l’ancien président Michel Djotodia, réfugié au Bénin.
 

Liaisons dangereuses
 

JOL Press : Pourquoi les autorités centrafricaines ne parviennent-elles pas à enrayer les violences ?
 

Emmanuel Dupuy : Les violences résiduelles résultent de plusieurs facteurs. Le premier d’entre eux réside dans le caractère transnational des soutiens aux protagonistes, chacun des six voisins de la RCA ayant sa propre vision du processus de stabilisation et « de facto » ses propres interlocuteurs privilégiés.

Ces « liaisons dangereuses » exogènes compliquent voire aggravent la confrontation entre partisans de l’ancien président Bozizé (anti-balaka) et de son successeur arrivé par les armes en mars 2013, Michel Djotodia (ex-Seléka). Le deuxième facteur est celui du sous-équipement, sur le plan humain, financier et logistique. Sur le plan militaire, c’est flagrant. C’est aussi une réalité sur le plan administratif.

A telle enseigne que, depuis l’arrivée de la Présidente Catherine Samba-Panza, peu de réalisations effectives sont à porter à son profit. Les salaires des fonctionnaires et le Trésor public doivent ainsi leurs « salut » à la manne financière de ses généreux voisins (Gabon, Guinée équatoriale)… C’est une des raisons pour laquelle la Communauté internationale est de moins en moins crédible à vouloir tenir l’élection présidentielle en février 2015 !
 

En attendant les Casques bleus
 

JOL Press : L’ONU doit envoyer une mission de Casques bleus dans un mois. Quel sera le rôle de la MINUSCA, la mission de l’ONU en Centrafrique ?
 

Emmanuel Dupuy : Les différentes résolutions onusiennes, notamment la dernière (2149), ont permis la montée en puissance progressive de la force onusienne, qui devrait atteindre les 20 000 hommes – en incluant les 6000 casques bleus africains de la MISCA déjà sur place, auxquels les 2000 militaires français de l’opération Sangaris pourront prêter main forte le cas échéant – d’ici le 15 septembre prochain.

Les Casques bleus seront dotés dun mandat sous chapitre VII, c’est-à-dire avec le mandat le plus robuste qu’autorise les Nations Unies, permettant une ouverture de feu et un commandement plus « fluide ». Il s’agit, en réalité, d’une mission « multi-dimensionnelle ». Elle devra autant protéger la population, assurer le maintien de l’ordre – en l’absence de forces de police et de gendarmerie –, permettre la transition politique évoquée précédemment, faire respecter les droits de l’homme et arrêter les responsables d’exactions – notamment ceux que la résolution onusienne rend passibles de comparaître devant la CPI.

Les Casques bleus devront aussi permettre aux convois logistiques de circuler librement à travers tout le territoire centrafricain, que l’aggravation dramatique de la situation humanitaire rend toujours plus nécessaires.

Enfin, la MINUSCA aura la très lourde tâche de favoriser la reconstruction des forces de sécurité, notamment en favorisant les processus de Démobilisation, Désarmement et de Réintégration des différents belligérants (DDR) et en mettant en place la Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS) tout en supervisant l’embargo sur les armes que l’ONU a imposé à la RCA depuis décembre 2013.

JOL Press : La mission aura-t-elle les capacités d’améliorer la situation en RCA ?
 

Emmanuel Dupuy : Avec 12 000 hommes, dont près de 1800 policiers, auxquels il s’agit d’associer la composante civile (administrateurs civils, juristes, ingénieurs, composant le Bureau Intégré des Nations Unies – BINUCA) déjà présente à Bangui, la MINUSCA sera la seconde plus grosse opération de maintien de la paix sur le continent (après la MONUC devenue MONUSCO présente en République démocratique du Congo depuis une vingtaine d’années).

Comme au Mali, où le déploiement de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA) a été perturbé par le manque de financement, la réussite de la mission onusienne en RCA dépendra de la pérennité de son financement. Son budget est, en théorie, considérable : on évoque ainsi un budget annuel de l’ordre de 800 millions de dollars. Reste à convaincre les Etats-Unis, qui sont le premier contributeur des opérations de maintien de la paix, de la légitimité de financer une telle mission et ce jusqu’à avril 2015.

Néanmoins, l’apport de pays africains en gage de reconnaissance régionale, continentale et internationale (Madagascar, Egypte, Guinée-Bissau…) témoigne d’un véritable laboratoire de l’africanisation des sorties de crise.

JOL Press : Que deviendront les soldats français présents sur le terrain ?
 

Emmanuel Dupuy : Comme évoqué, les 2000 hommes de Sangaris pourront être mis à disposition de la MINUSCA, selon la gravité des circonstances et « autant que de besoin ». Les récents évènements ayant provoqué la mort de plusieurs militaires burundais de la MISCA, à Bambari, et l’intervention française en appui, notamment par le biais de Rafales, est venue démontrer le maintien de la présence militaire en dehors de Bangui.

Agissant potentiellement comme « Nation cadre » de cette future mission onusienne, la présence et la robustesse des moyens déployés depuis la fin de l’année dernière (notamment en termes d’aéromobilité) témoigne aussi du caractère déterminant de la présence française dans le pays, car au-delà de Bangui, un pays grand comme la France et la Belgique réunies reste à être sécurisé.

S’y adjoindra le millier de soldats composant la mission EUFOR-RCA, si un réel accord entre les 28 est trouvé pour renforcer cette mission, qui peine pour l’heure à se constituer au-delà de son noyau constitutif composé de nations extra-européennes (Géorgie, Albanie…) et européennes plus rompues aux opérations civilo-militaires qu’explicitement cinétiques (Estonie, Suède…).

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

——–

Emmanuel Dupuy est président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). Spécialiste de géopolitique, il est responsable des questions internationales et de défense de La Gauche Moderne. Il fut Conseiller politique (POLAD) du Commandant de la Task Force Lafayette (Forces françaises en Kapisa et en Surobi) en Afghanistan, de février à juillet 2011.

Il fut également chargé d’études à l’Institut de Recherche Stratégiques de l’Ecole militaire (IRSEM) en 2010, chargé de mission « Recherche – défense » auprès du Secrétaire d’Etat à la défense et aux Anciens combattants (2008-2010). Il est aussi membre-expert au ROP (Réseau de recherche sur les opérations de paix) de l’Université de Montréal. Il est chercheur associé au sein du CDPIAC (Centre de Droit Pénal International et d’Analyse des Conflits) de l’Université Toulouse 1.

Quitter la version mobile