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«L’Occident sait peu de choses du quotidien des Palestiniens»

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JOL Press : Née d’une mère française juive et d’un père berbère et musulman, vous avez reçu une éducation occidentale. Comment s’est passé votre intégration dans la société palestinienne ?
 

Nadia Sweeny : Au début, j’ai réussi à m’intégrer grâce à mon faciès: dans la rue quand je me baladais, on ne m’étiquetait pas comme une étrangère, cela facilitait donc le lien avec les autres. Mon père est parti lorsque j’étais toute petite, je me suis convertie à l’Islam à l’adolescence. J’avais besoin de m’intégrer dans une société arabe. Le lien avec la religion m’a permis de comprendre une partie de la vie quotidienne des Palestiniens musulmans et de leurs croyances.

JOL Press : Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées à votre arrivée ?
 

Nadia Sweeny :  J’ai accepté beaucoup de choses qui m’ont fait souffrir. Etre une femme dans le monde arabe n’est pas évident : il y a des préceptes traditionnels difficiles à accepter, surtout pour une femme française, qui est née et qui a grandi en France. Au fur et à mesure, on se rend compte de l’enfermement intellectuel et traditionnel dans lequel on vit, et c’est dur à vivre au quotidien.   

Une société palestinienne pleine de paradoxes
 

JOL Press: Quelle est la place de la femme dans la société palestinienne ?
 

Nadia Sweeny : La place de la femme est très paradoxale dans la société palestinienne. Les femmes ont un vrai rôle : elles travaillent, elles sont très éduquées, beaucoup plus que ce que j’ai pu constater dans d’autres pays du Maghreb. Elles ont une vraie place dans la société. Il y a par exemple des femmes parlementaires du Hamas. Mais parallèlement, dans leur vie personnelle et privée, il s’agit d’un modèle très patriarcal. La place de l’homme est prépondérante par rapport à celle de la femme. Je me souviens d’une femme –  un modèle pour moi – qui était sur tous les fronts. Cette mère de cinq enfants, très politisée et engagée, continuait à travailler dans une ONG internationale, et arrivait à tenir sa maison. Mais dans la vie privée, elle me disait que le mari passait avant tout.  

JOL Press : Vous avez couvert le conflit israélo-palestinien: plusieurs extraits de vos reportages figurent d’ailleurs dans votre livre. En tant que journaliste, que pensez-vous du traitement médiatique du conflit dans les pays occidentaux ?
 

Nadia Sweeny : En Occident, nous savons peu de choses de la vie quotidienne des Palestiniens. Pourtant, c’est justement lorsque les gens sont oppressés au quotidien, qu’ils se radicalisent, que la violence devient omniprésente. A mon retour en France, en 2008, j’ai observé la manière dont on traitait ce conflit dans les médias: des flashs uniquement lorsque les évènements s’intensifient, alors que quotidiennement, c’est l’enfer à vivre…

Il y a des morts toutes les semaines, comme le montre les statistiques des ONG israéliennes et palestiniennes sur le nombre de victimes palestiniennes sous occupation. Ces populations vivent sous occupation militaire constante, pourtant peu de médias abordent ce sujet en Occident. Etre à la merci d’une armée, subir l’oppression, l’humiliation constante, devoir justifier son existence en permanence, subir les checkpoints, devoir dire qui l’on est, où l’on va, alors que l’on passe d’une ville palestinienne à une autre ville palestinienne: voici le quotidien des populations palestiniennes.

Le rôle des réseaux sociaux dans le conflit
 

JOL Press : Depuis le début du conflit israélo-palestinien, de nombreuses campagnes pour la paix circulent sur les réseaux sociaux. Vous avez participé à la campagne « Jews and Arabs refuse to be ennemies » sur Twitter alors que l’opération Bordure protectrice se poursuit. Les réseaux sociaux peuvent-ils, selon vous, créer une connexion entre Palestiniens et Israéliens ?
 

Nadia Sweeny : Comme nous avons pu le voir lors des révolutions du Printemps arabe, les réseaux sociaux peuvent permettre de faire circuler des informations, des messages positifs et de rapprocher des gens. Mais il y a aussi le revers de la médaille… Cacher derrière son ordinateur, on peut dire et faire ce que l’on veut.

Aujourd’hui, il y a des générations de jeunes palestiniens qui n’ont jamais vu un israélien en dehors du soldat ou du colon, dont la présence est vécue comme une agression quotidienne. De la même manière, de l’autre côté du mur, la grande majorité des Israéliens ne se rendent pas compte de la vie quotidienne des Palestiniens, et de leur pluralité. Il faut favoriser les échanges entre les sociétés civiles respectives pour lutter contre le développement d’images fantasmagoriques sur l’autre, de l’autre côté du mur.

Le rôle premier des réseaux sociaux doit donc être d’instaurer le lien entre les deux populations, de montrer que les juifs et les musulmans se connaissent et qu’ils arrivent à vivre ensemble. Il ne faut pas faire de ce conflit un conflit religieux, ni un conflit ethnique : c’est un conflit territorial. Dès que les gens penseront qu’il s’agit d’un conflit religieux – comme le souhaitent certains leaders des deux côtés –  on ne pourra plus rien faire, cela dépassera les frontières de la Palestine.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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Nadia Sweeny journaliste free-lance, est l’auteure de l’ouvrage « La Fille des camps » (Editions Michalon). Elle vit aujourd’hui à Paris.

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