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Assassinats en Libye: «La liberté d’expression est vraiment en danger»

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(Crédit photo: Roland IJdema / Shutterstock.com)

JOL Press : Comment avez-vous réagi face à la mort du jeune blogueur Tawfiq Bensaud ?
 

Karim Nabata : Je connaissais peu Tawfiq, mais c’était un membre de la plateforme sur laquelle je publie, Libyablog, et on était censés faire une formation rapide pour des nouveaux blogueurs cette semaine. J’ai été choqué d’apprendre sa mort. C’est absurde et inadmissible qu’un jeune de 18 ans se retrouve sur la liste noire des extrémistes, et qu’il soit liquidé de cette façon.

JOL Press : Sait-on qui sont les responsables de ce crime ?
 

Karim Nabata : Tous les soupçons se tournent vers l’organisation terroriste Ansar al-Charia, et vers l’actuel « Conseil des révolutionnaires » qui s’est formé à Benghazi et qui regroupe tous les mouvements fondamentalistes de la région, dont Ansar al-Charia.

JOL Press : Pourquoi lui et d’autres activistes ont-ils été placés sur cette liste noire ? Sous quels prétextes ?
 

Karim Nabata : Il a été visé parce qu’il avait pris position dans le conflit qui oppose, à Benghazi, les libéraux (le général Haftar et l’armée) et les islamistes. Tawfiq a souvent déclaré qu’il n’y avait pas de place pour les intégristes dans la société libyenne. Il militait pour une société modérée, et il militait pour tout ce que ces extrémistes ne veulent pas entendre.

JOL Press : Aujourd’hui, dans quel état se trouve Benghazi depuis tous ces assassinats ?
 

Karim Nabata : Benghazi est en deuil perpétuel. La ville est le théâtre de nombreux assassinats depuis maintenant trois ans. Cela s’est accéléré ces derniers mois : en mai, un journaliste modéré et très connu, Meftah Bouzid, a été assassiné. Un mois plus tard, le 25 juin, c’est l’avocate et activiste libyenne Salwa Bugaighis qui a été tuée. 

Les gens commencent à en avoir assez. Je suis en contact avec certains blogueurs de Benghazi. On est vraiment dans une situation de panique, les téléphones sont sur écoute, et on ne sait plus qui est notre ennemi. Cette ambiance d’insécurité est à son maximum à Benghazi.

On essaie de réconforter nos amis blogueurs là-bas, et on sent qu’on a une responsabilité morale vis-à-vis de ces jeunes qui se sont récemment lancés dans le monde du blogging, et qui se trouvent maintenant face à la mort. Ici, à Tripoli, un de nos blogueurs a aussi été kidnappé, une consœur a eu sa maison brûlée, et une autre a été intimidée chez elle par une milice islamiste. On ne peut plus publier sans avoir des centaines d’internautes qui commencent à harceler nos comptes Facebook, Twitter etc.

JOL Press : Craignez-vous pour votre sécurité en ce moment ?
 

Karim Nabata : Je commence à craindre. Je n’ai jamais senti cette insécurité auparavant, la liberté d’expression est vraiment en danger réel en Libye. C’est vrai que Benghazi est particulièrement touchée, mais à Tripoli, on commence aussi à voir cette emprise des fondamentalistes qui nous fait peur. Je publie désormais davantage en français : cela réduit le nombre de lecteurs et donc le risque de menaces. C’est la première fois que je sens que ma sécurité personnelle est menacée.

On a créé un organisme il y a cinq mois, le Fort (Al Hessen en arabe), pour protéger les journalistes et les blogueurs en Libye. Mais l’ironie du sort, c’est que le président de cette organisation, Khayri Abushagur, a été kidnappé il y a deux semaines. Personne n’est à l’abri des actions des extrémistes.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Karim Nabata est un blogueur libyen basé à Tripoli. Il tient un blog sur la plateforme Libyablog, décryptant, souvent avec humour, la vie politique libyenne.

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