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Avec l’agro-écologie, réconcilier économie et environnement

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(Crédit : Shutterstock)

 

L’agro-écologie, c’est faire aller de pair la productivité agricole et la protection des écosystèmes. C’est assurer la production et la sécurité alimentaires tout en évitant de contribuer au réchauffement climatique et de favoriser la détérioration des sols, des eaux, des invasions de pathogène.

En France, une transition s’amorce timidement. Stéphane Le Foll a lancé fin 2012 un projet agro-écologique pour la France, comprenant des mesures d’aide à la conversion, de formation et d’encouragement à l’innovation jusqu’à fin 2014, moment où sera réalisé un bilan global.

Le ministre de l’Agriculture vise l’objectif de « plus de 50% des exploitations agricoles » engagées dans l’agro-écologie en 2025, soit 200 000.

Dans un contexte de forte démographie mondiale, le symposium organisé par la FAO ces 18 et 19 septembre à Rome – auquel participe Stéphane Le Foll – revêt une acuité particulière.

Pourquoi et comment passer à l’agro-écologie ? Eclairage de Christophe David, Directeur exécutif et Directeur scientifique à l’ISARA-Lyon.

 

L’agro-écologie, que des bienfaits ? 

 

JOL Press : Quels impacts positifs l’agro-écologie a-t-elle sur l’environnement ? Ou, dit autrement : quels impacts négatifs épargne-t-elle à l’environnement ?

 

Christophe David : L’agro-écologie vise trois impacts environnementaux majeurs.

D’abord, limiter la consommation d’énergie fossile, puisque l’objectif est de se servir davantage des ressources naturelles.

Ensuite, une perturbation du sol minimale et une couverture permanente du sol facilitent la séquestration du carbone et limitent l’émission de gaz à effet de serre.

Enfin : un usage raisonné des engrais et pesticides de synthèse limite potentiellement le risque de pollution.

JOL Press : L’agro-écologie, en cherchant un maximum de diversité génétique, serait-elle à même de restaurer une biodiversité mise à mal par la monoculture et l’agriculture intensive ? Les consommateurs se verront-ils proposer une plus large gamme de variétés de fruits et légumes par exemple ?

 

Christophe David : C’est indéniable, l’agroécologie repose sur une gestion raisonnée de la diversité culturale mais aussi naturelle. La biodiversité exerce deux fonctions. 

Premièrement, servir l’agriculture. Par exemple : je vais mettre en place des haies pour qu’il y ait des auxilliaires qui controlent les ravageurs des cultures : nous appelons cela la biodiversité « fonctionnelle ».

Deuxièmement, une meilleure gestion des ressources naturelles (eau, paysage et sols) permet de préserver la biodiversité « naturelle ».

L’agroécologie n’a pas pour autant le but de réintroduire une diversité génétique déjà présente en agriculture ; elle a simplement pour but de s’en servir et de la préserver.

Aujourd’hui, on a par exemple une importante diversité de variétés de pommes en France. Le problème étant que le marché a eu tendance à homogénéiser la demande et donc à réduire l’offre.

Produire autrement, c’est aussi consommer autrement, en acceptant une plus forte diversité de nos produits alimentaires, de saison et de préférence d’origine locale. Que propose l’agro-écologie ? S’il y a un problème de ravageurs sur une culture, l’agriculteur va utiliser plusieurs variétés, associer des cultures dont la résistance à ce même ravageur sera différente afin d’éviter que ce ravageur n’impacte la totalité de son champ.

JOL Press : Pour ses défendeurs, l’agriculture intensive est la mieux à même de lutter contre la faim dans le monde. Cela vous paraît-il fondé ?

 

Christophe David : Il est évident que le passage à une agriculture plus écologique va nous amener à revoir les niveaux de production de nos agricultures occidentales, dont les niveaux de production ont été augmentés grâce au progrès génétique mais aussi à l’utilisation accrue des intrants de synthèse.

Appliquée dans les pays du Sud, où l’agriculture est gérée de façon moins intensive, l’agro-écologie conduit à divers progrès techniques qui permettent même d’augmenter les niveaux de production.

Le développement de l’agroécologie à une échelle mondiale devra aussi nous amener à revoir notre diète alimentaire, consommer des produits de saison, diversifier nos aliments et renforcer nos approvisionnements locaux.

Pour que l’agro-écologie soit durable, il faut donc revoir nos modes de consommation alimentaire, notamment la part de consommation d’origine animale.

L’agro-écologie est-elle dès aujourd’hui adoptable ?

 

JOL Press : L’agro-écologie permet-elle à l’heure actuelle de donner des rendements équivalents à ceux de l’agriculture « classique » ?

 

Christophe David : L’agro-écologie peut augmenter les niveaux de production pour des agricultures du sud, où les agriculteurs n’ont pas tous les ressources financières pour acheter des produits phytosanitaires et des fertilisants. Pour cela, il est essentiel que la recherche et le développement se mobilisent pour améliorer les performances de ces agricultures à faible productivité, via une meilleure utilisation des ressources cultivées.

Mais pour les agricultures de nos pays continentaux, il y aura une baisse de rendement qu’il faudra assumer sans oublier les bénéfices environnementaux et sociaux que peuvent apporter la transition agroécologique. Cette baisse de rendement pourra être compensée au fur et à mesure s’il y a un vrai effort de recherche et de technologie en direction de cette agriculture plus écologique mais aussi économiquement performante.

JOL Press : Les coûts de production et les marges d’exploitation sont-ils les mêmes ?

 

Christophe David : C’est la distribution des coûts de production qui changent. Des pratiques plus agro-écologiques conduisent à mettre plus de travail, plus d’hommes, mais par contre moins d’intrants de synthèse.

Aujourd’hui, la marge, en agriculture est essentiellement permise par le niveau de production, c’est-à-dire par le rendement. Si vous baissez les rendements, les marges vont baisser, sauf si nous considérons que les autres bénéfices de l’agroécologie puissent être financés.

Cela veut dire que si l’on veut transformer l’agriculture mondiale vers des pratiques plus agro-écologiques, il va falloir qu’on revoie nos modes de soutien à l’agriculture. Aujourd’hui on soutient principalement la production et très peu les autres services : l’environnement, la préservation de la biodiversité, l’emploi rural – l’agriculture agro-écologique est pourvoyeur d’emplois.

JOL Press : Quelles pratiques ont, pour le moment, le mieux fait leurs preuves ?

 

Christophe David : La biotechnologie du vivant avance fortement sur la gestion durable des sols et la protection des cultures et des élevage.

La gestion agro-écologique des sols permet de restituer à la fois des nutriments à la culture, d’augmenter la biodiversité mais aussi d’assurer un certain nombre de services tels que la séquestration du carbone, la lutte contre le réchauffement climatique…

Plusieurs techniques ont déjà fait leur preuve, l’ISARA a récemment inventorié pour la FAO les pratiques agroécologiques et publie actuellement un manuel.

Mais il reste des pans énormes d’absence de connaissances pour lutter contre certaines maladies, certains prédateurs, adapter les cultures au changement climatique. La culture du coton, par exemple, est confrontée aujourd’hui à plusieurs ravageurs qui ne peuvent être contrôler que par des méthodes chimiques

JOL Press : L’agro-écologie peut-elle être adoptée par les agriculteurs du monde entier – y compris les pays en voie de développement ?

 

Christophe David Ce n’est pas un « luxe » de riches. C’est vraiment un choix technologique, celui de se servir du vivant. Ce n’est plus contrôler le vivant mais s’en servir, pour à la fois assurer son activité de production mais aussi assurer la protection de l’environnement et le développement de territoires ruraux.

L’agro-écologie n’est pas une posture de nanti. Elle n’est pas sectaire non plus : je ne vous ai pas dit qu’il fallait se débarrasser de tous les pesticides. L’agro-écologie conduit à une gestion raisonnée des intrants chimiques.

JOL Press : Comment penser la formation que nécessite un passage à l’agro-écologie pour les agriculteurs ? Celle-ci fait appel à des compétences moins mobilisées aujourd’hui : la connaissance des plantes et le sens de l’observation…

 

Christophe David : Il faut revenir au vivant. Revenir tout simplement à des formations de base en biologie, en écologie : bien comprendre comment marche un sol, une plante, etc.

Deuxième chose primordiale : renforcer le sens de l’observation.

Troisième chose: l’acceptation du risque. Aujourd’hui, on parle beaucoup de changement climatique ; les agriculteurs sont parfois effrayés par des sécheresses, un été très humide, etc. On n’a a pas du tout adapté nos modes de production au fait que l’on va avoir un climat de plus en plus contrasté. Il faut voir comment on peut prend en compte ces risques climatiques mais aussi économiques.

Quelle concrétisation politique ?

 

JOL Press : Le Parlement a adopté le 11 septembre dernier la loi d’avenir de l’agriculture. Celle-ci va « permettre à l’agriculture française une transition vers l’agroécologie », s’est félicité son rapporteur, le socialiste Germinal Peiro. Cette loi va-t-elle effectivement selon vous dans le bon sens ?

 

Christophe David : Le positionnement français en direction d’une agriculture plus agro-écologique est un positionnement majeur. Mais j’attends les concrétisations de tout cela !

Aujourd’hui, un agriculteur continue encore à constituer sa marge à partir de son niveau de production et non pas sur les autres services que l’agriculture assure : une préservation de l’environnement, des produits de qualité, une préservation des paysages ruraux, un maintien des services dans les zones rurales…

J’ai peur que, même si l’on dit que l’on veut produire autrement, certains lobbys n’aient les moyens d’édulcorer cette politique.

Cette loi est une étape supplémentaire. Mais on n’a pas encore changé de paradigme. On a dit qu’il fallait qu’on produise autrement, mais le soutien agricole se fait encore beaucoup sur la production, et donc sur le fait que, plus je produis, plus je vais gagner de l’argent

JOL Press : Quelle est la part des subventions dédiées à ce type d’agriculture plus écologique dans la politique agricole commune (PAC) de l’UE ? 

 

Christophe David : Les simulations de la nouvelle PAC sont pour l’instant non arrêtées, même si l’agriculture européenne sera surement plus agroécologique dans vingt ans. Mais il est évident que ces 15 dernières années, l’agriculture biologique, qui peut être vue comme un prototype de l’agriculture agro-écologique, a été soutenue en Europe.

Reste que, si l’on regarde le volume des subventions, le soutien va encore de façon majoritaire vers le soutien des prix et du marché.

Le congrès qu’organise les 18 et 19 septembre la FAO est un événement clé car il mobilise plusieurs pays. Il y a une réelle incitation en direction des agriculteurs du Sud, mais aussi de nos agricultures occidentales. C’est très très bien, c’est la première fois qu’il y a une vraie incitation.

Il faut par contre éviter d’opposer agro-écologie et économie. Aujourd’hui, et surtout demain, on pourra développer une agriculture agro-écologique économiquement performante. Mais pour cela, il faut trois choses : de la formation pour les agriculteurs, de la recherche, et une volonté politique forte.

 

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

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Christophe David est Directeur exécutif et Directeur scientifique à l’Institut supérieur d’agriculture et d’agroalimentaire Rhône-Alpes.

 

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