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Brésil: Marina Silva est-elle prisonnière du vote évangélique?

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JOL Press : En quoi l’arrivée de Marina Silva dans la course présidentielle a-t-elle bouleversé l’élection et la vie politique brésilienne ?
 

Stéphane Monclaire : L’arrivée de Marina Silva n’était pas prévue. Elle a su saisir l’opportunité qui s’offrait à elle : endosser le rôle de candidate alors qu’elle n’était pas sur la même ligne politique qu’Eduardo Campos, le candidat socialiste décédé.

Elle n’est pas un membre historique du parti mais elle est extrêmement connue au Brésil. Après la mort d’Eduardo Campos, elle a su bénéficié d’une couverture médiatique dont rêve tout candidat à l’élection présidentielle. Elle a pu envoyer des signaux très nets aux électeurs, concernant son positionnement politique, sa personnalité, et a réactualisé le personnage qui s’était dessiné il y a quatre ans lors de l’élection présidentielle. Elle a très bien su utiliser l’émotion qu’a suscitée la mort d’Eduardo Campos : elle s’est retrouvée très vite avec 18% des intentions de vote, beaucoup plus que le candidat défunt. Ce premier sondage a profondément changé la donne politique, car à partir de ce moment, Dilma Rousseff ne pouvait plus gagner dès le premier tour, il y avait trop d’obstacles à cela. 

Ces résultats ont également mis un terme à la bipolarisation très forte de la vie politique brésilienne. Depuis 1994,  toutes les élections présidentielles se ressemblaient : un candidat du Parti des Travailleurs faisait face au Parti socialiste brésilien (PSB). La vie politique nationale s’articulait entre une opposition entre deux machines politiques: il n’y avait pas d’espace pour un troisième parti, ou une candidature alternative à cette offre électorale.

JOL Press : Marina Silva incarne-t-elle cette alternative politique au Brésil ?  
 

Stéphane Monclaire : Oui, il y a un facteur essentiel à la montée de Marina Silva. Les Evangélistes ont certes tendance à se reconnaître en elle, mais cela ne suffit pas à faire la force de son score, qu’elle obtient surtout dans l’électorat jeune, urbain et scolarisé. C’est l’écho des manifestations qui se sont déroulées en mai-juin 2013 où jusqu’à trois millions de personnes étaient descendues dans les rues pour demander des changements politiques. Marina Silva parvient à incarner cette demande de changement, avec des mots et des formules bien choisis.

JOL Press : Selon un récent sondage, Marina Silva devancerait de 10 points Dilma Rousseff au second tour. Comment la présidente sortante peut-elle réagir ?
 

Stéphane Monclaire : Une élection présidentielle, c’est comme un TGV en marche. On ne peut changer facilement la direction d’un train lancé à 300 kilomètres heures. La campagne de Dilma Rousseff est lancée depuis des mois sur l’idée de la peur avec des phrases telles que « vous ne voudriez pas perdre tout ce que nous avons accompli jusqu’à présent ? », concernant la question des inégalités sociales. Dilma Rousseff est passée du statut de favorite à une position de battue : il lui faut donc réorganiser son discours et changer son image, qui sont forgés par sa communication politique depuis le début de son mandat. Elle avait bâti sa campagne sur les grands travaux qu’elle allait réaliser, et aujourd’hui, on essaie de passer sous silence les difficultés macroéconomiques qui la rattrape à toute vitesse et qui sont désormais exploitées par ses adversaires comme Marina Silva.

L’idée que le Brésil ne va pas bien économiquement se répand dans la société: le pays est en passe d’être en récession, la croissance ne cesse de diminuer, la balance commerciale est déficitaire concernant les produits industriels, l’économie brésilienne est confrontée à un manque de compétitivité dans le secteur industriel, ainsi qu’une inflation beaucoup trop haute. Dilma Rousseff est rattrapée par ces mauvais chiffres économiques. Le bilan très critique de Dilma Rousseff est en train de se répandre dans la population, ce à quoi la présidente sortante a beaucoup de mal à réagir. 

JOL Press : Dilma Rousseff ne peut-elle pas l’attaquer sur son incohérence concernant la question du mariage homosexuel ?
 

Stéphane Monclaire : Le programme de 240 pages publié par Marina Silva dresse la liste des problèmes que rencontre le pays, mais ce n’est pas un catalogue de mesures. Dans le chapitre société, il y avait un passage sur la nécessité d’adopter le mariage homosexuel. Dans les heures qui ont suivi la publication, les mouvements gays se sont enflammés soulignant l’indépendance d’esprit de la femme politique évangélique, qui avait affirmé quatre ans plus tôt son opposition à l’union des personnes de même sexe. Finalement, Marina Silva a fait marche arrière en arguant qu’elle n’avait pas vu cette partie du programme et rappelant qu’elle était personnellement opposée au mariage sexuel. Les communautés homosexuelles ont alors pensé qu’elle n’avait pas tant changé que cela, et qu’elle était prisonnière du vote évangélique

JOL Press : La marche arrière de Marina Silva sur la question du mariage gay va-t-elle lui coûter cher ?
 

Stéphane Monclaire : Marina Silva a en effet commis une erreur en n’assumant pas le programme. Jusqu’à la fin de la campagne, elle va se faire attaquer par plusieurs types de questions : les communautés homosexuelles vont lui en vouloir, les personnes opposées également, et les potentiels électeurs se disent qu’elle change d’avis. En France, cette erreur stratégique aurait été redoutable, brisant son image, et donnant des marges de manœuvre très importantes à ses adversaires. Mais au Brésil, la plupart de la population suit d’assez loin la campagne électorale et ne va pas trop prêter attention à cette polémique. Bien sûr, Marina Silva a perdu des voix dans les milieux jeunes, et dans les milieux à fort niveau d’instruction souhaitant une évolution des mœurs, mais il faut se rendre compte de l’importance du vote évangélique, du poids de certaines églises évangéliques, qui ont applaudi la position de Marina Silva sur le mariage homosexuel, invitant leurs fidèles à voter pour elle lors du second tour de l’élection. Si d’un côté, elle risque de perdre des voix et de se faire embêter par ses adversaires sur cette thématique, elle en sort gagnante électoralement sur ce positionnement. 

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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Stéphane Monclaire est politologue, spécialiste de l’Amérique latine. Il est maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

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