Entretien avec le général Jean-Claude Allard, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques.
Réunis à Paris lundi 15 septembre, les membres de la Coalition internationale visant à soutenir l’Irak dans sa lutte contre l’Etat islamique ont plaidé pour un renforcement militaire sur place. Les Etats-Unis tout comme la France se sont engagés à fournir un soutien aérien et à intensifier les raids dans les régions investies par l’EI. Pourtant, pour de nombreux experts, c’est au sol que devra se livrer la véritable lutte contre les djihadistes.
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(Crédit photo : Maxim Tarasyugin/Shutterstock.com)
Dans la lutte contre l’Etat Islamique, les Etats-Unis se sont dit prêts à intensifier les raids aériens en Irak. Dans quelle mesure ces actions pourraient-elles affaiblir les islamistes ?
Général Jean-Claude Allard : D’un point de vue tactique, l’augmentation des frappes aériennes – et il y en a déjà eu plus de 150 – vont causer des dégâts sur les forces combattantes de l’Etat Islamique, dont le nombre se limite à quelques dizaines de milliers d’hommes.
Des pertes seront donc toujours durement ressenties et permettront de stabiliser sinon enrayer l’avance actuelle de l’EI. En conjonction avec des troupes au sol – les troupes kurdes ou l’armée irakienne si elle se ressaisit – ces frappes pourraient même permettre de reconquérir du terrain.
Quelles sont les cibles visées par ce type de raids aériens ?
Général Jean-Claude Allard : Avant toute campagne de frappes aériennes, une campagne de reconnaissance est indispensable. Les premiers vols français ont été largement médiatisés, les Américains s’y livrent aussi afin de recueillir des renseignements.
Ces missions ont pour objectif de déterminer quels sont les points clés de la puissance ennemie. Qu’il s’agisse de l’emplacement des forces combattantes, regroupées et prêtes à agir, de l’emplacement des stocks et de la logistique qui leur permettent d’avancer, ou encore de l’organisation de la chaîne de commandement et de communication (états-majors et postes de commandement). Enfin, ces missions peuvent également nous indiquer quels sont les points clés sur le terrain qui peuvent empêcher l’ennemi de conquérir du territoire, un pont, un passage obligé. Tous ces points clés constituent autant d’objectifs possibles à inclure dans un plan de frappe aérienne qui s’étendra sur des semaines. Il y a par ailleurs des missions d’appui aux forces combattantes au sol qui se feront en fonction de leurs manœuvres et des attaques dont elles pourraient faire l’objet.
La France n’a également parlé qu’une d’une intervention aérienne, en réponse aux souhaits de l’Irak. Cependant, pour éradiquer l’Etat Islamique, l’envoi d’hommes au sol n’est-il pas indispensable ?
Général Jean-Claude Allard : Bien entendu, si l’objectif final est d’éliminer l’Etat islamique, il est vraisemblable que ces campagnes de frappes aériennes seront insuffisantes car si aujourd’hui les islamistes, organisés en unités constituées pour attaquer des cibles selon des modes de tactiques militaires assez classiques, sont vulnérables, ils peuvent revenir à des modes de combat moins traditionnels. En se fondant dans la population, en utilisant des boucliers humains, en ne se déplaçant que dans les zones à forte concentration humaine, ils pourront échapper à ces frappes.
Ils poursuivront alors certainement leurs actes purement terroristes que sont, par exemple, la décapitation de prisonniers occidentaux.
Certains pays membres de la coalition refusent quant à eux toute intervention militaire, par crainte de provoquer l’escalade de 2003. Selon vous, ce scénario est-il probable ?
Général Jean-Claude Allard : Puisqu’il est difficile d’occuper le terrain sur d’aussi vastes espaces pour contrôler les combattants de l’Etat islamique et les populations, il y aura nécessairement des dérapages de l’Etat islamique et de ces soutiens – les groupes terroristes islamistes disséminés partout dans le monde et particulièrement dans l’axe Océan Atlantique – Océan Indien.
Des phénomènes de solidarité et de renforcements des actions des milices djihadistes au Mali, en Libye, en Centrafrique, au Nigeria ou encore en Somalie pourraient survenir. Tous ces groupes sont liés par le sentiment d’appartenance à un même ensemble qui défend l’islamisme radical. Si aujourd’hui ils sont indépendants, demain, sous des frappes de la coalition, ils pourraient mieux se concerter pour développer des actions de toute sorte, qu’elles soient militaires sur les territoires sur lesquels ils sont enracinés ou purement terroristes contre des intérêts des membres de la coalition.
Pensez-vous, comme certains le prédisent notamment parmi les politiques français, que la lutte contre l’Etat islamique est un combat de plusieurs dizaines d’années ?
Général Jean-Claude Allard : C’est certain. Il faut observer cette situation au niveau tactique et au niveau stratégique. La stratégie est la vision sur le long-terme et la tactique est l’application de cette vision au jour le jour. Quand nous nous lançons dans ce genre de frappes, nous sommes dans la tactique. Ce qu’il faut arriver à définir, c’est ce que nous voulons pour cet ensemble de pays du Proche Orient et comment nous devons agir pour parvenir à cet objectif.
Aujourd’hui, c’est l’Occident qui dirige et qui essaie d’apporter une réponse, mais je ne suis pas sûr que les solutions à long-terme et donc les stratégies éventuelles soient réellement ce que veulent les puissances de la région – l’Iran, la Turquie, l’Arabie Saoudite. Il appartient à ces pays de trouver les solutions d’équilibre de puissance, avec notre aide en situation neutre, sans partie pris pour l’un ou pour l’autre. Un renouveau de la politique occidentale dans la région est nécessaire.
Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press