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De la basse politique en «République des apparatchiks»

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La rentrée « littéraire » est agitée. Signe des temps, sans doute…

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Sans attendre sa publication, jeudi 18 septembre, un livre est l’objet de toutes les attentions et des rumeurs les plus croustillantes. Ce n’est pas le tome 2 des « mémoires » de Valérie Trierweiler, mais « A tous ceux qui ne se résignent pas à la débâcle qui vient » dans lequel Laurent Mauduit enchaînerait les révélations compromettantes sur quelques hiérarques du Parti socialiste.

La mise à jour de faits soupçonnés

A table ! Mercredi, Jean-Christophe Cambadélis a eu le « privilège » d’être le premier servi. De l’enquête de l’auteur, façon Mediapart dont il est le co-fondateur, la médiasphère a retenu dans l’ordre les conditions « douteuses » de l’obtention en 1985 d’un doctorat en sociologie, le parachutage « armé », en 1988, dans une des circonscriptions législatives du 19ème arrondissement de Paris et –accessoirement car, après tout, cela se savait… – l’ADN trotskiste – lambertiste pour être précis – du Premier secrétaire du Parti socialiste.

Jeudi, on nous promet que viendra le tour du Premier ministre d’être « mangé » à la sauce Médiapart. Que révèle Laurent Mauduit ? Quelles seront les accusations portées, à quelques décennies d’intervalle, sur le jeune Manuel Valls ? Qu’aura-t-il fait, ou laissé faire, seul ou avec quelques-uns de ses bons amis ? Quelles anecdotes croustillantes nous inviteront à « revisiter » son ascension – de la Rocardie à la Jospinie, jusqu’à la Hollandie – ou encore sa conquête de son bastion d’Évry ? A l’heure où ces lignes sont écrites, le secret reste bien gardé.

Au-delà du buzz…

Une chose parait sûre. Si le plan média, conçu autour de la publication anticipée de « bonnes feuilles » sur le site Mediapart met en avant ces accusations, il y aurait bien plus que cela dans le pamphlet de Laurent Mauduit et ce qui plait, ce qui fait parler, n’est publié qu’en appui d’une démonstration bien plus sérieuse, et peut-être essentielle. « A tous ceux qui ne se résignent pas à la débâcle qui vient » serait en fait un cri d’alarme, un appel de plus à la réaction devant le destin tragique de notre République.

Philippe Riès, lui-même journaliste à Mediapart, a accepté, de discuter avec nous de cet ouvrage. S’il n’avait pas encore lu le livre de notre confrère, au moment de notre conversation, il connaît bien le projet.

« Tout le monde savait »

Il le confirme, les « histoires » – comme on écrirait les « affaires » – de Cambadélis n’auront surpris personne. Ancien membre – pendant dix ans – de l’Organisation communiste internationale ou OCI, la mouvance trotskiste à  laquelle a appartenu Jean-Christophe Cambadélis et tant d’autres responsables socialistes de cette génération, ancien vice-président de l’UNEF, le syndicat étudiant où ces mêmes « éléphants » ont fait leurs classes, il a suivi de longue date le parcours de celui-ci, pourtant de quelques années son cadet.

Pour le diplôme usurpé, nombreux étaient ceux qui avaient pu constater que Jean-Christophe Cambadélis avait passé plus de temps à militer qu’à étudier, comme étaient nombreux ceux qui n’avaient pas été particulièrement frappés par la supériorité intellectuelle du « docteur »… Pour le parachutage, il est certain que le même avait été à bon école et avait appris chez les trotskistes tous les rudiments – pas très propres – de la « politique », de l’entrisme au bourrage des urnes, de l’intimidation au coup de poing… Pas de surprise donc, même si Philippe Riès regrette que, toutes ces accusations vérifiées, d’autres – surtout ailleurs – démissionneraient ou seraient poussés à la démission. C’est précisément ce qui est arrivé, au Portugal, à Miguel Relvas, ministre dans le gouvernement de Pedro Passos Coelho. Une fois révélé qu’il avait obtenu un diplôme grâce à des équivalences professionnelles – ses fonctions politiques en l’occurrence -, il a été poussé à la démission. Les Portugais, non sans humour, l’accueillaient, dans chacun de ses déplacements, avec des pancartes où était inscrit, « Vas étudier, Relvas ! ». Vérité au-delà des Pyrénées, erreur en-deça !

Une « République des apparatchiks »

On toucherait ici au cœur du propos, aux sources de « la débâcle qui vient ». C’est la professionnalisation à l’excès de notre vie politique. Notre république est devenue une « République des assistants parlementaires » ou, plus largement, une « République des apparatchiks ».

Aujourd’hui, les « meilleurs d’entre nous » – concédons qu’il reste peut-être une ou deux exceptions – ne s’engagent plus au service de la collectivité, que ce soit d’ailleurs en politique ou dans la haute fonction publique. Ces « meilleurs », ils rejoignent la City ou créent des entreprises en Californie et les carrières politiques se construisent davantage à la tête des syndicats étudiants ou branches jeunesse des partis politiques que dans la botte des meilleures grandes écoles. Récemment, Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective de France Stratégie, ne pointait-il pas du doigt que 40% des députés élus en 2012 n’avaient jamais véritablement travaillé, aspirés qu’ils avaient été par leurs carrières politiques.

Comme le prouve l’exemple de Jean-Christophe Cambadélis, le phénomène n’est pas nouveau. Des « apparatchiks » gracieusement récompensés pour leur extrême loyauté, notre époque n’a rien inventé. Mais ce phénomène aurait pris de telles proportions qu’il en vient à menacer notre République, et l’exercice de la démocratie.

L’appauvrissement du personnel politique

Cela s’explique notamment par la remise en cause du niveau national comme échelle appropriée à la résolution des problèmes de notre temps. Adaptation aux changements climatiques, traitement de la mondialisation économique, menace djihadiste… aucun de ces défis ne saurait être relevé par les États-nations en dehors de coopérations régionales ou mondiales. Et, parallèlement, les citoyens exigent un exercice direct du pouvoir au niveau local. Cela expliquerait, pour partie, l’appauvrissement de la qualité objective du personnel politique.

Ensuite, il y a une spécificité, un mal français, le cumul, l’exercice simultané de plusieurs fonctions et leur exercice durablement, dans le temps. L’absence d’un système efficace de renouvellement de la classe politique ne vient qu’aggraver son appauvrissement.

Enfin, la professionnalisation excessive de la politique expliquerait un certain nombre de dérives, comme celles que pointerait Laurent Mauduit dans son livre. Le jeu démocratique, même malmené, demeure et il arrive qu’un « professionnel » de la politique perde une élection. Battus – « licenciés » -, il ne peut alors plus vivre de la politique et pour survivre il peut se laisser aller à certaines dérives, des raccourcis avec la morale et, parfois, la loi…

« A tous ceux qui ne se résignent pas… »

Le mal est prégnant et Laurent Mauduit dirait haut et fort ce que beaucoup pressentent. Ces pratiques d’apparatchik et la méconnaissance de la vie réelle de nos représentants, entre maux, dépossèdent les électeurs du jeu démocratique et – on ne le rappellera sans doute jamais trop – fait le jeu des populistes et des extrémistes de tout acabit. Ne nous trompons pas, c’est bien ce mal et non sa dénonciation – comme certains ont cherché longtemps à nous faire croire – qui renforce les adversaires de la démocratie.

Que ce « A tous ceux qui ne se résignent pas à la débâcle qui vient » appelle ou non, dans la tradition Médiapart, à d’éventuelles suites judiciaires paraît en l’occurrence secondaire. En revanche, qu’il puisse contribuer à l’ouverture d’un débat authentique débouchant sur une alternative à la « débâcle » promise, c’est primordial. Et, alors, le sort de ceux qui auront abusé du système défaillant sera scellé. 

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