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Déficit public: le chiffre de la dérive

L’événement majeur de la semaine – avec le déplacement du Président de la République en Irak, destiné à faire face aux fous furieux de l’Etat Islamique – est sans doute un chiffre, plutôt passé au second plan des commentaires du microcosme politique et médiatique, tombé comme un pavé dans la mare européenne.

Le déficit public français monterait cette année à 4,4% de notre produit intérieur brut, selon les propres estimations du Ministre des Finances. Pour la énième fois, la France s’illustre par son incapacité à réduire son endettement colossal qui, depuis des années, contribue à plomber notre économie et à réduire sévèrement toutes marges de manœuvres budgétaires.

On pourrait se dire tranquillement que la dérive n’est pas nouvelle, que l’objectif des 3% de déficit – fixé par l’Allemagne et la France il y a 20 ans – n’est pas fait pour nous et ne convient qu’aux Allemands qui ont réussi, eux, malgré la terrible crise financière de 2008, à mettre cette année à l’équilibre leurs comptes publics, et donc à retrouver une pleine capacité d’investissement dans les secteurs clés pour l’avenir.

On pourrait aussi se dire, pour se rassurer, qu’il y a bien d’autres sujets importants et amusants, comme le règlement… de comptes de Valérie Trierweiler, la « phobie administrative » d’un député socialiste, ou les « affaires » qui précèdent en fanfare le probable retour sur scène de Nicolas Sarkozy, en candidat à la présidence de l’UMP. On pourrait se réjouir de tous ces feuilletons vaudevillesques et abracadabrantesques sans s’inquiéter outre mesure d’une dérive économique et sociale des Continents, qui place l’Europe dans une croissance très molle et la France au bord de la récession.

Le petit théâtre de boulevard politique pourrait encore distraire, au sens aussi de diversion, si des millions de Français n’étaient pas en souffrance – sociale et morale -, si notre pays n’était pas en crise d’identité – culturelle – et si ne pointaient pas à l’horizon des désillusions nationales le risque d’une anémie civique, le repli sur soi, et le risque d’une montée protestataire, pouvant être canalisée et instrumentalisée, aux premières occasions, par un parti qui se prétend « hors système » et qui s’appelle le mouvement de la démagogie national-populiste et xénophobe, un mouvement « bleu Marine » qui a gardé les deux initiales du « parti de Papa » : FN. Quand la souffrance sociale – heureusement limitée par une série de protections – rejoint la crispation nationale, on sait ce que l’histoire peut réserver.

On peut toujours se rassurer – à bons… comptes ? – en se disant que, naturellement, 2014 n’a rien à voir avec 1934. Bien sûr. Notre Europe d’aujourd’hui est bien plus solidaire que celle des années 30. Le règne bienheureux de la transparence démocratique fait aussi que les dérives autoritaires et dictatoriales seraient aujourd’hui, si elles surgissaient dans l’espace européen, aussitôt mises en lumière et combattues. Mais il faut prendre garde, néanmoins, aux dérivatifs qui, d’ « affaires » en « affaires », d’élections en élections, de rendez-vous budgétaires manqués en insouciances répétées, peuvent finir par anesthésier des démocraties qu’on croyait solides. Et qui peuvent d’un seul coup, surtout en France où on a certaines habitudes en ce domaine, être en proie au doute, puis à des vieux démons : une vieille culture des soubresauts de type révolutionnaire caractérise, depuis plus de deux siècles, notre pays et notre peuple. Gare aux petites étincelles qui, sur le front social ou politique, peuvent faire de grandes explosions.

Jean-Philippe MOINET, 

directeur de la Revue Civique, 

éditorialiste à JOL Press.

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