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La junte militaire au pouvoir en Thaïlande: un scénario à la birmane

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Parade militaire de l’armée royale thaïlandaise (Crédit : Shutterstock).

Le 22 mai dernier, la junte militaire thaïlandaise chassait du pouvoir Yingluck Shinawatra, sœur de Thaksin Shinawatra, lui-même Premier ministre renversé en 2006.

Etait-ce afin de restaurer l’ordre public après sept mois de manifestations meurtrières contre le gouvernement dans un royaume profondémment divisé entre les ennemis et les partisans du Thaksin, comme le prétendent les putshistes ? Ou bien plutôt pour se débarasser de l’influence du milliardaire, considéré par les élites traditionnelles, dont l’armée, comme une menace à la royauté, comme penchent les experts ?

Le 30 août, la junte a nommé Premier ministre le général Prayut à la tête d’un gouvernement dominé par les militaires, après avoir annoncé que toute élection est repoussée, au mieux, à la fin 2015.

Entretien avec Mireille Boisson, coordinatrice d’Amnesty International, auteur d’un rapport publié en France ce mercredi 11 septembre, pour évoquer l’alarmante déterioration des droits de l’Homme dans un pays où la Constitution reste suspendue.

 

JOL Press : Que nous enseigne le rapport Amnesty rendu public en France ce mercredi 11 septembre ? 
 
Mireille Boisson : Le titre du rapport est éloquent : « Réajustement de l’attitude »… Il renvoie au projet de la junte militaire, qui arrête les gens pour « réajuster » leur attitude. Pour moi, c’est une autre façon de dire « lavage de cerveau ».
 
Les grands chapitres du rapport s’intitulent : la liberté d’expression et d’association ; les procès inéquitables ; les mauvais traitements ; les détentions arbitraires. 
 
JOL Press : La loi martiale décrétée l’avant-veille du coup d’Etat est toujours en vigueur sur l’ensemble du territoire. Que cela implique-t-il dans la vie de tous les jours des Thaïlandais ?
 
Mireille Boisson : Les sites web ont été censurés, les radios et les télévisions libres coupées. Tout rassemblement de plus de cinq personnes est interdit.
 
Et tout propos ou publication qui porterait atteinte à l’« harmonie » de l’Etat ou au « bonheur » des Thaïlandais peut vous faire convoquer par la police pour qu’on « réaligne » votre attitude.
 
JOL Press : La junte arrivée au pouvoir par un coup d’Etat en Thaïlande a installé un gouvernement dominé par les militaires, lesquels ont prévenu que la junte serait maintenue en parallèle au gouvernement, alors que toute élection est repoussée à la fin 2015. Assiste-t-on à une nouvelle étape du verrouillage du système politique ?
 
Mireille Boisson : Complètement ! Tout opinion divergente de la junte – qui s’est attribué le nom de Conseil national pout la paix et l’ordre… – est réprimée. On ne peut plus se réunir, on ne peux plus parler ; les publications sont interdites. 
 
Les opposants sont convoqués par la police ; ils passent une semaine en prison, la plupart du temps en isolement, sans accès, bien sûr, à un avocat. Au bout de sept jours, on leur dit : « Si vous voulez sortir, signez ce papier disant que vous vous engagez à ne pas reprendre d’activités politiques. ». Mais comment définit-on une activité politique ? Si on ne peut pas exprimer son opposition, je ne vois pas comment on peut faire de la politique !
 
Ceux qui ne se présentent pas à la convocation sont arrêtés et traduits devant des tribunaux militaires, c’est-à-dire des procès sans appel. On a menacé d’arrêter leurs familles. On a par ailleurs le témoignage d’au moins deux personnes qui ont été torturées.
 
La situation actuelle en Thaïlande me fait tout à fait penser à ce qui s’est passé sous la junte en Birmanie : toute expression autre que l’expression officielle est absolument interdite.
 
Une élection organisée en 2015 ? Personne n’y croit là-bas. La junte semble installée au pouvoir pour bien longtemps. Comme tout rassemblement de plus de cinq personnes est interdit, vous ne pouvez pas manifester, et maintenant qu’il se répand des bruits de torture et de mauvais traitements, les gens ont encore plus peur. Comment pourrait s’organiser une résistance dans ces conditions ?
 
JOL Press : Le gouvernement tout juste mis sur pied ne fait place à aucune figure modérée qui aurait pu amorcer un signe de réconciliation avec Thaksin Shinawatra – dont le parti continuait de gagner les scrutins nationaux depuis le coup d’Etat de 2006. Est-ce une erreur de la part du général Prayut, dans la mesure où cela pourrait insuffler un nouveau souffle au soutien envers Thaksin ?
 
Mireille Boisson : C’est probablement une erreur, oui. Mais, un nouveau souffle… comment s’exprimerait-il ? Puisque toute opinion dissidente est complètement étouffée. L’armée est partout, l’armée arrête tout le monde de façon très indiscriminée, on ne voit vraiment pas comment une opposition pourrait avoir les moyens de s’organiser.
 
Cela ne peut venir pour le moment que du bon vouloir des militaires qui organiseraient des élections régulières, mais, cela, ce n’est pas imaginable pour le moment.
 
 
Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press
 
 
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