Site icon La Revue Internationale

L’agriculture, responsable de 30% des émissions de CO2 dans le monde

agriculture-pollution-agro-ecologie.jpgagriculture-pollution-agro-ecologie.jpg

[image:1,l]

L’agro-écologie, en tant que pratique agricole, utilise les propriétés écologiques provenant de la nature mieux que l’agriculture conventionnelle, laquelle est à l’inverse très gourmande en intrants chimiques. (Crédit : Shutterstock)

 

JOL Press : Le directeur général de la FAO*, M. Graziano da Silva, s’est félicité du lancement, lors du Sommet de l’ONU sur le climat, d’une nouvelle « Alliance mondiale de l’agriculture intelligente face au climat ». Qu’est-ce que cette alliance ? 

 

Marion Guillou : Lors du lancement de cette alliance, la semaine dernière à New York, il y avait déjà plus de 100 signataires, notamment la France, représentée par Madame Girardin.

L’objectif de cette alliance est de mettre des ressources et des expériences en commun pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique et travailler à l’adaptation au changement climatique du secteur agricole.

Pour ce faire, l’alliance s’organise à ce jour en trois groupes de travail. Le premier, scientifique et technique, est dédié aux échanges dans les réalisations en matière d’agriculture ; le deuxième réfléchit aux financements et aux assurances – il y aura nécessité de développer des propositions d’assurances dans le contexte de plus grande fréquence de conditions extrêmes liée au changement climatique ; le troisième groupe de travail est politique.

JOL Press : En quoi l’agro-écologie peut-elle figurer parmi les pistes soulevées par l’agriculture intelligente face au climat ?

 

Marion Guillou : L’agro-écologie en tant que pratique agricole vise à utiliser mieux que l’agriculture conventionnelle les propriétés écologiques provenant de la nature. L’agro-écologie conjugue objectifs de performance économique et de performance environnementale.

Par exemple, le fait d’ ajuster l’apport d’azote au juste besoin des plantes recèle tout aussi bien une vertu environnementale, en limitant les fuites dans les milieux, qu’une vertu économique pour les agriculteurs, tout en permettant de réduire les dégagements de protoxyde d’azote, qui est un gaz à effet de serre extrêmement puissant.

JOL Press : Quel est, à l’heure actuelle, l’état des efforts faits en matière de transition vers l’agro-écologie, dans le monde et en France ?

 

Marion Guillou : L’agro-écologie est pratiquée par de nombreux groupes d’agriculteurs à travers le monde. Elle contribue localement à lutter globalement au réchauffement climatique.

La volonté de Stéphane Le Fol [le minsitre français de l’agriculture, ndlr] d’encourager l’agriculture française sur la voie d’une transition agro-écologique va dans la bonne direction, car ces pratiques dans leur diversité sont à la fois plus respectueuses de l’environnement, viables pour les agriculteurs, et salutaires pour la société.

Il y a de nombreux endroits dans le monde où il se fait des choses importantes en matière d’agro-écologie. Notamment au Brésil. La motivation initiale n’a pas été liée à une volonté politique de lutte contre le changement climatique. Du fait des risques d’érosion des sols, les agriculteurs eux-mêmes ont en effet recherché comment maintenir les sols par leur couverture ou comment, en limitant le labour, mieux les conserver. De ce fait, les agriculteurs brésiliens ont développé des méthodes agro-écologiques très élaborées, désormais pratiquées sur des millions d’hectares.

On a observé le même phénomène d’initiatives à même de répondre à des contraintes locales au Maroc, en Chine, en Afrique…

De la même manière encore, en France, des agriculteurs, pionniers ont innové dans des pratiques agro-écologiques, soit parce que le sol s’appauvrissait, soit parce qu’il y avait de l’érosion – comme en Normandie -, soit pour limiter l’utilisation des pesticides… Chaque groupe d’agriculteurs a eu ses raisons propres, a mis au point des systèmes adaptés aux conditions géographiques et humaines ; et ces systèmes agro-écologiques sont extrêmement divers (l’agriculture biologique, l’agriculture de conservation, l’agriculture de précision, la lutte intégrée..), mais à chaque fois l’impact positif sur l’environnement comme l’efficacité économique sont recherchés.

JOL Press : L’agro-écologie permet de combiner performances environnementales et économiques. Pourquoi, alors, l’agro-écologie peine-t-elle encore à être adoptée, dans le monde et en France ?

 

Marion Guillou : Les pratiques agro-écologiques sont des pratiques différentes des pratiques conventionnelles mises en place au cours de la deuxième moitié du XXème siècle. En effet, on a demandé par exemple aux agriculteurs de nourrir la France au sortir de la guerre ; à l’époque, ils ont répondu avec tout un ensemble d’appuis techniques et économiques, dont la politique agricole commune (PAC), et ont réussi à le faire en mécanisant, en intensifiant l’usage des engrais, des pesticides…

Ces pratiques agricoles ont permis de nourrir la France – au niveau mondial, la production agricole a été multipliée par 2,4 entre 1960 et 2000 -, mais ces pratiques ont eu progressivement des effets délétères sur l’environnement.

Le cahier des charges fixé aux agriculteurs aujourd’hui s’est complexifié. Maintenant, il faut à la fois nourrir le monde, certes, mais aussi respecter la durabilité des ressources naturelles et diminuer les émissions de gaz à effet de serre.

Il y a donc une nécessité que les agriculteurs adaptent leurs pratiques. Or, dans toutes les professions, quand vous devez changer de pratiques, vous prenez un risque.

JOL Press : De combien de rejet de CO2 l’agriculture est-elle responsable, dans le monde et en France ?

 

Marion Guillou : L’agriculture est responsable de près de 30% des rejets de CO2 dans le monde, si vous comptez la déforestation – c’est-à-dire le fait que dans certaines parties du monde on détruit des forêts pour cultiver.

Elle représente 20% des émissions françaises.

JOL Press : Combien de rejet de CO2 la substitution de produits et énergies non renouvelables par des « bioproduits » pourrait-elle permettre d’économiser dans le monde et en France ?

 

Marion Guillou : Lors de la photosynthèse, les plantes absorbent le CO2 pour produire leur carbone ; leur utilisation permet donc d’être neutre du point de vue des émissions de gaz à effet de serre. Par conséquent, à chaque fois que vous remplacez une tonne de pétrole par l’équivalent énergétique de carburant d’origine renouvelable (plantes, algues…), vous diminuez les émissions de gaz à effet de serre.

La proportion de rejets de CO2 économisés dépendra de l’importance de la substitution de carbone fossile par du carbone renouvelable. Mais cela pourra devenir très important.

Aujourd’hui, 11% de l’énergie dans le monde provient de la biomasse, à travers l’utilisation du bois par exemple. Ce pourcentage pourrait augmenter avec le développement des biocarburants de seconde génération, des matériaux issus de substances renouvelables.

En France, la substitution par des bioproduits permet déjà d’économiser l’équivalent de 80 millions de tonnes de CO2 par an, à comparer aux 100 millions de tonnes émises par l’agriculture.

 

* L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (ou FAO en anglais : Food and Agriculture Organization of the United Nations)

 

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

—–

Marion Guillou, est agronome spécialiste de la sécurité alimentaire mondiale, Présidente d’Agreenium, l’institut français de coopération en Agro-Sciences.

 

Quitter la version mobile