Site icon La Revue Internationale

Le droit de véto au Conseil de sécurité: vers la fin d’un privilège?

[image:1,l]

(Photo : Stuart Monk/Shutterstock.com)

François Hollande a tenté de relancer, jeudi 25 septembre, le débat sur la limitation du droit de véto des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU en cas de « crimes de masse ». Qu’impliquerait cette réforme ?
 

Bruno Tertrais : Cela signifierait que des pays tels que la Chine ou la Russie, généralement hostiles à l’adoption d’une résolution contraignante par le Conseil de sécurité, qui peut impliquer une action sans accord du gouvernement concerné, renonceraient à ce droit de véto et ne pourraient donc pas empêcher une telle action.

Quels types de « crimes » seraient concernés ?
 

Bruno Tertrais : L’exemple le plus récent est bien entendu celui de la Syrie dans la mesure où la Chine et la Russie ont opposé plusieurs fois leur véto à des résolutions concernant ce pays.

Plus généralement, cette proposition s’inscrit dans le fil du principe de la responsabilité de protéger, consacré par l’ONU à plusieurs reprises. Ce principe suppose qu’un pays a le devoir de protéger sa propre population, faute de quoi d’autres pays pourront le faire à sa place.

Toute la difficulté réside cependant dans la définition de ce qu’est un « crime de masse ».

Quelle pourrait être cette définition ?
 

Bruno Tertrais : Juridiquement, cette expression serait différente du génocide ou du crime contre l’humanité dans la mesure où il n’y a pas forcément intention génocidaire et puisqu’il n’y a pas forcément de crime de masse dans un crime contre l’humanité.

Je pense qu’il s’agirait alors d’une définition politique et on ne peut pas imaginer qu’un chiffre soit fixé à l’avance.

De nombreuses difficultés pourraient être rencontrées dans l’ébauche d’une telle définition. Par exemple, une opération telle que celle qui s’est déroulée récemment à Gaza ne manquerait pas d’être qualifiée à tort par certains membres de l’ONU comme un crime de masse.

Il faut considérer les deux termes « crime » et « masse ». Il s’agirait d’actions commises délibérément contre les populations civiles, ce qui n’est pas le cas des interventions militaires menées par les pays occidentaux ; même si certains bombardements peuvent conduire à la mort de populations civiles, ce n’est pas le but recherché.

Concernant le deuxième terme, il s’agit de définir à partir de quel nombre on peut parler de crime de masse. Quelques dizaines de personnes ne relèveraient pas forcément d’un tel type de crime. A partir de plusieurs centaines, on serait probablement dans ce que la France entend par ce terme.

Dans l’histoire récente, on peut citer des exemples allant de la Bosnie jusqu’au Rwanda.

Réformer ce droit de véto pourrait-il être dangereux ?
 

Bruno Tertrais : Si les membres permanents renoncent de leur propre chef à ce droit de véto, et s’ils gardent une certaine flexibilité pour définir un crime de masse, je ne vois pas en quoi cela pourrait être dangereux.

Au contraire, ce pourrait être tout à fait bénéfique pour les populations concernées. Toutefois cette proposition n’a sans doute aucune chance d’être adoptée.

Quels sont les soutiens et les opposants de la France sur ce sujet ?
 

Bruno Tertrais : Les pays ne se sont pas officiellement exprimés sur le sujet mais on peut d’emblée dire que s’agissant des membres permanents, les Etats-Unis et le Royaume-Uni prêtent une oreille attentive aux propositions françaises tandis que la Russie et la Chine y seront probablement très opposées.

Au-delà de cette réforme, beaucoup parlent également d’élargir le Conseil de sécurité de l’ONU. Où en sont les débats à ce sujet ?
 

Bruno Tertrais : Ce sujet est à l’ordre du jour depuis très longtemps. Il s’agit plus précisément d’accroitre le nombre de membres permanents puisque le nombre de membres non-permanents a déjà augmenté au cours de l’histoire.

C’est un débat qui a, là encore, très peu de chances d’aboutir dans la mesure où le reste de la communauté internationale n’arrive pas à s’entendre sur l’identité des pays qui pourraient rejoindre le Conseil de sécurité en tant que membre permanent.

Dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, quels pays pourraient prétendre à une place dans ce conseil élargi ?
 

Bruno Tertrais : Les pays qui auraient la plus forte légitimité pour rejoindre ce Conseil de sécurité sont les pays qui combinent plusieurs critères. D’abord leur importance économique puis leur disposition à participer activement, à la fois financièrement et militairement, au système de maintien de la paix, qui est la raison pour laquelle le Conseil de sécurité a été créé.

 A partir de là, on peut imaginer que des pays tels que l’Allemagne, le Japon et l’Inde seraient particulièrement légitimes pour devenir membres permanents.

Cependant, ce Conseil élargi ne verra sans doute jamais le jour, notamment parce que certains des membres permanents ne veulent pas voir leurs rivaux accéder au Conseil. Pour la Chine, par exemple, l’accession de l’Inde ou du Japon n’est pas concevable.

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

Quitter la version mobile