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Le Haut-Karabagh veut assumer son propre destin

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JOL Press : Pouvez-vous préciser dans quel cadre s’inscrivait ce déplacement au Haut-Karabagh ?
 

Alain Néri : Comme vous le savez, la République autodéterminée du Haut-Karabagh n’est pas encore reconnue par la communauté internationale. La délégation que je présidais s’est donc rendue à titre privé au Haut-Karabagh pour se rendre compte par elle-même de la réalité institutionnelle et sociale du pays et pour tenter de dégager des pistes qui puissent contribuer à normaliser la situation. Pour trois d’entre nous, ce voyage constituait une première et nous permet de témoigner du vécu concret d’une population, au-delà des postures et des discours des chancelleries souvent loin du terrain.

Jacques Remiller : Absolument ! Notre déplacement relève de la diplomatie parlementaire et s’inscrit dans ce que les experts appellent des mesures d’instauration de la confiance. C’est en quelque sorte un accompagnement ou une substitution par la société civile de la diplomatie officielle des Etats et des gouvernements. En ce qui me concerne, il s’agissait de mon cinquième déplacement au Haut-Karabagh et je peux témoigner des changements observés.

JOL Press : Vous voulez parler du conflit larvé avec l’Azerbaïdjan et des négociations en cours ? 
 

Jacques Remiller : Non. Je veux parler du changement d’état d’esprit qui s’est opéré parmi les Karabaghiotes. Les habitants du pays ont progressivement cessé d’attendre le seul soutien de l’Arménie voisine pour assumer avec vigueur leur propre destin. Aujourd’hui, clairement, le pays mène une politique autonome et décomplexée, même si évidemment l’alliance politique et les liens compatriotiques subsistent avec l’Arménie. Le résultat de ce changement de mentalité, c’est une prise en main du Karabagh par lui-même qui induit un dynamisme économique remarquable. Le pays est saisi d’une véritable fièvre de construction et de reconstruction. En particulier les systèmes d’adduction d’eau potable et d’évacuation des eaux usées couvrent maintenant 70% de la population.

Alain Néri : Nous nous sommes par exemple rendus à Chouchi, la capitale spirituelle du pays, là où résident les bâtiments du ministère de la Culture. Eh bien, Chouchi, en dépit de son histoire millénaire, est pour ainsi dire une ville neuve. Les développements en matière d’agriculture nous ont également frappés : le Haut-Karabagh est un pays de moyenne montagne, mais on trouve un peu partout des petites exploitations céréalières qui exploitent au mieux le territoire. L’objectif des autorités est clair : atteindre l’autosuffisance et donc la sécurité alimentaire. 

JOL Press : Justement, quelles autorités avez-vous rencontrées et quel message tirez-vous de vos échanges ? 
 

Alain Néri : Nous avons rencontré les représentants des principaux corps constitués, le président Bako Sahakian bien sûr, mais aussi le ministre des Affaires étrangères Karen Mirzoyan et le président de l’Assemblée nationale Achod Ghoulian. Nous avons d’ailleurs assisté à une séance du Parlement dont je salue la vigueur démocratique. Il me semble que cette population et ses représentants se sont approprié nos valeurs démocratiques et notre attachement à la liberté et aux droits de l’Homme. Il ne s’agit pas que d’un discours ; il s’agit de pratiques effectivement démocratiques ; c’est assez remarquable dans la région pour être souligné.

Quant au message, il me semble qu’il consiste essentiellement à affirmer que la communauté internationale ne peut plus faire semblant de chercher une solution politique au différend avec l’Azerbaïdjan en l’absence de dialogue avec les représentants élus des Karabaghiotes. Vous savez, la situation me rappelle celle de la décolonisation de l’Algérie. Pour aboutir aux accords d’Evian, la France a bien dû s’asseoir à la table des négociations avec le FLN. Ne pas admettre cette réalité, refuser le principe d’autodétermination, c’est se bercer d’illusions.

Jacques Remiller : Nous devons rapporter le message entendu à Stepanakert. L’idée d’un référendum qui impliquerait également les populations azéries déplacées ne fait pas peur aux autorités karabaghiotes qui sont prêtes à s’engager dans cette voie. A cet égard, ces autorités nous apparaissent d’une grande maturité démocratique. Bien évidemment, comme dans tous les processus de décolonisation, un accord politique et juridique devra s’accompagner d’un calendrier et de mesures transitoires. Mais ce dont le Haut-Karabagh ne veut plus, c’est d’une autorité hostile et arbitraire exercée par un pouvoir dictatorial et étranger au destin du Karabagh. 

JOL Press : En résumé, êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste ?
 

Alain Néri : On peut être optimiste tant que l’esprit pionner soufflera sur le Haut-Karabagh, c’est-à-dire tant que ses représentants se sentiront investis d’une responsabilité nationale vis-à-vis de leurs compatriotes. Vous savez, là-bas, les parlementaires ne sont pas des professionnels de la politique ; après les sessions du Parlement, certains d’entre eux retournent à leurs activités professionnelles et je pense qu’ils sont ainsi plus proches de leurs électeurs et plus sensibles à leurs vrais besoins. Il est vraiment dommage que l’environnement menaçant du Haut-Karabagh l’oblige à maintenir une partie de sa jeunesse deux ans sous les drapeaux et sous le feu des francs-tireurs adverses. Ce facteur extérieur obère artificiellement le développement normal et harmonieux du pays. La communauté internationale devrait exercer de fortes pressions pour que cessent ces menaces contreproductives pour toutes les parties.

Je suis très attaché au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à l’autodétermination et je pense qu’il convient maintenant d’associer les représentants du Haut Karabagh aux discussions en les invitant à s’asseoir à la table des négociations avec les Azerbaïdjanais et les Arméniens. Ce pourrait être une initiative du groupe de Minsk. C’est ce que j’ai dit au Parlement du Haut-Karabagh. De la même façon, j’ai dit et je pense qu’un référendum faisant participer les Azéris déplacés pourrait être une solution avec des délais pour mettre en œuvre les décisions en s’inspirant de ce que la France a fait en Nouvelle-Calédonie.

Jacques Remiller : Personnellement, je suis très optimiste, et mon optimisme ne résulte pas des évolutions géopolitiques régionales mais bien de l’état d’esprit de la population karabaghiote. Ce que j’ai d’abord vu, ce qui m’a vraiment frappé, c’est la jeunesse de la population, une jeunesse en mouvement, une jeunesse qui travaille, une soif d’apprendre, de s’ouvrir au monde et de progresser. Je voudrais en particulier souligner que le Haut-Karabagh est un foyer francophile qui s’est doté d’un centre de la francophonie. J’y vois aussi une opportunité pour nos entreprises à la recherche de marchés encore peu développés et où la France jouit d’une côte d’amour inégalée. Je souhaiterais vraiment que cette jeunesse karabaghiote se voit donner la chance d’échanger avec les autres jeunes européens. Un détail qui a son importance pour un passionné de football comme moi : il serait vraiment souhaitable que la FIFA admette enfin en son sein la remarquable équipe de football de cette petite République. Cela ne ferait pas que conférer une utilité au stade inemployé de Stepanakert. Cela contribuerait au rapprochement entre les peuples.

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