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Le jour où Arnaud Montebourg a failli démissionner

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L’ex-ministre de l’Économie Arnaud Montebourg (Photo: Shutterstock.com)

Qui est vraiment ce boutefeu, que certains jugent arrogant ? Une rock star de gauche en mal de reconnaissance ? Un embrocheur de moulins à vent ? Un adversaire sans foi ni loi, adepte de la «diffamation positive» ? Un nouveau Chevènement, imprévisible et entêté ? Ou au contraire un homme courageux, prêt à se sacrifier pour ses idées, quitte à froisser sa propre famille politique ? Et que veut-il vraiment : un PS rénové, la VIe République, l’Élysée… ou tout à la fois ?

Extrait de Montebourg – Moi, président…, de Valentin Spitz (Éditions l’Archipel – 10 septembre 2014).
 

Sa voiture entre par la grille du Coq. Aquilino Morelle lui fait signe depuis la fenêtre gauche de son bureau, qui jouxte celui du président. Arnaud Montebourg, très tendu, ne lui sourit pas. Il entre et, tout d’un coup, expulse sa colère.

Ce matin, à 7 heures, Morelle dormait encore lorsqu’il l’a appelé. Montebourg était calme, froid, et surtout intraitable.

— J’ai très bien dormi cette nuit. J’ai encore réfléchi ce matin. Je démissionne.

Que n’a-t‑il pas supporté dans l’épisode Florange ? Qu’on le prenne pour un menteur ? Que Jean-Marc Ayrault gagne la partie au jeu du pouvoir ? Le sentiment d’avoir été manipulé ? L’« échec cuisant », comme il dira plus tard sur Canal Plus ? Un peu tout cela à la fois…

La veille, vendredi 30 novembre 2012, le Premier ministre a prétendu qu’il n’y avait pas de repreneur. La solution prônée par le ministre du Redressement productif n’était donc pas viable. Espoirs douchés du leader syndical Édouard Martin et des siens… Montebourg est hors de lui. Ses amis, sa garde rapprochée décident de l’emmener dîner non loin du ministère.

Sont présents Christophe Lantoine, chef de cabinet, Aquilino Morelle, conseiller du président et ami. Il s’agit moins de trouver les mots consolateurs que de juguler la colère d’un ministre qui se sent trahi et veut démissionner.

« Arnaud n’était plus en mesure de conduire un raisonnement. On se retrouvait simplement pour boire un verre, dîner et le réconforter », se souvient Aquilino Morelle. « C’était la première fois que je le voyais à ce point marqué, raconte Christophe Lantoine. Il avait envie de tout plaquer. L’homme était profondément blessé. »

Montebourg n’a pas supporté que l’on puisse le soupçonner d’avoir menti, que le Premier ministre ait déclaré à la télévision qu’« il n’y avait pas de repreneur ». « C’était le coup de massue ultime, raconte un de ses collaborateurs. Cela voulait bien dire : Arnaud Montebourg a inventé un repreneur. »

Édouard Martin va plus loin : « Dans cette affaire, Montebourg a été sali par Ayrault. Que dit le Premier ministre ? Que son ministre ment et qu’il n’est pas sérieux, puisqu’il est allé chercher un repreneur qui n’était pas crédible ! »

Ce qui se joue à cet instant-là, en réalité, c’est la haine intime, recuite, entre les deux hommes. « Ayrault a voulu se faire Montebourg, résume un conseiller. Il a voulu solder le compte de toutes ces années de lutte. »

Entre les lignes, Christophe Lantoine ne dit pas autre chose : « Sur le fond, nous pensons que c’est une erreur politique. Vient s’y greffer une méthode détestable, qui consiste à laisser avancer Arnaud jusqu’au bout, pour mieux le planter. Jean-Marc Ayrault n’était pas obligé d’ajouter : “Il n’y avait pas de repreneur.” Il y avait là quelque chose de personnel, une volonté de l’enfoncer. »

Et Hervé Gattegno, journaliste et ami de Montebourg, de renchérir : « Ce qui a été difficile pour Arnaud, c’est la duplicité. Ce n’était pas un affrontement où chacun y allait franco. Il y avait des jeux complexes. Hollande a dit à chacun ce qu’il avait envie d’entendre. Ayrault a voulu humilier Arnaud. »

Ce soir-là, Christophe Lantoine et Aquilino Morelle tentent de raisonner Arnaud Montebourg : sur le moment, il sera soulagé d’avoir démissionné, mais après ? Il se convaincra d’avoir eu raison pendant quelques jours, puis la vie reprendra son cours. Rester comme celui qui a claqué la porte ? À quoi bon. Aquilino Morelle donne alors un conseil important à Arnaud Montebourg : aller voir le président. Montebourg échange des SMS avec François Hollande. Rendez-vous est pris le lendemain matin à l’Élysée, à 10 h 30. Toujours pour lui remettre sa démission.

[image:2,s]Samedi 1er décembre 2012, 7 heures. Au téléphone, la voix de Montebourg est dure, glaciale, décidée :

— Je démissionne.

Aquilino Morelle lui répète ce qu’il lui a dit la veille :

— Ce n’est pas le conseil que je te donne en tant qu’ami. Mais si tu veux le faire, c’est ta décision. Je n’interférerai pas au-delà de l’utile et du nécessaire. Même si, en l’occurrence, je suis aussi le conseiller politique du président. Aussi je te suggère d’y réfléchir. Il est 7 heures, tu as le temps. Je te demande une seule chose : passe me voir avant ton rendez-vous.

Christophe Lantoine est tout aussi surpris. Il pensait que la nuit aurait calmé le ministre. Qu’il aurait réfléchi. Il l’a trouvé au pied de son appartement, tout aussi déterminé et emporté que la veille. « Quand je l’ai déposé à l’Élysée, j’imaginais qu’ensuite nous irions à Bercy pour la passation de pouvoirs. Je pensais réellement que nous étions passés à autre chose. »

C’est un Arnaud Montebourg tendu qui pénètre dans le bureau d’Aquilino Morelle, sans un sourire.

— Écoute, Arnaud, calme-toi un peu et dis tout ce que tu as à dire au président, argumente Morelle. Ne lui cache rien, dis-lui ton ressentiment. Vous parlerez tous les deux, vous verrez bien à quelle conclusion vous parvenez. Si tu maintiens ta démission, tu démissionneras. Mais je pense que ce n’est pas une bonne idée. Pèse bien les conséquences. Mais si tu veux le faire…

Ces mots amicaux ne sont pas sans effet. Arnaud Montebourg se calme un peu, puis il entre dans le bureau voisin, celui de François Hollande. Les rendezvous avec le président de la République sont souvent brefs. Mais celui-ci s’éternise. Chacun sent qu’il se passe quelque chose. Ce matin-là, Valérie Trierweiler est à l’Élysée. Pour rassurer ceux qui s’inquiètent de la longueur du rendez-vous et de l’éventuelle démission de Montebourg, elle a cette phrase prémonitoire :

— Ne vous inquiétez pas, François arrive à rattraper tout le monde.

Au terme de l’entretien, voyant réapparaître le ministre, Aquilino Morelle comprend que sa position a évolué. Les deux hommes ont échangé. Ils se sont dit, semble-t‑il, des choses qui lui permettent d’envisager de rester, en tout cas de réfléchir. Certes, encore faut-il que le Premier ministre l’appelle, mais le plus dur est fait. L’« effet Hollande » a fonctionné, comme souvent avec Montebourg. Le président accepte de dire qu’il y avait bien un repreneur. Pour le ministre, l’honneur est sauf. « Ce qui le fait rester, c’est cela, explique Christophe Lantoine. C’est une façon de dire : “J’ai fait mon boulot et je l’ai fait honnêtement. Je n’ai pas menti aux gens.” »

Montebourg passe son temps à dire qu’il pourrait « tout arrêter maintenant ». Ce matin-là, n’était-ce qu’une posture, une manière de tester le rapport de force ? Il s’inscrit résolument en faux. Bien sûr qu’il voulait démissionner ! Le contraire eût été « infantile ».

Morelle est moins affirmatif : « Je ne sais pas, je ne suis pas Arnaud Montebourg… Il n’y a que lui qui pourrait répondre. Peut-être, dès le matin, n’avait-il pas l’intention de démissionner. Même si je suis son ami, même si je suis proche de lui, il n’est pas obligé de me dire tout ce qu’il pense. Peut-être lui-même ne le savait-il pas. Il m’a dit qu’il voulait démissionner, c’est tout. Le voulait-il vraiment ou était-ce une façon de jauger ses amis, de voir leurs réactions face à cette hypothèse ? Je n’en sais rien. »

Une chose est certaine : lorsqu’il sort du bureau présidentiel, il est renforcé. La preuve : il ouvre les vannes et déverse toute sa colère sur Jean-Marc Ayrault, qu’il appelle depuis le bureau de Morelle, insultes en prime. « T’emmerdes tout le monde avec ton aéroport ! Tu diriges la France comme le conseil municipal de Nantes ! » « Tout ça est parfaitement exact, assure Morelle. Ça s’est passé dans ce bureau. »

Aujourd’hui encore, cet épisode reste lourd et douloureux pour Arnaud Montebourg. Le ministre n’aime pas en parler. « On s’est battu, dit-il, mais ça n’a pas marché. C’est là que j’aurais aimé être président. J’ai filé ma démission. Il y a en a deux qui m’ont retenu : Hollande et Martin. Sans eux, je serais parti. »

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Journaliste à iTélé, chroniqueur pour Le Plus du Nouvel Observateur et Sud-Radio, Valentin Spitz ets l’auteur d’une biographie de Najat Vallaud-Belkacem (avec Véronique Bernheim, First, 2012).

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