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L’ONU et le dévoiement de la cosmopolitique

La 69e session annuelle de l’Assemblée générale des Nations unies est ouverte. Souvent philanthropiques et parfois haineux, les discours vont s’enchaîner, avec en toile de fond le scepticisme des Occidentaux, le cynisme des régimes liberticides et l’hypocrisie du plus grand nombre. Si l’ONU évoque l’ancien idéal cosmopolitique, elle n’a pourtant guère de légitimité et d’efficience, et les Occidentaux doivent privilégier leurs instances propres.

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Songquan Deng / Shutterstock.com

Une antique aspiration

De prime abord, l’importance de l’ONU comme forum de sécurité collective doit être soulignée. La rotondité de la Terre, le fait que nous vivions dans un monde politiquement « plein » et la densité des interdépendances qui relient les peuples dans leurs lieux et espaces requièrent un tel système. De fait, échanges d’ambassadeurs, sommets internationaux et nouvelles technologies de l’information ne suffisent pas à la tâche.

Plus généralement, le jeu des échanges et les espoirs investis dans la « paix par le commerce » ne peuvent assurer la stabilité du monde. Régimes juridiques et institutions internationales sont nécessaires à l’ordonnance des relations entre les différentes unités politique.

Par ailleurs, la fondation de la SDN puis de l’ONU s’inscrit dans le prolongement du noble idéal cosmopolitique, non réductible à un multiculturalisme plat. Dès la période hellénistique, les philosophes stoïciens en appelaient à une cité universelle ouverte aux hommes et aux dieux. L’Empire romain et la Pax Romana ont été la traduction concrète d’une telle vision, cette cosmopolitique constituant le soubassement métaphysique du droit des gens (le jus gentium). 

Au Moyen Âge, l’idée de Chrétienté renouvelle cette antique aspiration. Royaumes, principautés et fiefs sont alors les parties d’une Respublica Christiana ouverte sur un « limes » vertical. Par anticipation, Saint Augustin est le penseur et le théologien de cette république chrétienne, à dimension universelle et eschatologique.

Par la suite, les scolastiques espagnols (Vitoria, Suarez) et les théoriciens modernes du droit des gens (Grotius) reprennent ces représentations globales. L’existence d’une « société générale du genre humain » est le présupposé du droit naturel dont les règles obligent les États souverains et leurs ressortissants. 

De la théorie à la pratique

Au XVIIIe siècle, les projets d’union et de « paix perpétuelle », celui d’Emmanuel Kant principalement (1795), foisonnent. Ils s’appuient sur cet héritage historique, philosophique et théologique. De tels projets inspirent les systèmes de sécurité collective du XXe  siècle, mais aussi la formation de l’Union européenne.

Ainsi l’opus philosophique de Kant est-il le livre de chevet de Woodrow Wilson, le président américain à l’origine de la Société des Nations (SDN). A la fin de la Première Guerre mondiale, l’enjeu est de faire passer de la théorie à la praxis cette « grande idée » qui pourtant fera faillite.

Si la SDN était « un parlement sans épée », l’ONU combine idéalisme et réalisme. Dans sa vision d’une paix universelle assurée par des mécanismes de sécurité collective, Franklin Roosevelt prend en compte les rapports de puissance entre les nations. Le statut inégalitaire entre les membres permanents du Conseil de sécurité et les autres États reflète la hiérarchie des nations et leur inégale contribution à l’ordre international.

Conformément au précepte selon lequel on a des droits à proportion de ses devoirs, le privilège du droit de veto est la contrepartie du surcroît de responsabilités qui repose sur les épaules des membres permanents. La fonction implique sens des responsabilités et de l’universel.

Lorsque l’ONU est mise en place, la Seconde Guerre mondiale n’est pas encore terminée, mais les linéaments de la Guerre froide se profilent déjà. Les espoirs investis dans la perpétuation en temps de paix de la « grande alliance » – elle ne tenait que par l’existence d’un ennemi commun -, se fracassent sur le mur des réalités.

Au long de la Guerre froide, le Conseil de sécurité est paralysé par la dynamique de ce conflit global,  le haut niveau des enjeux géopolitiques et l’emploi systématique du droit de veto. C’est au terme d’une confrontation d’ensemble que le camp occidental emporte une victoire froide sur la « Russie-Soviétie ». In fine, l’ONU aura surtout été une caisse de résonance. 

La force des choses

Pendant la « nouvelle détente », l’ONU est un temps revitalisée par les Occidentaux et l’URSS, pour se saisir de conflits régionaux et travailler à leur résolution. A partir de 1987-1988, plusieurs missions de « casques bleus » sont lancées et d’évoquer alors le « réveil de l’ONU ». Lancée contre les troupes de Saddam Hussein qui avaient envahi le Koweït, l’opération américano-occidentale « Desert Storm » se fait sous couvert d’un mandat des Nations Unies, avec l’aval de l’URSS.

Le temps d’un « nouvel ordre mondial » fondé sur la primauté de l’ONU, du multilatéralisme et du droit international semble alors venu. Las. Des déchirements balkaniques des années 1990 aux « Printemps arabes », le Conseil de sécurité est bien souvent en proie aux divisions, et donc à l’impuissance (Kosovo, Syrie), tout au plus le lieu d’un accord minimal (Libye, Iran). 

Institution d’avant la Guerre froide, l’ONU ne s’est donc pas révélée comme l’instance adéquate de l’après-Guerre froide. Au vrai, il ne s’agit pas d’un malheureux dysfonctionnement : les espoirs investis dans le multilatéralisme onusien se heurtent à la force des choses et à l’essence du politique.

En effet, il n’existe pas de Léviathan supranational se posant en puissance arbitrale et defensor pacis, au-dessus des unités politiques. Aussi l’état de nature, demeure-t-il au fond des relations entre les Etats. Seule la présence d’un stabilisateur hégémonique peut maintenir un certain équilibre, non sans ruptures locales ou régionales. Bref, le monde oscille entre Hobbes et Kant. 

Pourtant, il doit être précisé que l’ONU n’a que peu de rapports avec la fédération de libres républiques à laquelle songeait Kant dans son projet de « paix perpétuelle ». On sait que les Nations Unies comptent maints autoritarismes et tyrannies, marquées par l’arbitraire systématisé et la confusion des ordres.

La nature des gouvernements n’est pas prise en compte et l’ONU ne fonctionne pas  comme ses concepteurs l’auraient voulu. Le légalisme procédurier dans lequel se drapent ceux qui fuient leurs responsabilités internationales n’est que négation du droit. Enfin, il serait impolitique de confier à des régimes mal intentionnés le soin d’apprécier la réalité des menaces pesant sur les destinées des peuples libres.

Étendre la sphère du droit et des libertés

Ce triste constat n’est pas une invite à une Realpolitik sommaire, à base de social-darwinisme et d’idolâtrie de la force, avec comme point d’arrivée l’idée que tout se vaut. Le dévoiement du sens de l’universel propre à la post-modernité ne vaut pas blanc-seing pour des régimes négateurs de la personne, de l’esprit de vérité et des libertés.

Au demeurant, l’idéal cosmopolitique a trouvé traduction dans le cadre de l’Union européenne et de l’OTAN. Des rives nord-américaines du Pacifique jusqu’à l’isthme Baltique-mer Noire, États et nations évoluent dans une sorte de confédération pan-occidentale et l’hostilité réciproque y est bannie. L’enjeu est de consolider et d’étendre cette sphère du droit et des libertés.

Jean-Sylvestre Mongrenier

Chercheur associé à l’Institut Thomas More

 
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