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Pape François: d’où vient le malaise parmi les fidèles?

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(Photo: Shutterstock.com)

Le plébiscite actuel en faveur du pape François ne résulterait-il pas aussi, et peut-être principalement, de son sens de la communication ? Au point que l’on entend de plus en plus, ça et là, mezza voce, cette interrogation : n’en fait-il pas un peu trop ? Il y a ceux qui espèrent, il en est d’autres, moins bruyants qui s’inquiètent. Le cardinal Barbarin, primat des Gaules, a reconnu que, s’il suscite beaucoup d’enthousiasme à l’extérieur de l’Eglise, il provoque aussi, parmi les fidèles, un certain malaise. L’objet de cet ouvrage est de cerner les raisons de cet espoir et de ce malaise en s’interrogeant : qui de l’un ou de l’autre l’emportera dans ce pontificat ? 

Extrait de Pape François : le grand malentendu, de Guy Baret (Editions du Moment- 25 septembre 2014).
 

Un chiffre : 6 % de ces jeunes catholiques vont à la messe tous les jours. Le sérieux avec lequel ils vivent leur foi reflète une évolution de la société par rapport au fait religieux qui intéresse de nouveau des êtres en quête de sens. Certes, il ne faut pas oublier que les catholiques pratiquants en France représentent, selon l’Ifop, à peine 5 % de la population et que parmi eux les jeunes sont minoritaires. Mais ceux-là sont aussi des mo-ti-vés qui n’entendent rien lâcher de cette foi sur laquelle ils bâtissent leur vie. À ce sujet, le philosophe Michel Serres a dit récemment sur France Info : « En mai 1968, quand je voulais faire rire mes étudiants, je leur parlais de religion. Mais pour les passionner, j’évoquais bien sûr la politique ! Aujourd’hui, c’est l’inverse ! »

Depuis l’avènement du nouveau pape, ils sont désorientés. Dans le domaine théologique et moral, Jean-Paul II et Benoît XVI avaient tracé une route claire. Il s’agissait de répondre, par une action fidèle aux fondamentaux de la foi catholique, à un monde en perte de repères. Ils visaient non pas à accabler nos contemporains par on ne sait quel dogmatisme mais à combler un vide dont ces derniers souffraient, consciemment ou non. « La vérité vous rendra libres », enseignait le Christ. Ils veulent, bien sûr, convertir les autres à cette foi qui leur procure de la joie et donne un sens à leur vie. On les accuse – surtout les catholiques charismatiques – de manifester parfois un prosélytisme indiscret, dont le pape François a dit, dans La Repubblica : « C’est une bêtise magistrale », car l’essentiel est de « se connaître et de s’écouter, et de faire connaître le monde qui nous entoure ».

Or, si ces jeunes ne contestent pas la nécessaire miséricorde, leitmotiv des homélies et exhortations du pape François, ils se demandent comment l’articuler, au quotidien, avec la doctrine de l’Église. C’est notamment le cas des jeunes prêtres. Un vicaire confiait que certains ne déclarent plus en confession leurs pratiques homosexuelles, estimant que François n’y attache plus aucune importance. Que dire ? Que faire ? D’autres s’interrogent sur le sens de leurs efforts pour observer les commandements de Dieu. Est-il vraiment nécessaire de professer la foi catholique – quand on la connaît, bien sûr – pour être sauvé ? Chacun doit-il agir seulement selon sa conscience ?

[image:2,s]Quant aux aînés, ils ont vécu difficilement les errements post-conciliaires dont Benoît XVI se faisait l’écho dans sa Lettre aux évêques du 7 juillet 2007, ayant lui-même souffert de cette situation. Il rappelait qu’en ce temps-là « en de nombreux endroits, on ne célébrait pas fidèlement selon les prescriptions du nouveau Missel. Au contraire, celui-ci finissait par être interprété comme une autorisation, voire une obligation de créativité. » Le pape François, sur la question liturgique, a une vision plus optimiste que son prédécesseur. Dans son interview à la revue jésuite Civiltà Cattolica, il explique : « Vatican II était une relecture de l’Évangile à la lumière de la culture contemporaine. Il a produit un mouvement de renouveau qui vient tout simplement de l’Évangile même. Les fruits sont énormes. Il suffit de se rappeler la liturgie. Le travail de la réforme liturgique a été un service au peuple comme une relecture de l’Évangile à partir d’une situation historique concrète. »

Ces fidèles qui s’étaient habitués, avec joie, au style mais aussi à la théologie de Benoît XVI, à sa restauration du Concile authentique pour se défaire de ses caricatures, ont été surpris par la personnalité de François, qui tranche avec celle de son prédécesseur.

Si le cardinal Barbarin, mais aussi d’autres évêques en France et à Rome, ainsi que certains prêtres, reconnaissent ce malaise, c’est qu’ils sont interrogés par leurs fidèles. Mais ceux-là sont naturellement « papistes » et ont une révérence spontanée et toute filiale pour le Vicaire du Christ. D’où leurs critiques mezza voce. Après tout, la foi ne nous dit-elle pas que c’est le Saint-Esprit qui a conduit le collège cardinalice à choisir l’archevêque de Buenos Aires ? À Rome, au sein d’une partie de la Curie, certains prélats vivent la même situation : comment poser un regard critique sans se dérober à l’obéissance due au souverain pontife ?

De fait, ces fidèles dubitatifs font moins de bruit que ceux qui ont accueilli François avec des transports d’allégresse. Leur sensibilité traditionnelle leur impose un réflexe spontané de soumission et de respect, dans la crainte que la critique de l’homme n’affecte la fonction pontificale à laquelle ils sont attachés. À cela, s’ajoute la crainte d’être assimilés aux intégristes qu’ils ne sont pas.

Sur quoi portent leurs interrogations et leur malaise depuis l’accession de François au trône de saint Pierre ?

Il y a les vives critiques à l’égard des prêtres et des évêques « installés » ou mondains. « Soyez des pasteurs avec “l’odeur de leurs brebis”, au lieu d’être des pasteurs au milieu de leur propre troupeau »… « Il y a trop de chrétiens de salon, ceux pour lesquels tout va bien, mais qui n’ont pas en eux l’ardeur apostolique »… « Nous ne pouvons pas devenir des chrétiens “amidonnés” qui parlent de théologie en prenant tranquillement leur thé »… Sur le fond, il n’y a là que de légitimes exhortations du Pasteur à son troupeau, et l’on trouve des expressions bien plus vives chez les Pères de l’Église qui, il est vrai, n’engageaient que leur propre autorité.

Mais ces critiques répétitives – presque dans chacune de ses interventions – visant des fidèles, des prêtres, des évêques un peu trop traditionnels ou engoncés dans leurs habitudes, au lieu de les mobiliser, les découragent. Le portrait que le pape dresse d’eux confine à la caricature. Le risque est aussi de diviser les communautés, de créer un clivage entre les catholiques censés être « endormis » et ceux, actifs, conscients de leurs responsabilités apostoliques. Des paroissiens, s’appuyant sur l’autorité du pape, peuvent être tentés de faire la leçon à leurs curés ! Une autre crainte a été aussi formulée par Jean-Marie Guénois face au cardinal Barbarin : « L’interprétation de certains propos du pape ne risque-t-elle pas, dans l’Église de France, de réveiller le progressisme de gauche des années 1970 ? »

Cette interrogation n’est pas sans fondements si l’on se réfère aux conséquences d’un certain esprit postconciliaire. Au nom du Concile qui voulait une « Église servante et pauvre », une conception extensive de la pauvreté a conduit à bien des abandons et aberrations, de la désacralisation de la liturgie à la théologie de la libération, en passant par des catéchèses expérimentales et existentielles, purgées d’affirmation doctrinales !

Enfin, certains propos de François, de nature doctrinale ceux-là, suscitent beaucoup de perplexité. Notamment dans son interview accordée au journaliste Eugenio Scalfari sur laquelle nous reviendrons au chapitre XII. À la question « Existe-t-il une vision unique du bien et qui l’établit ? », le pape répond : « Chacun d’entre nous a sa propre vision du bien et du mal. » N’est-ce pas là, se demandent certains, l’expression d’un certain relativisme, contre lequel Benoît XVI n’a cessé de lutter, tout comme Jean-Paul II ? La tentation est donc grande d’en appeler au pape émérite contre le pape régnant.

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Guy Baret a été journaliste et éditorialiste dans la presse quotidienne française, notamment au Figaro. Diplômé de philosophie et de théologie, il a publié plusieurs livres sur les problèmes de société et les questions religieuses, parmi lesquels « Le Manuel politico-politicien »« Allo maman Dolto » et « Plaidoyer pour Benoît XVI ».

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