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Pape François: petites phrases et grands effets

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(Crédit photo: Giulio Napolitano / Shutterstock.com)

Il y a ceux qui espèrent, il en est d’autres, moins bruyants qui s’inquiètent. Le cardinal Barbarin, primat des Gaules, a reconnu que, si le pape François suscite beaucoup d’enthousiasme à l’extérieur de l’Église, il provoque aussi, parmi les fidèles, un certain malaise. L’objet de cet ouvrage est de cerner les raisons de cet espoir et de ce malaise en s’interrogeant : qui de l’un ou de l’autre l’emportera dans ce pontificat ?

Extrait de Pape François : le grand malentendu, de Guy Baret (Editions du Moment, septembre 2014)

« Le grand public, comme les catholiques, a d’abord fait la connaissance du pape à travers ses « petites phrases » qui firent grand bruit. Il parlait comme tout le monde et chacun le comprenait. Et puis il ne s’embarrassait par de circonlocutions ni n’enrobait ses propos d’onction ecclésiastique. Ce n’était pas un théologien qui parlait à des initiés et encore moins un diplomate, c’était un pasteur qui interpellait son peuple.

Ses petites phrases sont volontiers déconcertantes, voire provocatrices, et parfois pittoresques. Elles lui permettent, de façon lapidaire, de faire passer son message. Les termes employés, inhabituels dans la bouche d’un pape, assurant de larges reprises dans les médias, frappent les esprits et dessinent l’image du successeur de Benoît XVI dans l’opinion. C’est évident lorsque François, s’adressant aux jeunes des JMJ de Rio, lance, le 29 juillet 2013 : « Mettez le bordel ! Mettez le feu dans les diocèses ! Ne restez pas enfermés dans vos communautés. L’Église doit sortir dans la rue. Je n’apprécie pas les jeunes qui ne protestent pas. »

Jamais un pape n’a parlé ainsi…

De même que les petites phrases des politiques apparaissent réductrices en ce qu’elles ne donnent pas la pleine dimension de leur projet, celles du pape, dans leur simplicité et, surtout, leur vigueur, ne contribuent-elles pas à développer quelque quiproquo entre lui et l’opinion, voire un grand malentendu ? Est-ce qu’elles ne suscitent pas de fallacieux espoirs de changements, notamment dans le domaine des mœurs ?

Peu de nos contemporains, même catholiques, ont lu ses deux encycliques mais tous se souviennent de sa « sortie » sur les homosexuels.

Alors que, en France et dans le monde, la controverse bat son plein autour du mariage gay et que les catholiques sont au premier rang des manifestants qui s’y opposent, François semble les désavouer et jeter un pavé dans leur mare colérique en déclarant : « Si une personne homosexuelle est de bonne volonté et qu’elle est en recherche de Dieu, je ne suis personne pour la juger. Disant cela, j’ai dit ce que dit le catéchisme. […] Un jour quelqu’un m’a demandé d’une manière provocatrice si j’approuvais l’homosexualité. Je lui ai alors répondu avec une autre question : “Dis-moi, Dieu, quand il regarde une personne homosexuelle, en approuve-t-il l’existence avec affection ou la repousse-t-il en la condamnant ?” Il faut toujours considérer la personne. »

Le propos attire l’attention des médias, ce qu’il dit sur la question est « nouveau », pense-t-on ! Or, comme il le souligne, il n’affirme là rien qui ne soit dans la doctrine catholique, ce qui est largement ignoré par une opinion apparemment persuadée que l’Église est homophobe. Que dit le catéchisme auquel le pape se réfère ? « S’appuyant sur la Sainte Écriture, qui les présente comme des dépravations graves, la tradition a toujours déclaré que les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés. Ils sont contraires à la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable. Ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas. » (§ 2 357)

Si cette condamnation porte sur les actes contraires à la loi morale, pour ce qui est des personnes, le catéchisme expose : « Un nombre non négligeable d’hommes et de femmes présentent des tendances homosexuelles foncières. Ils ne choisissent pas leur condition homosexuelle ; elle constitue pour la plupart d’entre eux une épreuve. Ils doivent être accueillis avec respect, compassion et délicatesse. On évitera à leur égard toute marque de discrimination injuste. » (§ 2 358) Ajoutant qu’on doit leur manifester de « l’amitié ».

Plus généralement, l’Église enseigne que tous les hommes, quelles que soient leur race, leur religion, leur orientation sexuelle, sont revêtus, comme fils de Dieu, d’une inaltérable dignité et doivent être également respectés à ce titre. En outre, à ces personnes-là, comme à tous, s’applique la parole du Christ : « Ne jugez pas et vous ne serez point jugés. » Si les actes peuvent recevoir une qualification morale, on ne saurait juger – « au for interne », dit l’Église – un individu. Seul Dieu, qui connaît intimement chacun, ses intentions profondes et le degré de volonté engagée dans ses actes, peut se le permettre. On doit le constater : rien de neuf sous le soleil du nouveau pontificat !

[image:2,s]Mais voilà, cette phrase du pape a été entendue tout autrement par l’opinion, et plus encore par nombre de gays. On peut supposer qu’ils ne sont pas tous lecteurs assidus du catéchisme de l’Église, c’est pourquoi ils ont salué la réflexion pontificale comme inaugurant plus qu’une évolution, une révolution propre à changer la vie des homosexuels, bi et trans ! The Advocate, magazine américain en ligne destiné à la communauté homosexuelle, a élu le pape François « personnalité de l’année » avec ce commentaire : « Si 2013 reste mémorable pour l’action de centaines de personnes qui ont œuvré pour l’égalité du mariage, elle restera aussi mémorable pour l’action d’un seul homme. » Reprenant « Qui suis-je pour juger ? », le journal veut y voir un « signal aux catholiques et au monde que ce nouveau pape n’est pas comme l’ancien », rappelant la condamnation de l’homosexualité par les deux papes précédents, Jean Paul II et Benoît XVI. Cette même phrase lui a valu aussi une deuxième place dans le classement du « Top 10 des héros des droits des gays » publié par le New Yorker. Or, François n’a pas modifié le jugement de l’Église quant à l’homosexualité. Le pape, croit devoir préciser le journal, « n’a pas encore dit qu’il soutenait les unions civiles, mais ce qu’il a dit a déjà amené son église à s’interroger et à réfléchir ». Or, le pape s’est prononcé contre le mariage gay et les unions civiles comme nous le verrons.

On pressent, sur ce sujet, la profondeur du malentendu engendré par le propos parfaitement orthodoxe du souverain pontife ! Au point de susciter l’embarras de Rome et une mise au point du porte-parole du Saint-Siège, le père Federico Lombardi, qui, sur les ondes de Radio Vatican, a jugé « plus qu’évidente » la distorsion des propos du pape François dans les médias italiens, dénonçant leur « instrumentalisation par les partisans du mariage gay ».

Le porte-parole du Vatican à fort à faire avec François !

Le service communication du pape a dû établir une sorte de « jurisprudence » en formalisant la distinction entre sa personne privée et les entretiens qu’il accorde à titre également privé, même s’ils sont rendus publics. Une nouveauté ! C’est ainsi que le père Lombardi a publié un communiqué où l’on peut lire : « Les conversations téléphoniques privées du pape, qui sortent du cadre des relations personnelles » et leur « amplification médiatique » sont « source de malentendus et confusion… On ne saurait donc tirer parti de celles-ci concernant l’enseignement de l’Église. » « Confusion », estime donc le porte-parole…

Ce communiqué visait cette fois un entretien téléphonique, entre le pape et une compatriote argentine, Jakelin Lisboa, mariée à un homme divorcé, que François aurait appelée pour répondre aux questions posées dans une lettre envoyée quelques mois auparavant. Cette information, rapportée par plusieurs journaux argentins, a fait le tour de la planète car le pape, affirme Jakelin Lisboa, « lui aurait conseillé de prendre la communion malgré sa situation personnelle ». Jakelin et Julio Zabeta sont mariés civilement depuis dix-neuf ans et ont deux enfants. « Nous avions l’habitude d’aller à la messe, pas tous les jours. Mais ici, à la maison, nous prions tous les soirs, nous posons des questions à Dieu. Comme toujours lorsqu’on se trouve dans une situation difficile, on s’adresse à Lui. Et l’idée d’écrire au pape m’est venue tout naturellement, parce qu’il est argentin, parce qu’il écoute les personnes et que je crois aux miracles », a-t-elle expliqué.

La femme a raconté comment le pape lui a téléphoné : « C’est mon mari qui a répondu. Il m’a dit : “C’est le père Bergoglio qui veut te parler.” J’ai pris l’appareil et je lui ai demandé si c’était vraiment lui ; il m’a répondu “oui” et m’a dit qu’il donnait suite à ma lettre envoyée le 7 septembre dernier. »

Le Vatican n’a pas démenti la réalité de cet échange, ni son contenu : « Il y a eu beaucoup de coups de téléphone, dans le cadre des rapports personnels pastoraux du pape François. N’entrant absolument pas dans le cadre des activités publiques du pape, on ne saurait attendre aucun commentaire ou information de la salle de presse du Saint-Siège. » Bref, no comment, quoique nombre de catholiques soient troublés par cette conversation, autant ceux qui espèrent une évolution de l’Église sur la question des divorcés remariés que ceux qui la redoutent…

On voit là les limites de la simplicité de François, son franc-parler, sa propension à user de sa plume et de son téléphone pour s’adresser à ses contemporains. Une pratique susceptible de désorienter les fidèles qui devront distinguer, à chaque fois, ce qui relève de propos à bâtons rompus et de la parole autorisée du pape, du magistère du successeur de Pierre. « Le pape parle tellement qu’il peut y avoir des ambiguïtés dans ses formulations ; cela donne prise à des interprétations, c’est dangereux, s’inquiète un membre de la Curie. Et puis, si dans quelque temps, il se met à moins parler, à moins prêcher, on dira qu’il va mal ! » 

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Guy Baret fut journaliste et éditorialiste dans la presse quotidienne française, notamment au Figaro. Diplômé de philosophie et de théologie, il a publié plusieurs livres sur les problèmes de société et les questions religieuses, parmi lesquels, le Manuel politico-politicien, Allo maman Dolto, Plaidoyer pour Benoît XVI. Il est aussi l’auteur de plusieurs pièces de théâtre.

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