Entretien avec Serge Klarsfeld, historien et avocat de la cause des déportés juifs en France.
A 93 ans, Oskar Groening pourrait bien être un des derniers nazis à comparaître devant un tribunal. Déclaré apte à être jugé il y a quelques mois, ce gardien de camp à Auchwitz-Birkenau est accusé de « complicité de meurtre dans au moins 300 000 cas ».
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(Crédit photo : Caminoel/Shutterstock.com)
Oskar Groening, ancien gardien dans le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau a été mis en accusation pour complicité de meurtre et pourrait être un des derniers criminels nazis à être jugé devant un tribunal. Comment peut se dérouler le procès d’un gardien de camp ?
Serge Klarsfeld : Tout comme Oskar Groening, une trentaine de gardiens de camps ont été listés par la justice allemande. Ces derniers employaient des postes très divers avec des niveaux de culpabilité divers également. Il y a encore quelques années, ces personnes n’auraient pas été inculpées mais il y a environ 6 ans, les magistrats allemands ont élargi la notion de culpabilité à la suite du procès d’Ivan Demïaniouk.
Ce dernier a en effet été condamné à plusieurs années de prison car la justice a considéré qu’appartenir à une structure criminelle, quelle que soit la position occupée, aidait à faire fonctionner cette structure criminelle. Ces personnes ne sont alors plus accusées de ce qu’elles ont fait personnellement mais de la position qu’elles ont occupée dans une organisation criminelle.
A la suite du verdict, Ivan Demïaniouk a fait un recours devant la cour fédérale allemande mais il est mort avant que ce recours ne soit examiné. Cette notion de culpabilité n’a donc été ni confirmée ni démentie par la cour suprême.
Les procès peuvent donc avoir lieu si les présidents des tribunaux acceptent de juger ces personnes, si elles estiment que les charges sont convaincantes et que les accusés sont en état de se défendre.
Or aujourd’hui, ces personnes ont toutes plus de 90 ans et peuvent ne pas être en état de se défendre. Dans ces cas-là, le président de la cour d’assise peut décider d’annuler le procès.
D’autres procès sont-ils en cours actuellement ?
Serge Klarsfeld : Aucun pour le moment. Toutefois, un autre procès nous intéresse vivement, c’est celui d’un exécutant du massacre d’Oradour sur Glane. La présidente de la cour d’assise de Cologne doit donner prochainement sa décision mais elle doit d’abord déterminer si les charges sont convaincantes et si l’accusé est en état intellectuellement et physiquement de se défendre.
Ensuite, même si le procès a lieu, la cour fédérale devrait examiner le verdict afin de définir si, bien qu’un homme n’ait pas été reconnu coupable d’actes criminels, il peut néanmoins être condamné pour appartenance à une structure criminelle.
C’est donc un processus complexe pour ce dernier round puisque tous les criminels encore vivants ont pratiquement tous plus de 90 ans.
Ces mises en accusations sont donc principalement symboliques…
Serge Klarsfeld : Elles manifestent le désir de la société allemande de voir juger des crimes dont elle a compris l’ampleur, comme il y a 50 ans, elle répondait à la volonté des Allemands de ne pas voir juger les grands criminels.
Mais alors que la société allemande demande ces procès, la plupart des criminels sont désormais morts.
Dans les quelques cas semblables à celui d’Oskar Groening, l’accusé est décédé avant le procès. On ne sait donc pas si, un jour, un de ces procès aboutira.
A-t-on aujourd’hui une idée précise du nombre de criminels nazi encore en liberté ?
Serge Klarsfeld : La justice allemande essaie de les répertorier mais la tâche est très difficile.
En général il n’y a pas de preuves, parfois un rapport écrit mais aucun témoin. Il faut alors considérer que l’accusé est coupable mais dans une justice de droit commun, de crime contre l’humanité, on doit établir la responsabilité personnelle. Et dans le cas d’un massacre, il est très difficile de définir précisément le rôle d’un individu.
Les présidents des cours d’assise sont très prudents sur ce type de dossiers et ont aujourd’hui plutôt tendance à attendre que l’inculpé meurt.
Sait-on où se trouvent la plupart de ces criminels aujourd’hui ?
Serge Klarsfeld : Après la guerre, tous sont pratiquement restés en Allemagne ou en Autriche. Certains sont partis en Amérique du Sud, d’autres au Moyen Orient mais c’est une minorité car il n’était pas si facile de quitter le territoire à l’époque.
Nous avons l’exemple de Klaus Barbie, l’exemple d’Eichmann mais ce ne sont que des exceptions.
Quels sont alors les moyens mis en œuvre par la justice pour retrouver ces personnes ?
Serge Klarsfeld : La Justice se plonge dans de gigantesques archives pour trouver des noms, des dates de naissance. Grâce aux fichiers de la sécurité sociale, ces noms et ces dates peuvent diriger vers les individus correspondants. C’est ainsi que la justice allemande, il y a quelques années, a commencé à rechercher les petits exécutants nazis qui n’avaient pas de réputation, pas d’actes d’accusation, qui n’existaient quasiment pas. Ces cas ont été révélés mais aujourd’hui, aucun n’a vraiment été jugé.
Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press