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Santé publique: «Moderniser le système pour lutter contre l’inégalité»

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« L’informatisation, contrairement à ce que l’on croit, est un élément essentiel de ré-humanisation » (Crédit photo: Hasloo Group Production Studio / Shutterstock.com)

JOL Press : Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est C.H.A.M ?
 

Guy Vallancien : C.H.A.M est un congrès qui réunit depuis 6 ans, après la rentrée de septembre, 400 décideurs et experts de premier plan du monde de la santé, venus d’horizons très différents : des institutionnels, des hospitaliers – directeurs et médecins –, des universitaires, des assureurs, des chercheurs, des industriels et des hommes politiques. C’est tous ensemble que nous réfléchissons, pendant deux jours, à un certain nombre de questions qui, cette année, graviteront autour du thème « Liberté, Santé, Inégalité ».

JOL Press : Qu’entendez-vous par « inégalité » ?
 

Guy Vallancien : En réalité, il y a deux types d’inégalités. Les inégalités congénitales : vous avez les yeux bleus ou les yeux marrons, la peau blanche ou la peau noire, vous êtes grand ou vous êtes petit… Ce sont des inégalités contre lesquelles on ne peut rien. Et il y a les inégalités sociales, créées par les systèmes dans lesquels nous évoluons tous.

Ce sont celles-là que nous devons combattre de façon à éviter que certaines catégories de populations soient plus astreintes à des risques de maladies que d’autres. On sait très bien, par exemple, qu’entre les habitants de l’ouest de l’Île-de-France et ceux de l’est, les premiers meurent en moyenne 7 ans après les seconds. Il y a beaucoup de raisons à cela, mais c’est une question qui interroge et qui interpelle les politiques.

JOL Press : Quelles recommandations feriez-vous pour lutter contre ces inégalités ?
 

Guy Vallancien : La première recommandation à faire en matière d’inégalités de santé est d’ouvrir la boîte des informations que nous pouvons obtenir. Vous savez que la caisse nationale d’assurance maladie et l’agence technique de l’information sur l’hospitalisation collectent chaque année des milliards d’informations sur tout ce que nous faisons : médecins, patients, hôpitaux, cliniques, cabinets médicaux…

Ces données-là ne sont pas suffisamment analysées et diffusées pour qu’on puisse en tirer des avis qui permettent d’éclairer les politiques. Il nous manque donc, globalement, une véritable politique de santé publique. Nous avons peu d’économistes de santé publique. Ils sont un peu regardés comme des « zombies » et c’est dommage, car c’est à partir de ces études que nous pourrions savoir comment agir pour réduire peu à peu ces inégalités. Pour l’instant, on reste dans le flou.

JOL Press : Comment pourrait-on justement mettre en place ces études et ouvrir ces banques de données ?
 

Guy Vallancien : Pour ouvrir ces banques de données, il faut une volonté politique affichée et ce n’est pas ce qui prévaut pour l’instant… Il faudrait vraiment obliger les acteurs à accepter la transparence des informations que l’on peut retirer de leurs actions, de façon à améliorer au quotidien les prestations.

Si un médecin a la moitié de ses malades qui sont hypertendus, et qu’au bout d’un an, ces malades le sont toujours, c’est qu’il y a un problème ! Ce n’est pas forcément celui du médecin : le malade peut ne pas prendre ses médicaments, mais cela veut aussi dire que le système de santé n’a pas fait son travail, et n’a pas mis en place les structures, les hommes et les femmes qu’il fallait pour que le malade arrive effectivement à être normotendu un an après. Ce sont souvent des choses très simples, mais c’est ce qui marche le mieux en général en matière de médecine.

JOL Press : La France a-t-elle des leçons à recevoir de ses voisins européens en la matière ?
 

Guy Vallancien : La France a des leçons à recevoir de beaucoup de pays européens, mais aussi des États-Unis, du Canada et des pays émergents qui, eux-mêmes, sont en train de trouver des solutions qui les font passer de « l’âge de pierre » à l’hyper-modernité. Ils organisent des dossiers informatisés, alors que nous sommes très en retard sur toutes ces données qui permettent de mieux savoir qui est qui, qui fait quoi, et qui fait quoi à qui. C’est la base !

Il nous manque donc un énorme effort d’informatisation des processus médicaux. Et pourtant, nous ne manquons pas d’informaticiens et d’ingénieurs talentueux. Mais il n’y a pas de volonté politique affichée, parce que le corps médical est souvent réfractaire, et parce que les institutions veulent monter des « usines à gaz » comme le fameux dossier médical personnel (DMP), qui est toujours dans les limbes… C’est très dommage.

JOL Press : La crise économique a-t-elle eu un impact sur cette volonté affichée de changer les choses ?
 

Guy Vallancien : Il est sûr que la crise économique ne favorise pas les décisions difficiles. En matière sanitaire, il y a déjà tellement d’autres chantiers à gérer qu’ouvrir celui-là en plus n’est pas tellement au goût des responsables qui nous gouvernent. Mais il faudra bien le faire.

La vraie difficulté est qu’en France, on parle toujours beaucoup de santé, mais qu’au moment des élections, celle-ci disparaît à chaque fois du débat, à gauche comme à droite. Ce n’est pas un thème qui apparaît dans les campagnes présidentielles. Peut-être le sera-t-il en 2017 dans la mesure où, là, il y a une politique affichée d’un grand service national, un peu à l’anglaise, qui fait réagir un certain nombre de politiques.

JOL Press : Comment imaginez-vous la médecine du futur ?
 

Guy Vallancien : Nous sommes face à des enjeux liés encore une fois à l’informatisation des processus et de la connaissance. Nous allons avoir, avec nous, un médecin de synthèse, l’ordinateur qui nous permettra de faire des diagnostics et qui, 9 fois sur 10, aura raison, ce qui nous facilitera la tâche. Une fois le diagnostic fait, il pourra décider de la théorie adaptée au malade.

C’est en compilant des milliers d’informations pour un patient donné que l’ordinateur pourra permettre de dessiner le malade personnalisé à qui un traitement adapté sera proposé. C’est une vraie révolution, cela veut dire que le rôle du médecin va changer. Ce ne sera plus « l’homme à tout faire » comme on le voit aujourd’hui, son rôle sera celui du conseiller, justement dans les cas où la machine ne répond pas à « l’offre », si je puis dire.

Cela arrive quand on est en consultation avec des malades : 10 à 15 % d’entre eux, pour des raisons personnelles, religieuses, socio-culturelles, familiales ou professionnelles ne rentrent pas dans la « norme » que l’on peut proposer. Et ça, c’est le vrai rôle du médecin de déroger aux règles pour justement prendre en charge le patient personnellement. Dans ce sens-là, nous allons nous détacher de la technique pour être de plus en plus sur le conseil et l’accompagnement.

JOL Press : Pour vous, l’informatisation ne s’accompagnerait donc pas d’une déshumanisation ?
 

Guy Vallancien : L’informatisation, contrairement à ce que l’on croit, est un élément essentiel de ré-humanisation. Et c’est en utilisant ces outils que nous allons retrouver du temps de parole, de l’écoute au malade, que nous avons perdu.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure et Marianne Fenon pour JOL Press

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[image:2,s]Guy Vallancien est professeur d’urologie à l’Université Paris Descartes, membre de l’Académie Nationale de Chirurgie, président de l’Ecole Européenne de Chirurgie et président de la Convention on Health Analysis and Management (CHAM). Il a été chargé de mission et de rapports auprès du ministère de la Santé à plusieurs reprises entre 2002 et 2010, et il est l’auteur de nombreuses publications dans des revues et livres scientifiques.

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