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2015–2017: «Les 3 sorcières»?

2014 aura donc été l’année de la désillusion et de la confrontation avec une dure réalité : la croissance est en berne pour encore de longs mois. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de LA croissance comme un totem mais d’un niveau de croissance suffisant pour endiguer la hausse inexorable du chômage de masse.

Si l’on se place – ou tente de se placer – à horizon trois ans, que penser ?  Résilience du système et reprise avérée ou survenue plausible de trois sorcières ?

Lorsqu’en 2007, la crise des « subprimes » est survenue aux Etats-Unis, nul n’aurait pu prévoir qu’elle irait jusqu’à faire tutoyer le précipice à l’édifice financier mondial après que les autorités aient fort malencontreusement refusé d’apporter leurs concours à la célèbre banque Lehman Brothers en 2008.

Et vint la crise des « subprimes »…

De cette thrombose sur le marché interbancaire, de cette défiance généralisée dans le monde l’argent, les banques ne se sont jamais vraiment remises malgré le volume d’aides publiques que certaines ont accueilli.

De facto, qu’on le veuille ou non, la crise a pour origine une triple action d’ordre politique. Tout d’abord, le mot d’ordre de l’Administration du Président Georges W. Bush qui voulait accroître le nombre d’accédants à la propriété aux Etats-Unis et a laissé la FED avoir – déjà – une politique laxiste afin de financer ces endettements multi-compartiments et massifs. Puis, il y a eu les conditions de financement de l’effort de guerre : quand la première armée du monde est lancée dans des opérations extérieures aussi lourdes et que sa monnaie n’est pas en danger ( puisque devise de réserve mondiale ) on profite de la notion de  » déficit sans pleurs » de feu Jacques Rueff ( économiste-conseil du Général de Gaulle ) avant d’aboutir à une exigibilité croissante de dettes significatives. Enfin, l’équipe qui entourait le Président Bush – partiellement composée d’anciens de Goldman Sachs – n’a pas visualisé le risque systémique lié à la faillitte de Lehman Brothers. Nos enfants ou petits-enfants apprendront le prix de ces décisions majeures dont il faut avoir conscience qu’elles ont dû dépendre de l’analyse et de la décision d’une poignée d’hommes plus restreinte que les dix doigts des mains de l’être humain.

S’agissant de la crise apparue avec la disparition de Lehman Brothers, la relecture du livre de Gilles Finchelstein et de Matthieu Pigasse ( « Le monde d’après, une crise sans précédent » ) est toujours aussi éclairante. Comme l’indiquent les auteurs :  » le monde a dansé sur un volcan « .

Par-delà le sauvetage public des banques commerciales par apports de liquidités publiques, la période 2009-2012 de trois ans restera marquée par l’effritement sérieux de la croissance, les difficultés de financement de l’économie liées aux préoccupations internes des banques ( on prête quand on est certain de sa survie ), l’émergence de la crise des dettes souveraines, les attaques spéculatives contre la monnaie européenne et hélas la confirmation de la survenue d’un chômage de masse.

Et après…

Reprenons ces points pour tenter de cerner leur trajectoire balistique d’ici à 3 ans.

1 ) L’effritement sérieux de la croissance est une donnée certaine en 2014 ( taux inférieur à 1% et proche de 0,6 à 0,7% ) et 2014 ( taux supérieur à 1% ? ). 2015 pouvant venir nous surprendre favorablement avec un taux de plus de 1,6% soit le taux pivot à partir duquel notre économie présente un solde annuel net positif d’emplois. 2014 aura été une année supplémentaire d’épreuves pour trois raisons centrales : la politique budgétaire pro-cyclique qui a contracté l’activité, notre perte de compétitivité plus durable qu’on ne le pense, l’environnement économique récessif ( Italie en quasi-récession, amorce de ralentissement en Allemagne ).

2 ) Le financement de l’économie est actuellement une difficulté majeure. Nous sommes en pleine phase de « credit-crunch » ( resserrement du crédit ) et les normes dites Bâle III  de ratios prudentiels et d’autres facteurs n’incitent pas les banques à s’exposer. Ayant souffert de la chute de leurs cours boursiers, confrontées à des exigences renforcées en fonds propres, préoccupées de la qualité des créances qu’elles détiennent dans leurs bilans ( et que la comptabilisation en valeur de marché issue des normes IFRS rend volatiles ) , les banques sont fort logiquement des agents économiques en position d’expectative.

3 ) La crise des dettes souveraines en sa dimension hautement spéculative semble s’éloigner mais l’endettement demeure : il représente, en France, plus de 2.038 milliards ( sans omettre le hors-bilan de 3.200 milliards : vidéo de 6 mn http://youtu.be/XpaTBPO-QY0 ) .

Beaucoup reste donc à accomplir : retour quasi-impossible à l’inflation alors restructuration des dettes européennes voir défauts partiels de paiements ?  Tout ceci ne milite guère pour une stabilité de l’euro – monnaie unique nous chérissons – loin de la notion de « zone monétaire optimale » définie par Gunnar Myrdall.

D’un autre côté, l’actualité récente nous indique que des coupes budgétaires non exhaustivement documentées sont prises et que le ralentissement économique des six mois à venir pourrait aller jusqu’à représenter 10 milliards de manque à gagner sur le plan des recettes fiscales. Autrement dit, nous n’adhérons pas au chiffrage de 87 Mds d’euros de déficit budgétaire qui est exact à ce jour avec des prévisions hasardeuses ( +1% de croissance du PIB dans le PLF 2013 ) non validées par le HCFP ( Haut conseil des finances publiques ). La conclusion opérationnelle étant qu’un collectif budgétaire à tenir d’ici à la mi-avril 2015 viendra recaler l’hypothèse de croissance, le déficit et définir de nouvelles quêtes de rentrées budgétaires. A commencer par l’hypothèse hélas crédible d’une hausse de la TVA.

Des marchés déstabilisés

Sur différentes places boursières, notamment Wall Street, les troisièmes vendredis de chaque mois sont surnommés les trois sorcières du fait de l’expiration de différentes options et contrats à terme. Face à cet événement technique, les marchés sont historiquement reconnus comme étant déstabilisés par l’énoncé des « futures » au terme mensuel ( ou autre ) suivant.

Dans le cas de l’AFT, les adjudications des titres indexés sur l’inflation se tiennent le troisième jeudi du mois ( à l’exclusion des mois d’août et de septembre ).

Compte-tenu de la structure de notre dette détenue à 63,4% ( Mars 2014 : source AFT ) par des non-résidents, il y a fort à parier que les conditions de notre refinancement d’ici à trois ans vont être plus complexes qu’à ce jour. La matière est trop sérieuse pour dire que nous sommes dans la période de la  » drôle de guerre » mais il est clair que le flou entourant la maîtrise de la dépense publique coagulé avec la certitude de charges nouvelles vont créer un point de fixation : sur ce sujet, les trois sorcières sont devant nous.

L’impact des trois sorcières

Crise budgétaire, croissance évanouie, chômage de masse sont les faits qui se masquent derrière la référence aux trois sorcières. Référence prise en pensant à la décision que doit annoncer ce jeudi 30 octobre la présidente de la FED, Madame Janet Yellen, en matière d’arrêt progressif des programmes de rachats d’actifs. Ceci aura un effet, à la hausse, sur les taux obligataires. Ceci, par effet de contagion, ne manquera pas de se propager d’ici à fin 2015 en Europe d’où un renchérissement de la charge de notre dette publique.

Ayant évoqué le budget et le risque de récession, il convient d’examiner la variable-clef que représente le sous-emploi.

Comme l’ont écrit Alfred Sauvy et Raymond Aron, le progrès technique permet de produire davantage et plus vite avec moins de personnels. Cette réalité tendancielle n’a aucune raison sérieuse d’être démentie d’ici à trois ans. Dès lors, certains grands groupes continueront à se moderniser et à être – hélas – destructeurs d’emplois.

Parallèlement, Keynes a décrit l’importance de la notion de demande anticipée qui conditionne la propension à investir. Les anticipations des ETI et des PME étant médiocres, il en découle une politique d’embauche économe voire autocensurée.

Compétitivité et éléments hors-prix

Enfin, il y a un point important que le rapport de Monsieur Louis Gallois n’a pas estimé utile de développer. Ayant évoqué le déficit de notre commerce extérieur, ce document a abordé essentiellement la compétitivité-prix et est resté assez discret sur les éléments hors-prix ( tenue des délais, qualité, degré d’innovation incorporée, etc ). De plus, il est surtout resté dans une logique que l’économiste David Ricardo a démontrée il y a deux siècles : celle des avantages comparatifs et celle de la spécialisation internationale.

Or, Paul Krugman ( prix Nobel d’économie en 2008 ) a réussi à établir que les échanges ne portent pas nécessairement entre des économies complémentaires mais souvent entre des économies semblables du fait de  » la préférence pour la diversité des consommateurs  » : préférence qui induit une spécialisation par marque et pas seulement par produit. Son exemple de l’industrie automobile est clair.

Dès lors, L’Oréal ou Danone seront nos atouts là où bien d’autres entreprises ne sont mises en capacité de se hisser au niveau de la notion de marque de référence. Ce point rarement explicité justifie la faiblesse de certains carnets de commande hexagonaux et le sous-emploi que celle-ci génère.

L’ancien président de l’Union des Fabricants ( et actuel secrétaire général du groupe LVMH ) Marc-Antoine Jamet a fréquemment communiqué sur l’aspect positif d’un capital immatériel bien exploité.

D’ici trois ans, notre pays doit accomplir un bond en avant en matière de fiabilité et de notoriété de ces produits manufacturés et savoir conserver ses avantages concurrentiels dans tel ou tel secteur de services.

La crise qui va se déployer en 2015 s’atténuera-t-elle en 2016 ?

Rien n’est moins sûr car de profonds déséquilibres vont apparaître lors de la future année et induire des ricochets en 2016..

Tout cela ne dresse pas un tableau facile à accepter mais il ressort de nos analyses et de nos échanges avec des opérateurs économiques et bancaires variés.

On ne soigne pas un diabétique sans lui dire son taux de glycémie : la France ne se redressera que si des choses exactes et sincères lui sont dites. Il y a trop longtemps qu’une certaine partie de la classe politique a remis à demain ce qu’aujourd’hui exigeait déjà d’accomplir.

Face aux trois sorcières, nous avons les atouts du courage et de l’intelligence de notre pays. Kenneth Boulding a nommé  » le capital de réciprocité » l’ensemble des relations informelles qui aide une population à traverser une crise. L’économie de la main tendue et l’économie informelle alliées aux amortisseurs sociaux devraient nous permettre de traverser les peurs objectives du déclassement social. Tel est bien entendu notre souhait personnel.

Pour le reste, n’oublions pas la pertinence d’Emile Zola ( « La vérité en marche » ) :  » La vérité et la justice sont souveraines, car elles seules assurent la grandeur des Nations« .

Oui, être respectueux et sincères sont des moyens de réduire les trois sorcières et d’alimenter la nécessaire résilience. Davantage que des effets de « window-dressing » pour s’embellir, le temps d’un instant, face à Bruxelles.

2016 sera une année budgétaire de  » mur  » car des choix n’ont pas été retenus dans le PLF ( projet de loi de finances ) pour 2015. Quant à 2017, il est trop tôt pour se projeter en économie. En revanche, tout le monde a compris que le quinquennat actuel aux allures parfois crépusculaires a déjà mis dans les starting-blocks nombre de prétendants ce qui n’est pas gage de sérénité ni de concentration vers le labeur du redressement de notre Nation. Vive le septennat non renouvelable !

 
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