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Budget 2015: Pourquoi la France veut-elle tenir tête à la Commission?

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Les traités européens représentent aujourd’hui un corset difficile à dépasser pourcertains etats membres de l’UE. Si la France s’en émancipe, ce sera au prix d’une perte de crédibilité en Europe et au risque de rouvrir une crise européenne. (Crédit : Shutterstock)

 

Lors de sa dernière conférence de presse, le 19 septembre, François Hollande avait expliqué le « message » qu’il entendait lancer à ses partenaires européens au moment de la présentation du budget français pour 2015 à la Commission : « Je ne pense pas que la France puisse faire en même temps la réduction de ses déficits et le rétablissement de sa compétitivité. Je vais expliquer que l’enjeu pour la France, c’est de rétablir sa compétitivité, et combler son retard d’investissement sur l’Allemagne ».

Alors que la loi de finances 2015 est présentée ce mercredi 15 octobre par la France à Bruxelles, décryptage des propos présidentiels, qui expliquent en substance la position « frondeuse » de Paris, avec Xavier Timbeau.

 

JOL Press : Le Président a-t-il raison lorsqu’il affirme que réduction des déficits et rétablissement de la compétitivité sont deux objectifs antinomiques ?

 

Xavier Timbeau : A long terme, les deux objectifs ne sont pas antinomiques. En revanche, et c’est ce qui nous importe, concilier les deux objectifs est difficile.

La réduction du déficit public peut découler de gains de compétitivité et plus généralement d’une sortie de la crise de la zone euro et de la France. Réduction du chômage, plus de croissance… sont autant de facteurs qui permettent de ramener le déficit dans les clous.

Pour réduire rapidement le déficit public, il faut en revanche accroître les impôts, réduire les dépenses, l’investissement public ou les dépenses de transfert. Or tout ceci, au moins à court terme, pèse sur l’activité et induit une baisse des recettes fiscales. C’est le fameux multiplicateur budgétaire, dont il a été tant question après qu’il est apparu qu’il avait été largement sous estimé par la Commission ou le FMI en 2010-2011.

Ainsi, pour combler le retard d’investissement auquel François Hollande fait référence, le retour de l’activité est primordial. La restriction budgétaire en est alors le frein. La contradiction apparente se lève si l’on considère que la réduction des déficits publics doit être un objectif de moyen terme, qui dépend à la fois des économies de dépenses, des hausses d’impôts mais aussi de la croissance économique, des taux d’intérêt ou de l’inflation.

Et ces cinq éléments sont reliés entre eux, c’est le fonctionnement même des économies qui en est la cause. Ce n’est donc pas un système simple, facile à manier comme le budget d’un ménage ou même l’activité d’une économie.

JOL Press : La France déficitaire aurait-elle raison de ne rien céder tant que l’Allemagne excédentaire ne s’engagera pas à soutenir l’investissement et la croissance dans l’UE – notamment en renonçant à son dogme du « déficit zéro » ?

 

Xavier Timbeau : La proposition faite récemment par Michel Sapin [ministre de l’Economie et des finances français, ndlr], dans une interview aux Echos, d’avoir une approche globale de la politique budgétaire européenne puis d’en tirer les conséquences pays par pays est une bien meilleure approche que ce qui est fait aujourd’hui.

Face au risque de déflation et de prolongation de la récession, la meilleure politique budgétaire serait de faire une pause dans la marché forcée à la réduction des déficits et de réinvestir pour préparer le futur.

Les enjeux sont d’ailleurs plus que budgétaires ou de croissance, puisqu’il importe de préparer de toute urgence la transition énergétique. Le dernier rapport du GEIC nous rappelle que le compteur tourne et que nous avons déjà raté la stabilisation du climat à +1,5°C (par rapport à l’ère préindustrielle). Le scénario accessible est maintenant +2,6°C et les coûts de l’inaction sont considérables.

Dans la proposition de M. Sapin, une fois actée la politique budgétaire pour la zone euro (pause dans la réduction des déficits, reprise de l’investissement public, favoriser l’investissement privé), on pourrait alors, pays par pays, fixer des objectifs en fonction de la contrainte générale. Les pays qui ont de très faibles déficits devraient plus investir que ceux qui ont des déficits importants et dont les investissements devraient être compensés par des économies de dépenses.

Des choix difficiles, mais dont l’effet général serait positif, et qui s’inscriraient donc dans une logique générale positive au lieu de s’engager dans la décennie perdue.

Mais il y a un mais. La gouvernance européenne, renforcée par le TSCG (ou fiscal compact) adopté en octobre 2012 (et formellement accepté par François Hollande) ainsi que par el 2 pack (deux règlements qui renforcent la surveillance des Etats membres de la zone euro), définit un schéma très différent : réduction rapide des dettes en deçà de 60% pour les pays dont le déficit est inférieur à 3%, réduction rapide des déficits pour les pays où il est supérieur à 3% (la France).

Ce schéma met la priorité sur la double réduction des dettes et des déficits, sans que soit possible de prendre en compte toute autre considération. Tout au plus, pour les pays en deçà de 3% de déficit, et à condition que leur dette ne soit pas trop élevée et qu’elle se réduise, est-il possible d’introduire un peu de flexibilité dans le calendrier de retour vers les chiffres totémiques de 60% de dette.

Notez bien que ni les Etats-Unis ou le Royaume Uni ne s’imposent un tel agenda, bien que la question de la dette publique soit centrale dans le débat. Centrale, mais pas première.

Le traité européen exprime en fait une vision du monde qui veut que la réduction de la dette publique soit positive et ce dans de telles proportions que c’est la clef pour retrouver toute marge de manœuvre. Cette vision est très contestée et aucun travail empirique récent ne vient la confirmer. Les travaux qui avançaient des résultats justifiant une réduction rapide et forte de la dette publique ont d’ailleurs été invalidés. 

Le traité renforcé aujourd’hui est un corset difficile à dépasser. Si la France s’en émancipe, ce sera au prix d’une perte de crédibilité en Europe et au risque de rouvrir une crise européenne. En particulier, la BCE soutient l’économie européenne sur la base de cette gouvernance renforcée. 

JOL Press : Le budget 2015 français ne répond certes pas aux impératifs de réduction des déficits, en revanche, semble-t-il armé pour amorcer le rétablissement de la compétitivité ?

 

Xavier Timbeau : Il y a quelques subtilités dans le budget 2015 et sa présentation en a été très maladroite.

Maladroite parce que le budget 2015 comporte un volet économie de dépense important (les 21 milliards répétés par Michel Sapin lors de sa conférence de presse de septembre) et toujours une augmentation des prélèvements des ménages de l’ordre 6 milliards d’euros (après 12 milliards en 2014). C’est d’ailleurs sensible sur les feuilles d’impots !

De l’autre côté, le CICE [le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ndlr] et le pacte de résponsabilité, complétés par les décisions actées aux Assises de la fiscalité vont conduire à une réduction de plus de 40 milliards d’euros des prélèvements, impôts et cotisations à la charge des entreprises d’ici à 2017.

En 2015, les entreprises veraient leurs coûts allégés de près de 8 milliards d’euros. C’est ce volet-là qui vise à rétablir la compétitivité-coût de l’économie française et qui constitue un effort sans précédent.

Le pari du gouvernement peut se contester dans son timing, dans son opportunité. On peut en discuter l’efficacité en termes de création d’emploi ou encore la cohérence face au risque de déflation. Mais on ne peut pas dire que rien n’est fait (contrairement à ce que la présentation initiale laisse penser).

 

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

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Xavier Timbeau est Directeur du Département analyse et prévision à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

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