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Budget: comment la France a-t-elle trouvé 3,6 milliards d’euros supplémentaires?

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(Photo : Frederic Legrand/Shutterstock.com)

La France a présenté, lundi 27 octobre, une modification de son projet de budget 2015 pour examen par la Commission européenne. Quels sont ces nouveaux éléments qui ont permis à la France de trouver de nouvelles économies ?
 

Jérôme CreelLe ministre des Finances, Michel Sapin, a listé trois éléments qui permettront à la France de respecter les engagements européens qu’elle a pris envers l’Union Européenne.

En premier lieu, les charges d’intérêts qui seraient plus faibles que prévu. C’est la conséquence d’une bonne nouvelle, à savoir que les taux d’intérêts sur la dette publique française continuent de baisser donc les charges d’intérêt sur cette dette baisseraient également.

Ensuite, comme chaque année, la France doit verser une contribution auprès de l’Union européenne pour financer le budget européen. Or grâce aux changements comptables, des pays européens sont plus riches que d’autres. C’est le cas du Royaume-Uni dont la position comptable s’est améliorée par rapport à la France. De ce fait, la contribution au budget européen du Royaume-Uni doit augmenter tandis que la France économiserait un milliard d’euros sur sa propre contribution. C’est une aubaine qui nous permet de réduire une dépense française.

Enfin, le troisième élément qui permet d’aboutir à ces bonnes nouvelles budgétaires est que le gouvernement français a décidé d’accélérer et de renforcer la lutte contre la fraude fiscale. Il attend dès lors de nouvelles recettes.

Ces informations sont-elles réellement nouvelles ?
 

Jérôme Creel : Sur ces trois éléments, une mesure est très ponctuelle : celle du moindre prélèvement européen. Les deux autres étaient déjà actées dans les projets de loi de finances préalables dans la mesure où l’Etat français ne peut pas, entre le 15 septembre et aujourd’hui, avoir décidé d’une accélération de sa politique contre la fraude fiscale et donc d’une accélération des résultats qu’elle pourrait en attendre.

Ces éléments de langage permettent d’affirmer que la France va mettre en œuvre une politique plus efficace contre la fraude fiscale. Mais ce sont davantage des mots que des actes, tout comme l’est l’évolution des charges d’intérêts dans la mesure où une proportion très importante de notre dette publique est émise à taux d’intérêts fixes.

Cela signifie que sur la dette qui a d’ores et déjà été émise, la baisse des taux d’intérêts à laquelle on assiste n’a aucune conséquence, sauf si l’Agence France Trésor décide de rembourser plus vite que prévu certaines dettes émises par le passé, en échange d’une émission d’autres dettes, aujourd’hui, à des taux plus bas.

L’Agence a alors peut-être reçu des consignes pour intensifier l’optimisation des émissions de dette publique française. L’Agence France Trésor optimise les émissions de dette publique française tandis que les services fiscaux optimisent la lutte contre la fraude fiscale. Ces services de plus en plus efficaces au niveau de l’Etat permettent à Michel Sapin d’affirmer qu’il respectera le pacte de stabilité et de croissance.

Pourquoi la France n’a –t-elle pas considéré ces éléments dans la première version de son budget ?
 

Jérôme Creel : Très certainement, le gouvernement français a espéré que son budget passerait, tout en étant sans doute conscient du fait que le solde structurel, c’est-à-dire la partie qui ne dépend pas des évolutions conjoncturelles de son déficit, ne rentrait pas dans les normes et allait forcément créer une tension avec la Commission européenne.

Dans la lettre que Michel Sapin a adressé à son interlocuteur de la Commission européenne, il indique désormais que le solde structurel français s’améliorera de 0,5% du PIB, comme l’y obligent les traités en vigueur.

Le gouvernement avait donc très certainement un certain nombre de mesures budgétaires et fiscales en réserve pour faire éventuellement face aux critiques qui lui auraient été adressées.

Il a longtemps été question d’une mesure consistant à prévoir une augmentation de la TVA. Les discours de certains économistes et experts sur le caractère extrêmement défavorable d’une telle décision, notamment sur le pouvoir d’achat des ménages français, a porté ses fruits et le gouvernement a privilégié des mesures sans doute illusoire mais qui lui permettront d’afficher un déficit public et une évolution de son déficit structurel conforme au traité.

Si la France n’était pas contrainte de se plier à cette rigueur européenne, le gouvernement français pourrait sans doute utiliser ces ressources pour relancer l’économie. Le Pacte budgétaire ne montre-t-il pas ici ses limites ?
 

Jérôme Creel : La critique que l’on peut formuler à l’endroit du Pacte de stabilité et de croissance, c’est d’obliger les gouvernements à chercher des micro-mesures pour tenter de respecter le pacte ou de faire croire qu’ils le respectent.

Nous avons alors bien conscience qu’il y a du temps et de l’énergie de perdus. Des mesures de politique économique pourraient en effet être mises en œuvre et seraient peut-être plus favorables pour relancer la croissance française et européenne, que la lutte contre la fraude fiscale. Une lutte dont les services fiscaux français se chargent depuis déjà bien longtemps.

David Cameron a d’ores et déjà annoncé qu’il ne paierait pas l’augmentation de la contribution britannique au budget européen. Cette démarche pourrait-elle donner des idées à d’autres pays européens ?
 

Jérôme Creel : Le Premier ministre britannique réédite l’exploit de Margaret Thatcher qui considérait qu’il fallait qu’elle reçoive de l’argent du budget européen si elle payait pour ce même budget. « I want my money back », disait-elle alors.

Craignant de ne pas obtenir d’argent en retour, David Cameron refuse aujourd’hui de payer cette participation. C’est une position assez caricaturale. Le Premier ministre laisse entendre qu’on ne paye que si on reçoit alors même que le budget européen a pour ambition originelle d’être un budget de solidarité entre les Etats membres. Ce sont les pays qui sont les plus riches qui contribuent le plus au bénéfice des pays les moins riches, ou des secteurs les moins développés.

Nous tombons à nouveau dans une politique de prise en otage du budget européen qui témoigne de la façon très comptable dont les Européens évaluent les priorités.

David Cameron a mis en place une gigantesque politique d’austérité. S’il doit payer une contribution plus élevée, cela signifie que son déficit s’élèvera et qu’il devra à nouveau mener une politique d’austérité budgétaire.

Rien ne l’empêche aujourd’hui d’aller contre la commission européenne. Il pourrait verser le montant que doit le Royaume-Uni au budget européen tout en décidant de ne pas réduire son déficit budgétaire de ce même montant. Il aurait donc un déficit budgétaire un peu plus élevé mais pourrait négocier avec les membres de la Commission en expliquant que cette mesure n’était pas prévue initialement, ce qui l’amènera à ne pas respecter, temporairement, le pacte de stabilité et de croissance.

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

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