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En Tunisie, l’abstention pourrait propulser les islamistes au Parlement

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Les Tunisiens sont appelés aux urnes le 26 octobre prochain. A l’approche du scrutin, les électeurs semblent douter et témoignent d’une perte de confiance dans ce processus démocratique. Comment expliquez-vous ce sentiment ?
 

Pierre Vermeren : Des espoirs considérables ont été soulevés au moment de la révolution. Les Tunisiens pensaient alors que la démocratie allait opérer comme par magie. Aujourd’hui, ils sont face à la réalité. Non seulement il a été très difficile de parvenir à un compromis constitutionnel et politique mais les batailles idéologiques se poursuivent.

La population est particulièrement affectée par la situation économique, le chômage et la délinquance. Ces problèmes d’ordre public et social sont anxiogènes si bien qu’aujourd’hui, un Tunisien sur deux est vraiment convaincu par le système démocratique.

Ce désenchantement risque de se traduire par un fort taux d’abstention. Peut-être même de l’ordre de 50% du corps électoral. Le même scénario s’est déroulé il y a trois ans. Pour ce scrutin, l’abstention pourrait avoir une influence considérable sur le résultat des élections, car nous savons que les militants islamistes iront voter en masse et pourraient donc rapidement devenir majoritaires au Parlement.

Les Tunisiens  n’ont pas été rapides pour s’inscrire sur les listes électorales. Qu’en est-il aujourd’hui ?
 

Pierre Vermeren : Cela oscillerait entre 40% et 60% d’inscription pour cette première étape du processus qui précède celle du vote.

Lors de l’élection de l’Assemblée constituante, il y a trois ans, le même scepticisme régnait et seule la moitié de la population s’était déplacée pour voter. Il est vrai que dans un pays où personne n’avait jamais voté librement, les chiffres peuvent étonner.

Il faut toutefois se souvenir qu’il s’agit d’une expérience inédite en Tunisie comme dans la région. La démocratie est une culture et demande un long travail. Même dans les grandes démocraties, l’absentéisme existe et ce n’est pas parce que soudainement le droit de vote est offert à tous que celui-ci devient un réflexe.

La 2ème République de Tunisie est en train de naître. Elle n’en n’est qu’à ses balbutiements et le chemin sera sans doute long pour prouver aux Tunisiens que le système qu’ils créent leur procurera davantage de sécurité et d’emploi.

Plus que tout, les Tunisiens sont sonnés par les difficultés économiques que traverse leur pays. Celles-ci sont bien entendu liées à la crise économique internationale, mais également au fait que l’économie était déjà faible, bien que masquée par les comportements de la mafia au pouvoir.

Des incertitudes politiques demeurent et les investisseurs potentiels attendent les résultats de ces élections pour s’engager. C’est un véritable cercle vicieux car les Tunisiens attendent la preuve de l’efficacité de ce système et veulent également une réponse très concrète à leurs questions, qu’il s’agisse de l’emploi ou des répercussions sociales que cette situation impliquent sur leur niveau de vie.

Quelles ont été, selon vous, les erreurs faites par les politiques qui se sont succédés au pouvoir depuis 2011 ?
 

Pierre Vermeren : Ils ont sans doute été un peu naïfs, comme tous les Tunisiens. Au lendemain de la révolution, l’euphorie était telle que tous pensaient que tout irait de soi. Dans les faits, et depuis le début, deux visions de la société se sont opposées et des tensions idéologiques extrêmement fortes ont animé le débat politique.

Au nom de la liberté, les politiques ont laissé des ennemis de la liberté prospérer, jusqu’à ce que cela entraine des assassinats, des départs vers le Moyen Orient, vers le théâtre libyen. Ils ont laissé se construire un maquis islamiste à la frontière de la Libye.

De vives querelles sont survenues à l’intérieur même des camps politiques. Ces hommes ont été incapables de s’entendre et de voir d’où venait le danger, notamment islamiste. Chacun a voulu tirer la couverture de son côté tandis qu’ils avaient de grandes difficultés à investir, à récupérer les capitaux de l’ancien régime, à séduire de nouveaux investisseurs étrangers.

Alors que les islamistes sont allés chercher les Qataris, les démocrates n’ont sans doute pas assez vendu leur pays aux Européens qui eux-mêmes sont touchés par la crise économique.

Enfin, nous avons assisté à de nouvelles querelles concernant l’écriture de la constitution. Celles-ci ont duré deux ans et demi alors même que l’Assemblée constituante avait été élue pour deux ans. Ces erreurs sont liées à l’inexpérience, à une forme d’enthousiasme, de naïveté, et à des tensions très fortes à l’intérieur de la société.

Il est toutefois difficile de définir un coupable parmi d’autres. Cette inexpérience et cet amateurisme étaient presque inévitables.

Quels seront les grands enjeux de la nouvelle Assemblée nationale ?
 

Pierre Vermeren : Les députés seront d’abord confrontés à une mission politique, il leur faudra véritablement fonder la 2ème République de Tunisie, celle qui existe dans les textes mais qu’il faut désormais faire vivre. C’est une expérience inédite dans la région car c’est la première fois, si tout fonctionne bien, qu’un Parlement sera librement élu sur la base d’institutions démocratiques.

Il faudra ensuite construire un Etat de droit, à partir de la constitution. De nombreux textes de loi doivent être écrits, notamment concernant les libertés publiques, la Justice, l’école, la décentralisation.

L’économie doit être relancée et pour cela, il faut instaurer un système durablement stable pour attirer les investisseurs. Il leur faudra également refonder l’armée et les forces de l’ordre, notamment la police, qui est toujours celle qui servait l’ancien régime, tout comme la Justice.  Quant à l’armée, elle doit être une force importante, non pas pour résister aux voisins algériens et libyens qui seront toujours plus forts, mais pour tenir les frontières, pour mettre fin au maquis islamiste et pour qu’elle ne devienne pas une menace pour le régime.

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

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