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Et si Bruxelles refusait le budget de la France?

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(Photo : Felix-Emanuel Catana/Shutterstock.com)

Le budget de la France a de fortes chances d’être refusé par Bruxelles. Quelles en seraient les raisons ?
 

Henri Sterdyniak : La France a signé la Pacte de Stabilité puis le Traité budgétaire. Selon ces textes, le déficit public d’un pays de la zone Euro ne doit pas dépasser les 3 points de PIB ; dès que le déficit public dépasse cette limite, le pays est soumis à la procédure de déficit excessif et doit revenir sous les 3% selon un calendrier accepté par la Commission.

La France s’était engagée à revenir en dessous des 3% en 2012, puis en 2013 ; elle a obtenu, en juin 2013, la possibilité de reporter à 2015 le passage sous les 3%. 

Mais, selon le budget présenté fin septembre 2014, le déficit sera toujours de 4,3% du PIB en 2015 ; le passage sous les 3% est reporté à 2017.En décembre 2012, la France s’était engagé à faire un effort de 3,2 points de PIB sur les trois années 2013, 2014 et 15 ; selon le nouveau budget, l’effort ne sera que de 1,4 point. Bruxelles est donc contrainte, soit de sanctionner la France, soit de renoncer aux principes du Pacte et du Traité.

Pour rentrer dans les clous, la France devrait faire en 2015 un effort supplémentaire de baisse des dépenses publiques de l’ordre de 1,4% du PIB, soit de 28 milliards. En même temps, cet effort aurait un impact récessif sur le PIB : au lieu d’une croissance de 0,8% en 2015,  la France connaitrait une baisse du PIB de l’ordre de 0,6%, de sorte que les rentrées fiscales diminueraient et que l’objectif de 3% ne serait pas atteint non plus. La France a donc raison de désobéir.

La Commission européenne pourrait être amenée à mettre en place des sanctions à l’encontre de la France. Quelles seraient ces sanctions ?
 

Henri Sterdyniak : La Commission pourrait infliger à la France une amende de 0,2% de son PIB, soit de 4 milliards d’euros, chaque année. Elle pourrait lui imposer de rendre compte tous les trois mois de l’exécution de son budget.

Elle pourrait également lui demander de s’engager fermement sur des réformes structurelles, qu’il s’agisse de la réforme des retraites, de la baisse des indemnités chômage, de la réduction des allocations familiales ou encore de la diminution du nombre de fonctionnaires.

Cependant, la France n’a aucune difficulté à trouver des financements pour sa dette publique. Elle s’endette à des taux nul à 1 an, à un taux très bas (1,3% à 10 ans). Elle contribue également à garantir les dettes publiques de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal.

En Afrique et au Moyen-Orient, elle fait un important effort militaire dont beaucoup de pays de l’Union Européenne s’exemptent. Aujourd’hui, la France contribue pour 22 milliards au budget de l’UE et sa contribution nette est de l’ordre de 6 milliards. Son déficit n’a aucune conséquence néfaste pour ses partenaires européens, de sorte que la sanction apparaitrait comme absurde : on pénaliserait un pays pour ne pas respecter une limite arbitraire de 3%.

Au niveau européen, la France est-elle la seule à ne pas réussir à fournir les efforts nécessaires pour équilibrer son budget tel que le demande l’Europe ?
 

Henri Sterdyniak : La France n’est pas le seul pays à ne pas respecter les critères européens de finances publiques. En 2014 par exemple, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, mais aussi, en dehors de la zone euro, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Japon ont des déficits publics supérieurs à 3 % du PIB. La quasi-totalité des pays de l’OCDE ont des dettes publiques supérieures à 60% du PIB.

La France a fait des efforts importants depuis 2009, de l’ordre de 4,5 points de PIB, soit un peu plus que la moyenne des pays de la zone euro. Les pays qui ont fait des efforts plus importants (Grèce, Espagne, Portugal, Irlande) sont dans des situations économiques préoccupantes. Il est légitime que la France, où les investissements publics sont importants (4 points de PIB) conserve un certain déficit public.

Le premier problème est que lorsque tous les pays de la zone mènent en même temps des politiques d’austérité, le PIB de la zone est lourdement affecté et les objectifs de finances publiques ne peuvent être atteints. Nous le constatons en Europe depuis 2012, mais la Commission refuse toujours de renoncer à sa politique d’austérité, malgré ses résultats désastreux.

La deuxième est que ces objectifs n’ont aucun fondement économique : les limites de 3% du PIB pour le déficit et de 60% du PIB pour la dette sont arbitraires. Il est légitime qu’un pays qui investit beaucoup et qui est en récession ait un déficit public relativement important. Il serait suicidaire d’ajouter une politique trop restrictive à une situation déjà déprimée.

Le troisième problème est que les gouvernements français successifs ont eu tort d’accepter de signer le Pacte de Stabilité puis le Traité Budgétaire, ont eu tort de prendre des engagements intenables sur le plan économique. La France apparait aujourd’hui incapable de tenir ses engagements. Il aurait été plus courageux et plus honnête de refuser de signer.   

La France pourrait-elle passer outre la décision européenne, conserver son budget dans sa forme actuelle et refuser les sanctions européennes ? Quelles seraient les conséquences d’un tel geste ?
 

Henri Sterdyniak : Sur le plan du droit européen, elle n’en a pas le droit. Le refus de la France ouvrirait une grave crise en Europe. Il mettrait en cause les fondements de la coordination budgétaire que l’Union Européenne a mis en place : la norme de 3%, l’objectif de solde équilibré, le pilotage par le semestre européen et la procédure de déficit excessif.

Cette coordination a été imposée par l’Allemagne et les pays du Nord en échange de leur acceptation de la Monnaie Unique.

En sens inverse, cette coordination par des règles arbitraires se révèle totalement contreproductive ; la politique d’austérité pilotée par la Commission a tué la reprise qui s’esquissait en 2010 et 2011 ; la zone euro reste une zone de faible croissance, de chômage de masse  et de déséquilibres entre les Etats membres.

De sorte que la question se posera : ne faudrait-il pas que la France ait le courage de dire clairement non et de demander une rupture franche dans les politiques de l’Union Européenne ?

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

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