Site icon La Revue Internationale

Étudiants disparus au Mexique: que fait le gouvernement ?

[image:1,l]

JOL Press : L’affaire des étudiants disparus à Iguala, dans l’État du Guerrero,  est-elle sans précédent au Mexique ?
 

Jean Rivelois : Les étudiants disparus sont un nouvel acteur qui a troublé le jeu politico-criminel dans l’Etat du Guerrero. Les étudiants avaient décidé de manifester dans cette ville pour réclamer davantage de subventions du gouvernement pour leurs universités. Il se trouve qu’au même endroit et au même moment, la femme du maire d’Iguala devait faire son discours. Le chef de police a alors réprimandé la manifestation. Le bus des étudiants a été mitraillé. Les policiers ont fait descendre les étudiants du bus avant de les confier à leurs alliés locaux, un groupe de narcotrafiquants « Les Guerreros Unidos »  dont on vient d’arrêter l’un des responsables.

Les 43 étudiants ont probablement été enlevés, torturés, exécutés et enterrés dans des fosses communes à la demande des autorités locales qui ont sous-traité ces exécutions à des groupes de narcotrafiquants avec lesquelles elles sont en connivence.

Le problème de fond c’est combien y-a-t-il d’Iguala au Mexique à l’heure actuelle ? La disparition des étudiants fait la Une des journaux car il s’agit d’assassinats de masse, mais des tragédies de la sorte ont lieu tous les jours au Mexique. La population mexicaine dans son ensemble est la principale victime de ces connivences.  Les Mexicains ne sont pas tous corrompus et violents : ils doivent subir une corruption institutionnelle et politique qui leur rend la vie impossible. 

JOL Press : Comment le gouvernement tente-t-il d’endiguer la violence au Mexique ?
 

Jean Rivelois : Pour faire baisser la violence il faut négocier avec les narcotrafiquants, ce qui revient à s’éloigner de l’Etat de droit: l’Etat ne doit pas négocier avec les groupes criminels mais les réprimer. Cette négociation correspond donc à un accroissement potentiel de la corruption, censée faire diminuer l’insécurité publique.

Il y a trois partis du gouvernement au Mexique : le Parti action nationale (PAN) a mis en œuvre cette politique de guerre contre la drogue qui a débouché sur un accroissement de la violence et de l’insécurité publique. Lors des élections présidentielles de 2012, la population a rappelé au pouvoir lors le parti traditionnel, le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), localement corrompu par des organisations criminelles, afin de faire baisser la violence. Enfin, le Parti de la Révolution Démocratique  (PRD), un parti théoriquement de gauche, est lui aussi compromis localement avec les groupes criminels dans cette affaire. 

La population n’a pas donc pas de parti politique d’alternance qui pourrait développer une politique autonome par rapport à ces groupes de narcotrafiquants, très présents dans certaines régions du Mexique.

JOL Press : L’Etat du Guerrero où sont disparus les étudiants est-il un point stratégique du territoire mexicain ?
 

Jean Rivelois : Oui, c’est un Etat stratégique, car il est traversé par la route pacifique du transport de cocaïne, provenant des zones andines à destination des Etats-Unis. Il y a des cultures de marijuana et de pavots dans cette région : c’est aussi dans cette zone-là qu’est stockée une grande partie de la drogue destinée à la consommation locale. Les enjeux sont très importants pour les narcotrafiquants de contrôler cette zone, mais aussi pour les groupes politiques locaux de retirer à leurs profits une partie de cette rente de la drogue.

JOL Press : Depuis la disparition des étudiants, des manifestants pointent du doigt l’irresponsabilité de l’Etat, qu’en pensez-vous ?  
 

Jean Rivelois : Je ne pense pas que l’Etat soit irresponsable : il est incarné par ses représentants, qui sont tout à fait responsables de leurs actes et de leur manquement au niveau régional et local. L’Etat central est désigné comme irresponsable car il n’a pas pu retrouver les étudiants disparus. Le problème n’est pas d’attaquer les effets de cette situation, mais plutôt les causes. L’Etat central doit s’attaquer à la corruption qui structure le système politique.

JOL Press : La mobilisation des manifestants pourrait-elle se traduire sur la scène politique ?
 

Jean Rivelois : Les revendications des manifestants sont tout à fait légitimes. Le problème c’est qu’il n’y a pas de relais politique à ces revendications, qui permettrait de remettre en question la structure même du système. Chaque fois que des évènements de la sorte se transforment en mouvements sociaux  d’opposition au gouvernement, ils sont éphémères. Ces mouvements ne sont pas repris par les partis politiques comme le montre le cas d’Iguala au Mexique : nous sommes face à un problème d’offre politique. 

JOL Press : Quelles sont les conséquences de cette affaire sur le  gouvernement d’Enrique Peña Nieto ?
 

Jean Rivelois : Enrique Peña Nieto est fragilisé par cette affaire. Les Mexicains veulent un Etat fort. Derrière cette revendication dans la responsabilité de l’Etat, les Mexicains veulent que l’Etat soit plus puissant que les groupes criminels. A partir du moment où l’Etat central – à travers ses institutions, sa police et son armée -ne parvient pas à remettre dans la légalité des autorités locales ou régionales corrompues ou qui agissent en connivence avec des groupes criminels, alors effectivement, il s’agit d’un problème de responsabilité de l’Etat.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

—————————

Jean Rivelois est sociologue, chercheur à l’Institut de recherche et de développement (IRD) et spécialiste des cartels de drogue au Mexique.

Quitter la version mobile