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Hillary Clinton: si vous n’êtes pas avec elle, vous êtes contre elle

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(Photo: Shutterstock.com)

Malgré une vie passée sous la lumière des médias, les Clinton demeurent un mystère. Epoux, associés, partenaires ? Le destin de l’un est indissociable de celui de l’autre. Tant de travail, d’épreuves et d’humiliations, tant de gloires et de déboires ont laissé leurs traces. Mêlant la politique et l’histoire intime, l’historien Thomas Snégaroff réussit le tour de force de brosser le portrait croisé d’un couple mythique et fascinant.

Extrait de Bill et Hillary Clinton – Le mariage de l’amour et du pouvoir, de Thomas Snégaroff (Editions Tallandier – 2 octobre 2014).

Mais ce qui a probablement emporté la décision finale, c’est la discussion qu’Hillary et Obama engagent à l’aube, le 20 novembre. Cette fois-ci, Hillary est prête à entendre les arguments du futur président américain. C’est en abordant les dossiers, l’Irak, l’Afghanistan, l’Iran, la Corée du Nord, la crise économique, qu’elle se laisse enfin définitivement convaincre qu’elle sera plus utile à l’Amérique à la tête de la diplomatie de son pays que parmi cent sénateurs sur le Capitole. Hillary raconte que c’est après avoir raccroché qu’elle a pris conscience qu’elle n’avait pas le droit de refuser le poste. Si dans le couple Clinton, c’est plutôt Bill qui a toujours fait preuve d’empathie, Hillary se met alors dans la situation d’Obama et inverse les rôles. Elle n’aurait pas supporté un refus. Obama n’aura pas à en supporter un. Et pour achever de se décider, outre la loyauté, Hillary évoque également sa foi méthodiste qui lui a enseigné : « Fais tout le bien que tu peux, à chaque moment que tu peux, à tous les gens que tu peux, aussi longtemps que tu peux. »

[image:2,s]Difficile cependant de ne pas voir dans la décision finale d’Hillary son sens politique. Son ami Mickey Kantor a beau affirmer qu’« il y a très peu de chance qu’Hillary se présente à nouveau un jour à la présidence. Quand tu sais que tu ne seras jamais président, tu fais tout pour que les prochaines années, peut-être les dernières de ta vie publique, soient vraiment marquantes », on ne peut s’empêcher de penser qu’Hillary n’a pas enterré ses ambitions. Qu’elle a parfaitement compris les raisons de son échec. Que la condition d’une victoire à l’élection présidentielle sera de pleinement assumer sa condition de femme, ce qui suggérera de ne plus avoir besoin de la nier pour donner l’image d’un commander in chief. Passer quatre ans à la tête de la diplomatie américaine, quatre ans à sillonner le monde, quatre ans à gérer des crises internationales, quoi de mieux pour pouvoir se présenter en 2016 comme une femme sans craindre d’être déqualifiée pour autant ? Barack Obama a montré la voie en 2008 en assumant totalement son identité africaineaméricaine. Si Hillary veut un jour s’asseoir dans le Bureau ovale, il lui faudra à son tour assumer la sienne. C’est certainement la raison pour laquelle ses Mémoires de secrétaire d’État sortent en juin 2014, alors que la sphère mediaticopolitique ne cesse d’évoquer une possible candidature d’Hillary à la présidentielle de 2016. En rappelant qu’elle s’est rendue dans cent douze pays en quatre ans et en listant soigneusement les problèmes géopolitiques qu’elle a dû régler, elle clôt très tôt le débat sur sa capacité à endosser le costume de commander in chief.

Car il ne fait guère de doute que contrairement à ce qu’affirme Mickey Kantor, Hillary pense à la présidentielle depuis sa défaite des primaires. Elle sait pertinemment qu’il lui faudra patienter huit ans. Barack Obama se représentera en 2012. Dès juin 2008, le couple Clinton se met en ordre de marche. Pour eux, la défaite n’est pas une option. Si elle survient, comme en 1980, elle n’est qu’un accident de parcours qui doit être immédiatement corrigée. La défaite de 2008 est naturellement plus douloureuse. Parce qu’elle touche Hillary, parce qu’elle est proche d’être définitive, les Clinton sont en colère. Dès la fin du mois de juin, au troisième étage de son désormais ancien quartier général de campagne d’Arlington, Hillary prépare sa réplique. Aidée de Kris Balderston et Adrienne Elrod, l’ancienne candidate est penchée sur le fichier Excel d’un ordinateur où apparaissent des dizaines de noms de personnes. Balderston travaille avec les Clinton depuis 1992. Assistant de Bill à la Maison Blanche, il a suivi Hillary jusqu’au Sénat. Sa barbe poivre et sel lui donne l’image d’un universitaire, mais il est en réalité un formidable stratège politique qui connaît tous les ragots de Washington, pour le plus grand bonheur d’Hillary. Elrod est une jolie blonde de trente et un ans. Son père est un ami de Bill depuis leur adolescence. Il n’y a rien à craindre de ces deux- là. Ils donneraient leur vie plutôt que de trahir les Clinton. Quand bon nombre de volontaires de la campagne d’Hillary sont déjà auprès d’Obama, Balderston et Elrod ont décidé de rester avec leur patronne jusqu’au bout. Depuis des mois, ils élaborent avec le plus grand soin une liste de noms suivis de couleurs et de lettres qui paraîtraient incompréhensibles pour le premier venu. Deux catégories se détachent d’abord. Ceux qui ont soutenu Hillary et ceux qui ont soutenu Obama. Mais la liste est éminemment plus précise. Parmi les soutiens d’Hillary est précisé le degré d’implication dans la campagne, et parmi ceux d’Obama ceux qui auraient dû soutenir Hillary en raison du passé, des élus pour qui les Clinton avaient levé de l’argent. Ceux-là sont clairement sur la liste noire. Ceux-là, Hillary ne les oubliera pas. Jamais. Les amis seront remerciés, les ennemis seront châtiés. Les notes vont de 1 à 7 pour les traîtres. Parmi ceux qui ont la note la plus élevée on retrouve quatre sénateurs : John Kerry, Jay Rockefeller, Bob Casey, Patrick Leahy, et trois représentants : Chris Van Hollen, Baron Hill et Rob Andrews. Certains sont même hors liste à l’image de Claire McCaskill, soutenue par Bill et Hillary dans sa quête d’un siège de sénateur dans le Missouri en 2006. En octobre de cette année-là, elle avait cependant expliqué sur NBC que « Bill a été un grand leader, mais qu’(elle) ne souhaite pas voir (sa) fille s’approcher de lui ». Élue quelques jours plus tard, McCaskill, qui s’était entre-temps excusée en larmes auprès de Bill, craignait plus que tout de croiser Hillary dans les couloirs du Capitole. Mais en prévision des primaires de 2008, Hillary avait besoin de McCaskill, de son soutien, au point de feindre le dramatique épisode de 2006. Las, en janvier 2008, McCaskill devient la première sénatrice à se ranger derrière Barack Obama. Des années après, la haine n’a pas disparu du visage d’Hillary à la simple évocation de son nom. Les Kennedy ne trouvent guère plus de grâce aux yeux de Bill et Hillary. Comment Ted Kennedy a-t-il pu lâcher Hillary la veille du « Super Mardi » ?

Pour Bill et Hillary, la vengeance est un plat qui se mange froid. Bien des mois passeront avant que les traîtres ne paient le prix élevé de leur trahison. Jason Altmire, représentant de Pennsylvanie depuis 2006, qui a refusé son soutien à Hillary au printemps 2008, bien qu’ayant travaillé pour la réforme de la santé à la Maison Blanche en 1993. Il a été l’un des premiers super délégués ciblés par Hillary. Il n’y avait aucun doute, il la soutiendrait au nom de ce qu’il devait aux Clinton. Mais, comme nous l’avons vu, il a succombé au charme d’Obama. Quelques jours avant l’élection de novembre 2008, lors d’une réception à Pittsburgh en faveur du maire Luke Ravenstahl qui a soutenu Hillary, Bill prend la parole et, en fixant Altmire qui fait partie des invités, il lance : « Et je n’oublierai jamais ceux qui ont soutenu Hillary. » Altmire a parfaitement compris un message dont il ne mesurera les conséquences que quatre longues années plus tard. Pendant qu’Hillary fait le tour du monde, c’est Bill qui se charge du sale boulot. Sans pour autant soutenir des candidats démocrates, il use de toute son influence, qui est encore immense, pour faire battre lors des primaires ceux qui ont trahi Hillary en 2008. Mais il n’y a pas là qu’une dimension punitive. En plaçant leurs hommes en 2012, les Clinton balisent, au cas où, le chemin d’Hillary vers la Maison Blanche en 2016. Et ne nous méprisons pas. Si deux journalistes, Jonathan Allen et Amy Parnes, ont pu recueillir les confidences des proches conseillers d’Hillary au sujet de ces « listes », c’est bien parce que leur patronne leur a donné l’autorisation, ou l’ordre, de le faire. En lisant le livre de Allen et Parnes, tout Washington est ainsi prévenu : on ne trahit pas impunément les Clinton. Au printemps 2012, Bill enterre la hache de guerre avec Obama et commence à mener sérieusement campagne pour lui, et en retour le président engage ses grands donateurs à rembourser la dette de la campagne de 2008 d’Hillary. Mais c’est aussi à ce moment-là, ironiquement, que Bill entame sa politique de destruction des traîtres. Altmire est dans l’oeil du tigre. L’ancien président ne lui laissera aucun répit. Grand favori face à Mark Critz, élu d’un district fondu avec le sien, Altmire assiste médusé, deux semaines avant la primaire, à cette déclaration de Bill Clinton : « Je suis fier d’apporter mon soutien à Mark Critz pour le Congrès. Je sais que Mark poursuivra son travail en faveur de l’emploi, renforcera la classe moyenne, protégera la Sécurité sociale et Medicare et fera ce qui est bon pour l’ouest de la Pennsylvanie et notre nation. » Altmire est battu d’extrême justesse. L’implication de Bill Clinton aura donc été décisive. Un peu partout dans le pays, cette scène se répète. En tant que président, Obama ne peut sauver ses anciens soutiens. La leçon est dure. Mais pour le représentant de Virginie Gerry Connolly, un admirateur d’Hillary, elle sera utile : « Disons qu’ils songent à ce qu’Hillary se présente en 2016. Dans le cas où elle serait en lutte lors d’une primaire, beaucoup de gens après ça réfléchiront à deux fois avant de soutenir son adversaire. Cela ne sera pas sans conséquence. »

Hillary, qui avait imploré ses assistants d’être « grands dans la défaite » en 2008, est intraitable. Et Bill fait corps avec elle. L’univers mental d’Hillary est ainsi fait : qui n’est pas avec nous est contre nous, et qui est contre nous le paiera cher. « Les actions des pécheurs et des saints ne seront jamais oubliés » écrivent les journalistes Jonathan Allen et Amie Parnes, qui ont révélé l’existence de cette liste.

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Thomas Snégaroff est historien, spécialiste des questions géopolitiques et des Etats-Unis. Il présente chaque matin « Histoire d’info » sur France Info.

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