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La syndicalisation des militaires serait une grave nouvelle pour l’armée

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Pourquoi la France interdit-elle à ses militaires de se syndiquer ?
 

Général Vincent Desportes : Il ne s’agit pas simplement de la France. La très grande majorité des nations qui veulent avoir des armées efficaces n’ont pas de syndicats dans leurs armées.

C’est pour cela que la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme est une mauvaise nouvelle. Elle va porter un coup, progressivement grave, aux armées françaises. L’Europe a été incapable de construire sa propre Défense, elle s’occupe désormais de briser les seules armées encore efficaces, qui œuvrent en son nom.

Pourquoi estimez-vous que la syndicalisation des armées serait dangereuse ?
 

Général Vincent Desportes : L’obéissance et la discipline sont la force principale des armées. Devant le feu, quand les soldats des trois armées jouent leur vie ou leur mort, un ordre ne peut pas être remis en question, il doit être exécuté.

Le syndicalisme, qui suppose par principe une critique de toute décision hiérarchique, est un outil qui détruirait l’efficacité militaire. Les armées doivent donc utiliser d’autres moyens afin que l’expression naturelle et légitime des échelons inférieurs puisse se faire. C’est pour cela que l’attention portée par la haute hiérarchie militaire et les politiques aux conditions de vie et d’exercice de la profession des soldats est fondamentale.

C’est pour cela aussi qu’avoir laissé, à ce point, se dégrader les conditions de vie et de travail des militaires est particulièrement grave. Car désormais, la syndicalisation apparaît comme un recours naturel, alors que l’on sait bien qu’elle est absolument contraire à l’efficacité des armées.

Pensez-vous que la France pourrait être bientôt tenue de changer cette règle ?
 

Général Vincent Desportes : Rien ne se fera en un jour mais une porte est en train de s’ouvrir peu à peu. Les nations et les armées de chaque pays restent encore libres d’organiser leurs modes de fonctionnement mais si le haut commandement français et les politiques ne prennent pas des mesures d’écoute de l’expression des militaires, le pas sera franchi.

Le métier de soldat n’entre pas dans le cadre du droit commun car il ne peut pas s’appliquer dans les armées, en particulier en opération.

Or on ne peut pas imaginer un droit qui s’applique en temps de paix et un autre en temps de guerre. Ne serait-ce que parce que désormais, paix et guerre ne sont plus séparées. Nous sommes toujours en guerre et il faut que le même système s’applique en tous temps et en tous lieux. S’il est impossible que la syndicalisation s’exerce sur le champ de bataille, il est donc impossible qu’elle s’applique dans le quotidien de la vie militaire.

Si demain les militaires avaient l’opportunité de se syndiquer, pensez-vous vraiment que certains oseraient briser la tradition au risque d’être déconsidéré par leur hiérarchie ?
 

Général Vincent Desportes : Bien entendu, cela se fera progressivement si les mesures d’expression actuelles des militaires ne sont pas renforcées.

Quand nos soldats ne sont plus payés, ne sont plus chauffés, ont leurs quartiers qui s’effondrent, ont des équipements qui ne sont pas au niveau, il n’est pas anormal qu’ils cherchent à s’exprimer. Il faut donc, et c’est une priorité, remettre au niveau les conditions d’exercices de la profession.

Quand le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, affirme que l’entraînement de nos troupes se situe actuellement en dessous des normes internationales, nous ne pouvons que réagir. Et pourtant, nous laissons à nouveau le budget se dégrader. Nous avons entériné la Loi de programmation militaire qui continue à abîmer les conditions de vie et d’exercice de la profession des soldats alors même que nous multiplions les déploiements.

Nous sommes dans une impasse et nous créons les conditions parfaites pour que les armées françaises deviennent complètement inefficaces dans quelques années.

En effet, depuis plusieurs mois, le système de paiement des soldes des militaires est défaillant et il est souvent arrivé que certains ne soient pas rémunérés. Or ces derniers ont accepté leur situation sans vraiment se plaindre. Quel serait le moyen pour eux de s’exprimer librement, sans passer par la voie de la syndicalisation ?
 

Général Vincent Desportes : Des conseils de la fonction militaire existent dans les différentes armées. Ils permettent aux militaires de s’exprimer. Cependant, il faut que cette expression soit écoutée. Force est de constater que les politiques ne regardent aujourd’hui que les coûts de fonctionnement de l’armée, alors qu’ils devraient plutôt aller voir l’état de nos casernes et de nos matériels.

Généralement, lorsque quelqu’un est muet, l’attention est portée sur lui. La Grande Muette ne peut pas s’exprimer, on en profite donc pour lui réduire son budget. C’est en effet plus facile dans l’armée que dans les autres ministères. Il est alors parfaitement compréhensible que les militaires se rebellent contre cette situation.

Le remède, c’est une attention accrue et continuelle vis-à-vis des soldats et une amélioration rapide et substantielle de leurs conditions de travail.

Nous ne sommes plus dans un monde où nous pouvons faire vivre cette Loi de programmation militaire qui dégrade les armées alors que nous envoyons nos soldats partout, en Centrafrique, au Mali, au Nigeria, bientôt en Libye, en Irak, ou encore en Ukraine. Ce n’est pas raisonnable et ce n’est pas parce qu’il est facile de casser le budget des armées qu’il faut le faire.

La question de la syndicalisation des armées est donc intimement liée à la question du budget ?
 

Général Vincent Desportes : Elle est liée aux conditions d’exercices de la profession. Le soldat professionnel ne demande qu’une chose : avoir les moyens d’accomplir la mission qui lui est confiée car à la différence d’autres métiers, lui joue sa vie sur le terrain.

Il y a donc en effet un problème budgétaire. Mais il faut également au militaire une écoute bienveillante et attentive de la part, non pas de la hiérarchie car elle le fait déjà, mais des politiques, aux vraies préoccupations des soldats.

Car ce n’est pas parce que le soldat ne peut pas s’exprimer qu’il n’a pas quelque chose à dire.

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

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