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«L’ennemi intérieur»: du péril rouge au péril vert

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(Photo: Shutterstock.com)

Le reniement « social-libéral » de François Hollande vaut-il vraiment la « pause » de Léon Blum ? Poutine phagocytant l’Ukraine rejoue-t-il Hitler avalant les Sudètes ? L’antisémitisme de la génération Soral-Dieudonné illustre-t-il la résurgence des haines d’un Céline ? Le danger Le Pen fait-il écho au péril nationaliste d’hier ? Telles sont quelques-unes des questions de cet ouvrage, fruit de la rencontre entre deux historiens et deux journalistes, qui se livrent à un incessant aller-retour entre passé et présent. L’Histoire n’est pas un éternel recommencement, mais ces années 30, si proches et si lointaines, si terribles et pourtant fondatrices, éclairent bien étrangement les crises du temps présent…

Extrait de Les années 30 sont de retour, de Claude Askolovitch, Pascal Blanchard, Renaud Dély et Yvan Gastaut (Flammarion – 15 octobre 2014).

Ces peurs ne fonctionnent jamais aussi bien que lorsqu’elles sont sous-tendues par une part de réel. Le communisme meurtrier existe dans les années 30, quand Staline décapite l’Armée rouge et parachève son pouvoir dans les procès de Moscou ; André Gide, dans son Retour d’URSS, n’a rien caché de ce que l’URSS totalitaire peut inspirer de répulsion à un esprit libre. Maurice Thorez, le patron du PCF, prend effectivement ses ordres à Moscou, et l’Union des gauches, en 1935, doit autant aux demandes de Staline qu’à la pulsion des masses. De même, l’islamisme radical et le jihadisme contemporain sont un danger réel, qui n’inquiète pas que les professionnels de l’affolement, et les terroristes nés d’ici, Mohamed Merah ou Mehdi Nemmouche, témoignent d’une réalité potentiellement dangereuse. Les fractures sociétales et les discours communautaristes menacent, comme la progression du radicalisme religieux… Mais ce qui caractérise l’invention de « l’ennemi intérieur », c’est la transformation fantasmatique et généralisante d’un phénomène politique. L’extrapolation de réactions normales du corps social – une révolte de quartier aujourd’hui, jadis l’occupation des usines – avec un vaste complot venu d’ailleurs.

[image:2,s]L’ennemi intérieur, c’est faire d’une jeune musulmane voilée une avant-garde d’Al-Qaïda ; ou d’un prolétaire dansant dans une usine le premier représentant du Komintern… L’idéologie de « l’ennemi intérieur » rencontre l’angoisse du déclin : communistes ou musulmans sont forts quand les déclinistes occidentaux se lamentent sur leur sort et se retournent, la larme à l’oeil, la nostalgie en bandoulière, vers un passé mythifié et à jamais disparu. C’est cette transmutation qui nous intéresse ici : le mécanisme qui conduit à fabriquer une figure de l’ennemi qui donne sens pour l’opinion à une politique intérieure, et à un discours pour notre diplomatie, nos interventions armées ou la lutte contre le terrorisme.

Le péril était rouge il y a quatre-vingts ans, il est vert de nos jours. Pour s’en protéger, il faut mettre l’ennemi au ban de la communauté nationale. Un communiste ne pouvait être pleinement patriote jugeait-on communément dans les années 30. Un musulman ne peut être vraiment français renvoie l’écho des années 2010. C’est là une constante de l’Histoire, comme si la France avait besoin d’un ennemi désigné pour se construire et se renforcer. Le malaise identitaire attise les peurs à nos frontières. Dans les années 30, cet ennemi-là venait de l’Est, il déboule désormais du Sud. Sa simple présence, sa seule existence déchaîne la haine et engendre un violent discours de rejet. Une logorrhée globalisante et totalitaire. 

Car l’anticommunisme hier, comme l’anti-islamisme aujourd’hui, ne s’embarrassent pas de nuances pour expulser ces corps étrangers. Il n’est pas question de nationalité effective : le communiste et le musulman sont des agents de l’étranger, qu’ils soient ou non français. Pire encore, ces Français communistes, traîtres à la patrie, allaient chercher leurs directives à Moscou, aujourd’hui ces Français des banlieues partent apprendre le jihad en Afghanistan ou en Syrie. Les faits sont les faits, mais en faire une norme ou généraliser devient une matrice de pensée.

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Claude Askolovitch est journaliste à iTélé. Pascal Blanchard est historien, chercheur au Laboratoire communication et politique (CNRS), spécialiste de la colonisation et de l’immigration. Renaud Dély est journaliste au Nouvel Observateur. Historien, chercheur au laboratoire URMIS (migrations et société), Yvan Gastaut enseigne à l’université de Nice.

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