Site icon La Revue Internationale

Les armateurs grecs ne connaissent pas la crise

shutterstock_217403641.jpgshutterstock_217403641.jpg

Alors que l’Union européenne a de forts doutes quant à sa résilience économique, certains regardent l’avenir avec la sérénité d’un calme et ensoleillé après-midi au bord de la Méditerranée. Ceux-là sont les armateurs grecs. A la tête d’immenses fortunes, ils ont vu la crise violente frapper leurs concitoyens sans en ressentir les effets. Un miracle ? L’explication est moins mystique puisqu’il s’agit de garde-fous fiscaux mis en place depuis plusieurs décennies. Le peuple grec, lui, ne profite pas de ces largesses.

[image:1,l]

Milan Gonda / Shutterstock.com

L’économie grecque ne peut pas se reposer sur des piliers multiples et solides. Il y a le tourisme qui reprend des couleurs, et il y a le transport maritime de marchandises. Sauf que ce dernier échappe à l’impôt. Un champion économique qui ne connaît pas la crise et qui est en fait complètement déconnecté des réalités économiques du pays. Les Grecs appellent depuis plusieurs années à la fin de cette anomalie. Sans succès pour le moment.

A lui seul, le transport maritime de marchandises représente 6 % du PIB grec. Une performance de haut vol qui a rapporté à l’Etat grec 145 milliards d’euros en dix ans. Dans un pays où les rentrées fiscales demeurent culturellement et structurellement difficiles – on peut souligner la hausse de 4,8 % des rentrées fiscales en un an – cet apport est un don du ciel (ou plutôt de la mer). 145 milliards c’est beaucoup, mais peu lorsqu’on s’intéresse au mode d’imposition des entreprises de transport maritime. Ces entreprises sont exemptes d’impôt sur les sociétés. Seule une taxe sur le tonnage vient quelque peu grever les bénéfices enregistrés par les armateurs grecs. Et pas question de toucher au système très avantageux dont bénéficient les armateurs. Les menaces de délocalisations sont régulièrement proférées depuis que les politiques viennent les titiller sur ce sujet devenu (très) sensible.

Vive la Constitution

Dans un pays où tout a été remis en cause depuis le déclenchement de la crise, la Constitution fait figure de dernier livre sacré – surtout pour les armateurs qui ont réussi l’exploit de faire inscrire leurs avantages fiscaux dans la norme juridique suprême du pays. Leur protection contre l’imposition est solide et les mouvements pour faire changer une situation économiquement et éthiquement questionnable ont amené une réponse sans détour. Tout retour en arrière (à la normale) sera sanctionné par une délocalisation massive et rapide de la flotte grecque. Il est juridiquement très facile de battre un autre pavillon. Cela prend 24 heures et les pays heureux d’accueillir des entreprises qui participeront, un peu, aux rentrées fiscales sont très nombreux. L’autre solution consiste à naviguer sous pavillon de complaisance comme c’est déjà le cas pour environ 75 % de la flotte grecque.

Poussés par le mécontentement des électeurs, les partis politiques ont bien envisagé de changer les choses, mais le poids économique des armateurs est bien trop important pour se risquer à les importuner. Délocaliser c’est aussi pousser au chômage entre 150 000 et 200 000 Grecs alors que le pays connaît toujours un taux de chômage supérieur à 26 %. En fait, en plus de ne pas être touché le moins du monde par la crise qui sévit en Grèce (le transport de marchandises grecques ne constitue que 1 % du total des marchandises affrétées par les armateurs grecs), les millionnaires de la mer se retrouvent dans une situation de force inédite. Le pouvoir politique doit suivre leurs orientations pour ne pas les voir partir. Un chantage qui ne dit pas son nom, mais qui prouve la mainmise des oligarques de la Méditerranée sur le pouvoir politique.

Parmi les trois seuls milliardaires grecs recensés dans le classement Forbes des 1 000 plus grandes fortunes au monde, Spiro Latsis (2,4 milliards de dollars de fortune), doit son succès au transport maritime de marchandise. L’homme réside en Suisse, mais est extrêmement influent à Athènes. La même chose est vraie pour Evangelos Marinakis même s’il est moins riche que son compère (plus de 500 millions de fortune personnelle) et a les deux pieds bien ancrés dans son pays natal, où son influence est immense. Le personnage a une aversion au risque et serait l’auteur de pratiques mafieuses même dans le domaine du football où il possède le FC Olympiakos. L’éthique n’est pas le point fort des oligarques grecs, mais tout est permis quand l’image de marque et l’argent sont en jeu. 

La crise n’est jamais loin

On l’aura compris, les armateurs grecs peuvent avoir confiance en l’avenir et ce d’autant plus qu’il ont retrouvé la place de numéro 1 mondial que leur avaient ravi les Japonais. 16 % du tonnage mondial pour la Grèce, c’est bien le seul fruit sans réels dividendes dont doit se contenter le pays. Le tourisme repart à la hausse avec 20 millions de visiteurs par an, mais tous les indicateurs macroéconomiques restent dans le rouge.

La croissance qui devait enfin revenir se fait attendre avec un PIB en recul de 0,9 % et la déflation est partie pour durer avec 1,5 %. Les Grecs ne peuvent plus consommer, car ils n’en ont tout simplement plus les moyens. Le levier de la demande intérieure est cassé et ce ne sont pas les banques encore trop fragiles qui peuvent prêter des fonds qu’elles n’ont même pas. Le système bancaire est encore péniblement à flot, mais pourrait chavirer à tout moment. Le pays commence à peine à rembourser les emprunts qui ont été contractés au plus fort de la crise, mais n’a pas les moyens de payer. Le cercle vicieux est enclenché. Pour rembourser la dette, il faut s’endetter… Logique. Logique mortifère même.

La Grèce est donc loin d’être sortie d’affaire surtout que la crise politique a de fortes chances de rebondir. L’élection du président par le Parlement en janvier prochain peut déboucher sur un nouveau blocage qui entraînera une énième élection législative. La composition d’une majorité forte reste très compliquée et les mauvais signaux politiques ont toujours des conséquences négatives sur l’économie. Deux éléments qui ne gênent guère les argentiers du transport maritime. Tant qu’il y aura de l’eau, il y aura des euros.

Quitter la version mobile