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Les «mid-term» américains devraient déboucher sur une paralysie législative

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« En Grève. Une meilleure paie pour une ville de New York plus forte. » : Le 4 septembre, des employés de fast-food manifestent le long de la 8ème Avenue en faveur d’une hausse du salaire minimum. (Crédit : Shutterstock)

 

Les Américains sont appelés à se rendre aux urnes, mardi 4 novembre, afin de renouveler l’intégralité des sièges de la Chambre des Représentants et le tiers du Sénat – ces deux assemblées composant le Congrès, qui incarne le pouvoir législatif aux Etats-Unis.

En théorie, qu’est-ce que le Congrès ? Il vote les lois et le budget de l’Etat, définit la politique fiscale et doit donner son aval à toute déclaration de guerre. En pratique, il est un contre-pouvoir au pouvoir exécutif – incarné par le Président – très puissant – bien plus qu’en France, où l’Assemblée nationale est souvent décrite comme une « caisse enregistreuse ».

De l’issue des élections de novembre dépendra donc la marge de manoeuvre politique dont jouira pour les deux ans à venir le Président.

Or, autant le dire tout de suite : ces élections de mi-mandat (« mid-term ») s’annoncent (très) mal pour le camp démocrate, dont est issu Barack Obama. Le parti ne peut mathématiquement quasi pas espérer reprendre la Chambre, sous contrôle républicain depuis 2010, et pourrait par ailleurs perdre le Sénat (il suffit pour cela aux républicains d’arracher six sièges).

Ces prévisions, bien peu optimistes pour les démocrate, s’expliquent à la fois par la faible cote de popularité du Président – en juin, Barack Obama enregistrait à peine 41% d’opinion favorable, selon un sondage Gallup, institut de référence outre-Atlantique – et la faible mobilisation des jeunes et des Latinos, qui représentent le coeur de l’électorat démocrate, aux midterm.

Ajouter à cela que le parti du Président se trouve en butte avec une « règle » historique aux Etats-Unis, selon laquelle le parti au pouvoir « doit » perdre le Sénat : depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le parti présidentiel a perdu cette assemblée lors de 12 élections de mi-mandat sur 17…

Pour remobiliser ses troupes et faire mentir les pronostics, Barack Obama mise donc dans la campagne qui s’ouvre sur un thème très largement plebiscité dans les sondages : la hausse du salaire minimum. Selon un sondage CNN réalisé en mai, 71% des personnes interrogées y étaient en effet favorables.

Les démocrates peuvent-ils encore espérer mobiliser sur le salaire minimum ? Pour Olivier Richomme, la messe est dite.

 

JOL Press : Les démocrates ont fait du salaire minimum l’un de leurs principaux thèmes de campagne. Pourquoi ?

 

Olivier Richomme : Parce que c’est un thème populiste. Le parti républicain est traditionnellement l’allié des grosses corporations, de Wall Street et de la finance. Les démocrates jouent donc là-dessus ; ils essayent de cliver encore un peu plus en recentrant leur campagne sur ce qui constitue la « base » démocrate : le pouvoir d’achat et les causes économiques et sociales en faveur de la classe moyenne, ou en tout cas des couches de la population les plus défavorisées.

Reste qu’il faut bien garder en tête que les démocrates vont perdre ces élections. Ils ne seront donc pas en mesure de faire passer une loi sur le salaire minimum. Au niveau législatif, ils ne se passera rien pendant les deux prochaines années. Les démocrates peuvent bien prendre les thèmes qu’ils veulent, c’est peine perdue.

JOL Press : Les démocrates misent dans cette campagne avant tout sur l’économie. Leur stratégie est-elle la bonne ? L’actualité internationale chargée – avec notamment l’intervention américaine en Irak et en Syrie – ne fait-elle pas de la politique étrangère la préoccupation N°1 des Américains ? Outrés par les décapitations d’otages orchestrées par l’EI, ne pourraient-il pas, alors, être tentés de se tourner vers les « faucons » républicains ?

 

Olivier Richomme : Le thème économique est effectivement en réalité inaudible. Lorsqu’on regarde les sondages d’opinion, on voit que les Américains sont persuadés que la situation économique est pire qu’en 2008. Il y a là une question de perception : même si, dans les faits, l’économie américaine va mieux, les Américains n’en ressentent pas les effets, et la cote de popularité du Président, en conséquence, reste basse.

Mais les démocrates n’ont pas d’autre choix que de faire campagne sur les questions économiques, étant donné que la crise économique perdure et que les républicains proposent toujours plus de coupes d’impôts et de restrictions budgétaires.

Cela dit, les démocrates font également campagne sur la question internationale ; des « colombes » démocrates se transforment même en ce moment en « faucons ». C’est à celui qui sera plus va-t’en-guerre que les républicains. Les démocrates ont en effet bien compris que la question de la sécurité nationale était revenue en force dans les préoccupations des électeurs, et ont adapté leur discours en conséquence.

JOL Press : Le salaire minimum sera-il un thème suffisamment porteur pour mobiliser les jeunes, les femmes et les minorités, habituellement moins portés à se déplacer pour les mid-term que pour une présidentielle – coeur de l’électorat démocrate ?

 

Olivier Richomme : Non. On sait très bien qu’ils n’iront pas voter. Ce sont, de manière structurelle, les personnes plutôt âgées qui votent aux élections de mi-mandat. Les jeunes et les minorités se mobilisent plutôt au moment des présidentielles, quand ils pensent que « cela compte ».

De toute façon, de par la carte électorale, la Chambre des représentants est inatteignable et le Sénat a de grandes chances d’être perdu. Et, quand bien même les démocrates maintiendraient le Sénat, il continuerait à se passer ce qu’il s’est passé durant les quatre dernières années : Washington complètement bloqué ; les seules batailles qu’il puisse y avoir étant des batailles budgétaires.

Au niveau législatif fédéral, il ne se passera rien du tout durant les deux prochaines années. Pour voir les choses bouger – notamment en matière de salaire minimum -, les Américains ne peuvent en réalité espérer que ce qui pourrait être décidé au niveau législatif de chaque Etat.

JOL Press : Une fois les mid-term passés, le salaire minimum restera-t-il un cheval de bataille démocrate ? Hillary Clinton pourrait-elle en faire un thème de campagne en 2016 ?

 

Olivier Richomme : Tout à fait. Hillary Clinton est perçue comme quelqu’un de trop centriste. Le salaire minimum, ce serait un thème de la gauche. Cela permettrait d’empêcher l’émergence de candidats à la gauche du parti démocrate, comme Elisabeth Warren.

Ce serait par ailleurs tout à fait un thème populiste bienvenu au moment où la situation économique reste difficile.

En sachant, bien sûr, que pour mettre en acte ses discours, le/la Président(e) aura besoin d’une majorité au Sénat et à la Chambre des représentants… 

JOL Press : A quoi sert un salaire minimum fédéral dans un pays où chacun des différents Etats qui le composent peut instaurer le sien propre ?

 

Olivier Richomme : A protéger les travailleurs dans les Etats républicains ! Le salaire en Californie [Etat démocrate, ndlr] est élevé par exemple. Les démocrates ne soulèvent pas la question d’une hausse du salaire minimum pour les Californiens, mais pour les habitants d’Alabama, par exemple [Etat républicain, ndlr].

JOL Press : Existe-t-il des différence majeures en termes de niveau de salaire minimum entre les différents Etats américains ? Celles-ci recoupent-elles la distinction Etats démocrates/républicains ?

 

Olivier Richomme : Oui. Et pas seulement au niveau du salaire minimum : plus largement, tout ce qui a trait au droit du travail. On le voit en ce moment, avec la réforme de l’Assurance maladie fédérale, par exemple, et de sa très difficile application au niveau des Etats.

En général, oui, les Etats républicains ne sont pas friands des salaires minimums, afin de laisser les entreprises faire ce qu’elles veulent.

JOL Press : Qui bénéficie du salaire minimum aux Etats-Unis ?

 

Olivier Richomme : Essentiellement les employés de la restauration rapide.

Le débat sur le salaire minimum fédéral est d’autant plus complexe que certains syndicats et certains démocrates la relient à la question de la lutte contre l’immigration illégale, arguant que relever le salaire minimum aura comme effet de diminuer la demande de travailleurs illégaux. Ce qui brouille considérablement le message sur le pouvoir d’achat et l’aide aux travailleurs pauvres.

 

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

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Olivier Richomme est maître de conférences en civilisation américaine à Lyon II-Lumière et auteur de plsuieurs ouvrages, notamment « Le bilan d’Obama » (Presses de Sciences Po, 2012), et « De la diversité en Amérique » (PUPS, 2013).
 

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