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L’État Islamique influence-t-il les djihadistes maliens?

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Le chef des opérations de paix à l’ONU Hervé Ladsous s’est récemment inquiété de la résurgence des djihadistes dans le nord du Mali. Comment expliquer ce regain d’activités terroristes ?
 

André Bourgeot : Après l’intervention de l’opération militaire Serval, les groupes armés narco djhadistes du septentrion malien se sont reconstitués en Libye d’où ils sont revenus mieux organisés et probablement mieux armés. Par ailleurs il est probable que la nouvelle mouvance djihadiste incarnée par « l’État islamiste » exerce une influence sur la nébuleuse Al-Qaïda, la conforte,  dans un contexte où la présence des militaires français de l’opération  Barkhane et des forces de l’ONU, la Minusma, n’ont pas éradiqué ces forces particulièrement déterminées.

Enfin, leurs pratiques se sont adaptées à la nouvelle donne politico-militaire : ils ont changé de stratégie, notamment en se noyant dans les populations locales, quittant les symboles du salafisme djihadiste (barbe, pantalon à mi mollet, utilisation de 4X4). Actuellement ils utilisent des motos  pour se déplacer comme n’importe quel habitant, les rendant beaucoup plus mobiles,  plus difficile à identifier et à localiser.

A-t-on une idée de leur perception de l’Etat Islamique en Irak ? Pourraient-ils prêter allégeance à Daesh ?
 

André Bourgeot : Difficile à répondre précisément à cette question. Il me semble prématuré d’envisager une allégeance immédiate au Daesh ce qui ne veut pas dire pour autant que celui-ci n’exerce pas une influence. Pour qu’il y ait allégeance il faudrait qu’apparaisse une compétition pour le leadership et donc une scission à l’intérieur des groupes existants. Cependant, la situation en Algérie et l’apparition du Daesh laissera des traces et fera germer de nouvelles ambitions

Comme l’Etat Islamique, leur ambition n’est-elle pas de créer un califat islamique au Sahel ?
 

André Bourgeot : L’objectif de créer un califat n’est pas nouvelle. Dans le contexte actuel, l’influence du Daesh algérien pourrait précipiter la résurgence de cet objectif. Il nous faudra attendre le résultat des négociations d’Alger entre les belligérants (rebelles touaregs et arabes) et les représentants du Mali.

En effet, si les négociations débouchaient sur un texte qui n’aurait pas l’adhésion de certains groupes, il est à craindre que la tendance djihadiste qui existe dans tous ces groupes (MNLA, UCHA, MAA) ne les fasse basculer dans la nébuleuse Al-Qaïda et même le cas échéant dans le Daesh.

Si les partisans des fédérations d’Etats (Azawad et Mali) prônés, voire exigés, par ces groupes n’étaient pas satisfaites ce qui est fort probable, alors ils seraient tentés de rallier  la mouvance d’Al-Qaïda voire, le cas échéant, le Daesh qui s’instituerait alors.

Par ailleurs il convient d’observer de très près les « retombées » éventuelles du daesh algérien sur les milices djihadistes libyennes. Globalement, on assiste à la montée de la radicalisation des mouvements djihadistes. Ils manifestent un peu partout leur forces militaires, théologiques; leurs succès peuvent être attractifs, y compris chez certains européens et plus particulièrement français.

Les négociations de paix sont actuellement en cours en Algérie pour pacifier le nord du Mali, pourraient-elles être déterminante pour freiner les ambitions des djihadistes ?
 

André Bourgeot : Non, je ne le pense pas. Les Accords d’Alger devraient déboucher, quoiqu’il arrive,  sur une recomposition des forces armées (djihadistes et rebelles) en présence et  sur une réorganisation fondée sur une clarification idéologico-théologique, voire sur une radicalisation de ces groupes.

Se poserait alors le problème de forces militaires françaises et onusiennes et bien évidemment celles de l’armée malienne en cours de « reconstruction ». Freiner les ambitions des djihadistes renvoie aux capacités des autorités politiques et administratives maliennes à « réinvestir » le septentrion laissé en déshérence étatique pendant l’occupation et même avant : ces capacités demanderont du temps. Enfin, ce n’est pas la dimension sécuritaire-militaire qui, en soi, pourra rétablir la paix. Celle-ci ne pourra se faire qu’en mobilisant les populations concernées selon des méthodes et des pratiques qui restent à définir  et selon les spécificités qui caractérisent chaque localité.

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

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