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Pierre Buyoya, ancien président du Burundi: «Mon ambition pour la Francophonie»

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Onze ans après le terme de son second mandat présidentiel, Pierre Buyoya est désormais le représentant de l’Union africaine pour le Mali et le Sahel, en pointe dans la lutte contre le terrorisme. Mais son ambition est aujourd’hui de succéder à l’ancien président sénégalais Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie depuis 2003. De passage à Paris, dans le cadre de la promotion de sa candidature, Pierre Buyoya a répondu aux questions de Franck Guillory – pour JOL Press – et Jean-Philippe Moinet – pour La Revue Civique – leur présentant ainsi son ambition pour la Francophonie.

 

Jean-Philippe Moinet : Quel est le motif principal de votre candidature ? 

 

Pierre Buyoya : La Francophonie est une institution que je connais depuis longtemps, depuis l’époque où j’étais aux affaires au Burundi. J’ai participé à la naissance de l’OIF. Mais, surtout, depuis que j’ai quitté les fonctions de Chef d’État, le secrétaire général Abdou Diouf m’a fait l’honneur de me confier beaucoup de missions pour l’organisation, des missions d’observations électorales, des missions de médiation, de direction des panels d’experts, de présidence de séminaires et colloques.

Je connais cette institution, je suis connu. Alors, depuis que le poste de secrétaire général de l’OIF a été ouvert, des amis m’ont approché, m’ont demandé si je n’avais pas l’intention de me porter candidat. J’ai eu le temps de réfléchir, de demander conseil. Surtout, de chercher l’appui de mon président, que j’ai obtenu, et c’est ainsi qu’en avril dernier mon président a présenté le dossier de ma candidature au nom du Burundi au poste de secrétaire général de la Francophonie.

Officiellement, je suis candidat depuis le début avril

Préserver l’identité de la Francophonie

J’ai publié un petit document, intitulé « Mon ambition pour la Francophonie ». Ce document accompagne un peu la Francophonie dans son développement. C’était d’abord une institution centrée sur la langue commune, le français, la diversité culturelle. C’était d’abord cela, l’ACTC, une agence de coopération technique culturelle, et puis la Francophonie a évolué en une organisation politique, en particulier après la chute du Mur de Berlin. Ensuite, il y a aujourd’hui l’ambition de faire de la Francophonie, de l’espace francophone, un espace d’échanges économiques.

Mon ambition pour la Francophonie se place dans ces trois domaines. D’abord, la langue, la culture, c’est l’identité de la Francophonie. Il faut protéger le français. Beaucoup a été fait par les deux précédents secrétaires généraux. Mon ambition, c’est d’aller plus loin. Surtout, avec l’aide des nouvelles technologies de la communication et de l’information. On peut faire plus pour promouvoir le français.

Je suis un homme de terrain et je sais qu’il manque dramatiquement d’enseignants de français dans les pays du Sud.

Un programme de promotion de la langue française

Jean-Philippe Moinet : Vous parlez de la question de la culture et de la langue, évidemment promouvoir le français par le biais des enseignants. Alors comment ?

 

Pierre Buyoya : Je me propose si je suis élu secrétaire général de déverrouiller un grand programme d’appui à la formation des enseignants. Essentiellement dans les pays du sud. Un programme qu’on peut étendre aussi aux enseignants de français dans un certain nombre de pays non-francophones.

Jean-Philippe Moinet : Par exemple ?

 

Pierre Buyoya : Par exemple, un pays où il y a des besoins criants, un pays comme le Nigéria. Un grand pays anglophone mais qui se trouve au milieu de l’espace francophone. Promouvoir l’enseignement du français là-bas, c’est une action extraordinaire de promotion de la langue française.

Jean-Pierre Moinet : Sur le sujet de langue, vous dites : « la Francophonie et le français doivent être promus », mais est-ce qu’il n’est pas d’abord prioritaire de protéger l’espace francophone d’un entrisme linguistique anglo-saxon ?

 

Pierre Buyoya : Je pense premièrement que ce combat est un combat qui sera difficile à réussir. Parce qu’aujourd’hui nous sommes dans le monde du multi-linguiste. Déjà dans le monde francophone, nous prônons oui la promotion du français, mais parallèlement à la diversité culturelle. Alors, si vous voyez le phénomène de la mondialisation, je crois que la meilleure façon n’est pas une stratégie défensive, mais ce sont plutôt des stratégies offensives. Dans l’espace même, en dehors de l’espace. Je pense que comme ça nous aurons un monde multilinguistique. Mais rêver un monde où le français domine, je pense que c’est un combat perdu par avance.

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Quand le passé fait polémique

Franck Guillory : A l’occasion de cette campagne en vue de l’élection au poste de secrétaire général de la Francophonie, un certain nombre de vos détracteurs, notamment assez présents sur le net, reviennent sur les circonstances de votre double présidence au Burundi et vous accusent d’un certain nombre d’agissements. Que leur répondez-vous ?

 

Pierre Buyoya : Je suis un homme politique. J’ai géré mon pays dans des circonstances difficiles, de crise et de guerre civile. Et je suis l’auteur de réformes extrêmement importantes. Ces accusations ne me surprennent pas.

Le Burundi est le théâtre d’un combat presque éternel entre les Hutus et les Tutsis. Je suis à l’origine de réformes sur, notamment, la question du partage du pouvoir. Et, en conséquence, les Tutsis, ma communauté, qui, bien que minoritaires détenaient les rênes du pouvoir, ont perdu des positions…

Cela m’a valu des adversaires dans les deux camps, j’ai été la cible de tentatives de coups d’État. Mais je pense que ces réformes, conduites dans l’intérêt du Burundi, sont désormais très largement saluées, même par ceux qui hier étaient mes opposants. Mon rôle, mon héritage sont reconnus.

Jean-Philippe Moinet : Et vous avez renoncé à toutes ambitions nationales, au Burundi…

 

Pierre Buyoya : J’ai dit et répété que je ne suis pas intéressé par un retour au pouvoir. Avant de présenter ma candidature à la francophonie, j’avais ma place au Sénat du Burundi, comme les autres anciens présidents. J’ai été président à deux reprises dans ce pays, dans des conditions extrêmement difficiles, et j’ai eu la chance inouïe d’en ressortir vivant, encore en bonne santé, capable de faire autre chose. J’ai dit à mes amis et à ma famille que ce serait pour moi un non-sens de retourner là-bas. Et je pense que j’ai été convaincant.

Franck Guillory : Revenons à la Francophonie… Vous évoquiez votre expérience d’homme de paix, d’homme de réconciliation. Quel rôle, selon vous, l’Organisation Internationale de la francophonie peut-elle jouer en termes de paix et de sécurité sur le continent africain mais pas seulement ?

 

Pierre Buyoya : La Francophonie est passée d’une agence de coopération technique et culturelle à une institution politique, crédible, qui a pu se choisir un créneau, un créneau porteur autour de la paix, de la gestion des conflits, de la promotion de la démocratie, des droits de l’homme, et du suivi des élections…

Mon ambition, dans ce domaine, c’est d’aller plus loin notamment en mettant l’accent sur la prévention des conflits. La Francophonie a fait beaucoup, elle peut encore aller plus loin. Je propose par exemple de créer autour du secrétaire général, un collège de médiateurs qui serait formé d’un certain nombre d’anciens chefs d’État, d’anciens généraux, de hautes personnalités du monde diplomatique pour aider le secrétaire général à conduire cette diplomatie discrète et dans le but de prévenir les conflits.

Par ailleurs, aujourd’hui, la grande problématique en matière de paix et de sécurité, c’est le terrorisme. Je propose que la Francophonie contribue aussi à la lutte contre le terrorisme en approfondissant certains aspects qui sont de sa compétence, comme le renforcement de l’État de droit à travers l’harmonisation des législations qui sont la base de la lutte contre le terrorisme.

Un observatoire des bonnes pratiques de la démocratie

Le monde francophone en a énormément besoin, surtout les pays du sud. Je propose qu’il y ait un observatoire des bonnes pratiques de la démocratie. Encore une fois, la Francophonie a fait énormément de choses dans ce domaine : les réflexions sur les institutions démocratiques, les constitutions, les commissions électorales indépendantes, les cours constitutionnelles… tout cela en étroite collaboration avec les autres institutions, telles que l’Union africaine, les Nations unies. Il faut actualiser la charte francophone de la démocratie ou déclaration de Bamako.

En ce qui concerne les droits de l’homme et la gestion des élections, la Francophonie doit contribuer à ce que des organisations locales puissent s’approprier ces problématiques. La Francophonie aurait pour mission de les appuyer financièrement, par la formation.

Franck Guillory : Une question sur la dimension économique de la Francophonie. C’est Jacques Attali, je crois, qui a proposé la mise en place d’un espace économique francophone, quelle est votre position là-dessus ? Quel rôle doit jouer la Francophonie en matière d’économie ?

 

Pierre Buyoya : Je crois que la Francophonie doit continuer à évoluer. Cette notion de Francophonie économique a été lancée à Kinshasa, il y a deux ans. Elle va être de nouveau au centre du débat lors du sommet de Dakar. Moi je crois beaucoup à cette idée-là.

Pour une Francophonie économique

La Francophonie peut, et à mon avis doit embrasser aussi cette dimension économique si elle veut continuer à se crédibiliser en particulier auprès des populations, auprès des États qui font face à des situations économiques difficiles. Il faut que cet outil puisse être aussi une institution qui puisse continuer à apporter des solutions.

Alors, si je suis élu secrétaire général, je suggérerais un certain nombre de propositions. Une de ces propositions consiste à lancer dans les meilleurs délais un groupe de réflexion pour étudier les priorités, qu’est-ce qu’on peut faire prioritairement pour rendre cette idée concrète ? On peut, par exemple, créer un forum économique francophone. Vous aurez côte à côte les partenaires publics et privés pour réfléchir aux investissements et aux échanges économiques dans le monde francophone.

Une autre proposition dans ce domaine, c’est de créer un fond de microcrédits spécialement pour le développement des associations de femmes et de jeunes.

Franck Guillory : Quel rôle peut jouer la Francophonie en matière de transition écologique ?

 

Pierre Buyoya : Une institution comme l’OIF ne peut pas se désintéresser de ce débat.

Je propose d’abord de créer autour du secrétaire général un conseil, un service dédié au changement climatique, à l’environnement, chargé de susciter la solidarité du monde francophone dans ce domaine. C’est essentiel car les changements climatiques concernent la vie et même la survie du monde et des populations.

Un entretien conduit conjointement par Jean-Philippe Moinet – La Revue Civique – et Franck Guillory – JOL Press

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