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Pourquoi on ne peut craindre un «Tian’anmen» hongkongais

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Les Hongkongais dans la rue, le 30 septembre 2014. (Crédit : Shutterstock)

 

JOL Press : Y aurait-il un impact sur l’ensemble de l’économie chinoise si la crise politique à Hong Kong débouchait sur un ralentissement économique de la région ?

 

Antoine Bondaz : Premièrement, pour l’instant, il n’y a aucune crainte d’un ralentissement économique à Hong Kong. Les manifestations restent extrêmement calmes, très mesurées ; elles n’ont pas d’impact direct sur l’économie de Hong Kong. Il n’y a ni mouvement de grève, ni paralysie de la place financière de Hong Kong ; la Bourse n’a pas été fermée, les quelques usines de Hong Kong n’ont pas été fermées, les bureaux des grands groupes financiers de Hong Kong n’ont pas été fermés, ils ne sont pas impactés directement par les manifestations.

L’argument qui est souvent utilisé, notamment par les Chinois et les grands groupes hong-kongais, c’est de dire : « si vous continuez les manifestations, l’image de Hong Kong va être dégradée et les investisseurs et les financiers préfèreront passer par Singapour et plus par Hong Kong. » A court terme, il n’y a cependant aucun risque d’une fuite des capitaux de Hong Kong.

Deuxièmement, la part de Hong Kong dans l’ensemble du PIB chinois est passée de 18% en 1997 à moins de 3% en 2013. Même un hypothétique ralentissement économique à Hong Kong n’aurait que peu d’impact sur l’économie chinoise dans son ensemble.

JOL Press : Le mouvement peut-il faire tache d’huile en Chine, notamment dans le Xinjiang ou au Tibet ?

 

Antoine Bondaz : Il faut complètement déconnecter ce qu’il se passe à Hong Kong de ce qu’il se passe dans le Xinjiang. Dans le Xinjiang, les revendications sont en partie autonomistes, en partie indépendantistes, avec en parallèle des actes de terrorisme réprimés durement par Pékin. La configuration est complètement différente à Hong Kong, tant dans la forme et que dans l’expression des revendications.

En Chine, les dizaines de milliers de manifestations qui ont lieu chaque année ne remettent en grande majorité pas en cause le gouvernement central de Pékin ou la légitimé du Parti communiste. Ces manifestations en Chine sont avant tout à un niveau local, et portent sur des problèmes locaux : expropriation, vente abusive de terrains, corruption à un niveau local. Il n’y a pour l’heure pas de grandes manifestations en Chine visant un accroissement des libertés politiques, manifestations qui seraient de toute façon sévèrement réprimés par Pékin. Le phénomène « tache d’huile » qui contaminerait la Chine est donc peu crédible.

De plus, Hong Kong est dans une situation privilégiée. Enormément de Chinois rêveraient d’émigrer vers Hong Kong, notamment parce que le niveau de vie y est plus élevé, les libertés fondamentales y sont plus grandes. Pour certains Chinois, le risque est de considérer les manifestations à Hong Kong comme des manifestations « de riches ».

JOL Press : La crise hongkongaise peut-elle réduire l’influence ou la marge de manoeuvre de la Chine sur la scène internationale ?

 

Antoine Bondaz : Pour l’instant, la Chine gère globalement bien ce qu’il se passe à Hong Kong. Il n’y a pas de répression brutale policière même si l’utilisation de gaz lacrimogène a choqué. En effet, la police de Hong Kong est traditionnellement considérée comme très modérée et le recours au gaz lacrymogène est avant tout symbolique car sans précédent. On est cependant bien loin du niveau de répression et de la violence policière face à certaines manifestations en Chine.

La seule chose qui pourrait entacher et dégrader l’image de la Chine, serait une répression brutale par la police de Hong Kong, qu’on déloge les manifestants de manière violente et pire, qu’on déplore des morts. Dans ce cas, oui, le parallèle avec Tian’anmen, qui pour l’instant n’a aucune raison d’être, pourrait être fait, et pourrait entraîner certains pays à critiquer la Chine beaucoup plus ouvertement, et peut-être in fine à prendre des sanctions. Mais on en est encore très loin.

Pour l’instant, l’image de la Chine, qui est déjà dégradée au niveau politique, a peu de risques de l’être davantage. En effet, on ne découvre pas du jour au lendemain que la Chine populaire n’est pas une démocratie. On ne découvre pas non plus que la Chine essaie d’accroître son influence politique sur Hong Kong depuis 1997. 

JOL Press : A partir de quelle concession, le slogan de Pékin pour Hong Kong « une nation, deux systèmes » deviendrait-il caduque et verrait-on entérinée une rupture entre la Chine et Hong Kong ?

 

Antoine Bondaz : Il ne faut pas se mettre dans la configuration d’une rupture entre Hong Kong et la Chine. Hong Kong fait partie de la Chine ; personne à Hong Kong, pour le moment, n’envisage de se séparer de la Chine. Il n’y a pas de mouvement indépendantiste. Les manifestations sont « seulement » pour que Pékin tienne ses engagements.

Concernant le principe « Un pays, deux systèmes », il est encore respecté. Malgré la réforme proposée par Pékin, les Hongkongais éliraient le représentant de l’exécutif de Hong Kong au suffrage direct. Le problème pour les manifestants est qu’ils le choisiraient parmi certains candidats : non pas des candidats directement choisis par Pékin, comme on peut le lire, mais par un conseil de 1200 grands électeurs hongkongais dans lequel plane l’ombre et l’influence de Pékin, bien évidemment.

Pour l’instant, on n’a donc pas de remise en cause directe du système mais une démocratie semi contrôlée : les Hongkongais pourront refuser un candidat mais ne pourront pas en choisir un.

Si la Chine revenait sur le principe « un pays, deux systèmes », ce serait de plus un mauvais signal envoyé à Taïwan et aux Taïwanais alors que l’élection présidentielle à Taiwan aura lieu dans deux ans. La promesse de la Chine faite à Taïwan dans la perspective de réunification avec l’île, a toujours été de dire : « Regardez, « Un pays, deux systèmes », cela marche avec Hong Kong, donc cela marchera avec Taïwan. »

JOL Press : Quelle est la marge de manoeuvre du président chinois Xi Jinping sur la scène intérieure chinoise ?

 

Antoine Bondaz : Ce qu’il faut bien comprendre tout d’abord, c’est que ce qui se passe à Hong Kong n’est pas une crise intérieure. Hong Kong à un statut particulier, c’est davantage un problème pour Hong-Kong et indirectement pour la Chine. Ce n’est pas du tout à mettre sur le même plan qu’une manifestation pour la démocratisation qui aurait lieu dans une grande ville chinoise.

Xi Jinping n’a pas beaucoup de marge de manoeuvre par rapport à Hong Kong. En effet, la Chine n’enverra pas l’armée ; elle n’a aucun intérêt à ce qu’il y ait une répression brutale des manifestants.

Ce que la Chine peut faire, c’est revenir, mais en partie et non pas intégralement, sur la réforme proposée le 31 août. Par exemple en augmentant le nombre de candidats – 2 à 8 par exemple – à l’élection de 2017. Cela pourrait permettre de relâcher la pression. En parallèle, la Chine pourrait rappeler qu’elle maintient le statut particulier de Hong Kong et le principe « un pays, deux systèmes ». Une démission de Leung Chun-ying [le chef de l’exécutif de Hongkong, ndlr] est également peu crédible pour l’instant. 

JOL Press : La Chine doit-elle craindre, non pas peut-être des sanctions, mais du moins des remontrances de la part de la communauté internationale ?

 

Antoine Bondaz : Les remontrances ont déjà plus ou moins commencé. Notamment par la voix des Anglais et des Américains. Parler de sanctions, c’est encore un peu trop tôt : il n’y a aucune raison pour la communauté internationale de sanctionner la Chine. Comparer Pékin à Moscou, comme cela a été fait par certains est infondé.

Le seul scénario qui pourrait entraîner des sanctions serait une brutale répression des manifestations, avec des morts. Mais encore une fois, la Chine n’a aucun intérêt à en arriver là, et la Chine fera tout pour ne pas en arriver là.

JOL Press : Pékin mise sur l’essoufflement du mouvement. Celui-ci a-t-il vraiment vocation à s’essouffler ?

 

Antoine Bondaz : Ce dont on était sûr, le week-end dernier, c’est que le mouvement durerait au moins jusqu’au mercredi 1er octobre, date de la fête nationale chinoise. Le deuxième ultimatum qui a été fixé est pour le jeudi 2 octobre et la démission du chef de l’exécutif hongkongais Leung Chun-ying. Passées ces deux dates, les manifestants n’auront plus d’agenda clair et il sera alors plus difficile de maintenir le mouvement. 

Cependant, certains éléments jouent en faveur des manifestants. Tout d’abord leur jeunesse, ils sont plus facilement mobilisables, pour une durée plus longue et ils sont plus motivés que des grévistes qui risqueraient de perdre leurs revenus et leur emploi.

De plus, ces groupes d’étudiants sont organisés, notamment à traverse le mouvement « Scholarism ».

Ces deux tendances contradictoires rendent toute prévision difficile.

La dernière grande manifestation d’opposition avait eu lieu en 2012 quand la Chine avait voulu imposer dans les manuels scolaires de Hong Kong une éducation au patriotisme, qui avait été dénoncée par bon nombre de Hongkongais comme de la propagande communiste et comme un lavage de cerveau des jeunes hongkongais. La manifestation avait duré quelques jours.

Cette fois, la fusion de différents mouvements protestataires et la médiatisation internationale pourrait faire durer le mouvement bien plus longtemps.

JOL Press : Que serait prêt à « sacrifier » Pékin pour résoudre la crise ?

 

Antoine Bondaz : La position de la Chine pour l’instant est une politique d’intransigeance : les manifestations doivent s’arrêter.

Ce que peut faire la Chine si jamais les manifestations continuent, sans perdre la face, sans apparaître comme plier devant les manifestants et sans ouvrir une boite de Pandore serait de revenir, partiellement, sur le projet de réforme et de tout faire pour relancer le dialogue entre les manifestants et l’exécutif de Hong Kong.

JOL Press : Dans quel scénario Pékin pourrait-il être amené à user de la force à Hong Kong ?

 

Antoine Bondaz : Pour ce qui est d’une intervention de l’armée chinoise, là le scénario est nul. La Chine n’a aucun intérêt à envoyer des tanks, l’image en serait désastreuse, car rappellerait forcément 1989 [le massacre Place Tian’anmen, ndlr]

Cependant, si les manifestants occupaient des bâtiments administratifs, alors il y aurait un risque que la police intervienne plus fermement.

Mais, attention, encore une fois, on ne parle pas d’une intervention de la Chine, ni d’une intervention militaire, mais une intervention de la police de Hong Kong.

 

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

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Antoine Bondaz est spécialiste de la politique extérieure chinoise, il est rattaché au Centre d’Études et de Recherches Internationales (Sciences Po/CERI) et à l’Institut de Recherches Stratégique de l’École Militaire (IRSEM).

 
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