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Taxe sur les transactions financières: avec Pierre Moscovici, le flou continue

Cela faisait déjà plusieurs mois qu’on n’avait pas entendu parler de la taxe sur les transactions financières ou taxe Tobin, si bien qu’on aurait pu la penser enterrée au cimetière des mesures économiques avortées avant d’avoir été appliquées. Cette fois, c’est Pierre Moscovici qui la remet sur le tapis.

Le futur commissaire européen aux Affaires économiques sera en charge de mettre en œuvre cette taxe, et ne tarit plus d’éloges sur ce nouvel impôt. L’homme n’était pourtant pas le dernier à la décrier lorsqu’il était ministre de l’Économie de François Hollande. Ce changement de position, qui pourra en dérouter plus d’un, renforce davantage la confusion entourant cette taxe. Avec un cadre réglementaire obscur et des conséquences économiques discutables, la TTF continue de baigner dans le flou.

Changement d’avis pour Pierre Moscovici

À en croire Pierre Moscovici, changer de poste c’est également signer une dérogation pour pouvoir changer d’opinion et l’assumer publiquement sans surprendre personne. Certes, ce ne sera pas le premier à jouer les girouettes tournant au grès du vent mais son cas risque d’avoir des répercussions dépassant le flagrant délit de mauvaise foi. L’homme n’est pas encore assis dans le fauteuil du commissaire européen aux Affaires économiques, qu’il contredit déjà ses déclarations du temps où il était ministre de l’économie et où il exprimait ses réticences quant à l’application d’une taxe sur les transactions financières. « La proposition de la Commission m’apparaît excessive et risque d’aboutir au résultat inverse », s’aventurait-il à dire au mois de juillet dernier, avant d’ajouter « (…) la taxe sur les transactions financières suscite des inquiétudes quant à l’avenir industriel de la place de Paris et quant au financement de l’économie française ».

Une position qui tranche aujourd’hui avec les propos tenus lors de son passage dans l’émission « Le grand rendez-vous » où Pierre Moscovici semblait de suite plus convaincu par cette mesure qui concerne aujourd’hui 11 pays européens et qui vise à taxer à 0,1 % les actions et les obligations, et faire de même pour les produits dérivés, mais à un taux moindre fixé à 0, 01 %. « J’ai été le premier avec Wolfgang Schäuble (l’actuel ministre des Finances en Allemagne), à signer une lettre pour que nous soyons capables de mettre en place cette coopération renforcée à onze. Le premier. Et j’ai toujours été dedans, j’ai toujours eu une vision ambitieuse de cela, je continuerai bien sûr ».

Moscovici, qui dès sa prise de fonction le 4 novembre prochain, va veiller à mettre en place la TTF, aurait donc accordé ses violons et adopté un discours en phase avec ses obligations professionnelles. Soit. Cependant, il ne faut pas oublier qu’il n’en est pas à son premier retournement de veste concernant le dossier taxe Tobin, et oscille entre doutes et enthousiasme depuis l’accord de la Commission européenne l’année dernière. C’est donc auréolée d’un halo d’incertitudes maquillées en convictions politiciennes que la TTF est toujours étudiée à Bruxelles. Un manque de lisibilité qui est symptomatique d’une mesure forte sur le papier, séduisante à l’oreille de ceux qui souhaitent punir la méchante finance, responsable de tous les maux de la terre, mais qui peine depuis le début à faire consensus à bien des niveaux.

Une taxe qui divise

Dans les tuyaux depuis des dizaines d’années, la taxe Tobin n’a jamais dépassé le stade des discussions, et pour cause. Cette mesure n’est jamais parvenue à  trouver l’écho nécessaire pour être appliquée dans toute l’Union Européenne et n’a donc jamais bénéficié d’une cohésion forte favorisant sa mise en place. Au contraire, cette taxe a fait l’objet de nombreuses critiques et certains pays n’ont pas hésité à marquer leur opposition féroce face à un tel projet, tel la Grande-Bretagne, la Suède ou encore le Luxembourg. Au final, seuls 11 pays ont réussi à se mettre d’accord sur l’adoption de ce qui passe pour être une véritable arlésienne de l’économie.

Consensus maigre et laborieux donc, qui semble uniquement faire office d’accord de principe tant le cadre réglementaire relatif à la TTF et proposé par la Commission européenne pose problème à la France. En effet, le pays cherche à obtenir des exceptions qui vont édulcorer cette taxe de sa substance première, en voulant revoir une multitude de points comme « le principe d’origine », « la taxation de chaque transaction » ou encore « la taxation des vendeurs et acheteurs » avec une France souhaitant taxer uniquement les vendeurs quand la Commission voudrait toucher les deux parties. Ce service à la carte montre les limites d’une mesure qui, lorsqu’elle se confronte à la réalité de l’économie mondiale, se heurte à ses inepties et à ses lacunes en terme de raisonnement financier.

Autre zone de flou persistant qui apparaît lorsqu’on en vient à se pencher sur la Taxe Tobin : ce qu’elle va rapporter en termes d’argent à l’État. Aucune estimation n’a pour le moment été dévoilée, on marche à l’aveugle sans savoir où tout cela va nous mener. Quand l’Allemagne table sur près de 18 milliards d’euros de recettes, Michel Sapin se garde de toute prévision et reconnaît même n’avoir lancé aucune étude sur ce dossier. Incompétence ? Peu probable, sûrement une façon de respecter ce brouillard latent qui suit la taxe depuis son arrivée à la table des négociations.

Si notre ministère des Finances ignore « pour le moment » ce que va lui permettre d’encaisser la fameuse TTF, on a cependant une vague idée de ce que cela va pouvoir nous coûter. Vouloir taxer des mouvements financiers aura pour conséquences pures et simples de favoriser les pays dans lesquels cette taxe n’est pas en vigueur, et privilégier particulièrement Londres en renforçant son poids dans la finance européenne. Le danger de voir cette taxe faire fuir les capitaux français à l’étranger est donc bien présent, risque qui devrait s’accompagner d’une vague de délocalisations mettant à mal la santé économique de notre pays. C’est du moins ce que redoutent six grandes fédérations et associations professionnelles (Medef, la Fédération française des banques (FBF), la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), etc.) qui estiment que l’instauration de la TTF va être à l’origine de « délocalisations d’activités massives, qui menacent 30 000 emplois à brève échéance » et risque de coûter « plus de 70 milliards d’euros à la France ».

« Le travail que je veux mener, c’est un travail d’amélioration de la proposition de la Commission pour mettre en oeuvre une taxe qui ne nuise pas au financement de l’économie », déclarait il y a un an Pierre Moscovici lorsqu’il était encore ministre des Finances. Quand on connaît la tendance du personnage à ravaler ses dires en fonction des occasions, on peut craindre le pire. Pour l’heure, le projet est toujours en discussion et l’opacité dont il fait preuve va nécessiter du temps pour que le futur commissaire européen aux Affaires économiques ressorte avec une taxe applicable, dénuée de doutes et d’incohérences. Du temps pour également changer d’avis et se rendre compte à quel point cette mesure va nuire à l’économie française et au final continuer à encourager ce contre quoi elle souhaite lutter.

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