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Burkina Faso: à quoi joue l’armée?

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L’armée burkinabé n’a pas pris le pouvoir des mains du président déchu Blaise Compaoré, mais les mots « coup d’Etat » sont sur toutes les lèvres au Burkina Faso. Décidée à assurer elle-même l’intérim au pouvoir et à engager le pays sur la voie de la transition, l’armée s’est déjà fait de nombreux ennemis depuis son arrivée fracassante au pouvoir.

Un coup d’Etat ?

Depuis dimanche 2 novembre, jour où l’armée a suspendu la Constitution après avoir officiellement choisi un chef d’Etat pour diriger cette transition, les Burkinabés regardent la scène politique de leur pays avec inquiétude.

L’armée fait aujourd’hui peur. Pourtant, lorsque Blaise Compaoré  a décidé de quitter le pouvoir, et alors que le chef d’Etat-major des armées, Nabéré Honoré Traoré annonçait dans un communiqué qu’il était désormais chef de l’Etat, la population n’a pas semblé effrayée à l’idée de voir le pouvoir entre les mains de l’armée.

C’est alors la personnalité choisie au sein de l’armée qui dérangeait le plus les manifestants, eux qui auraient préféré le populaire général Kouamé Lougué.

Ni l’un, ni l’autre. Après une période de réflexion, c’est le lieutenant-colonel Zida, qui a été choisi pour assurer cette période de transition. Dimanche, le nouveau chef d’Etat s’est entretenu avec les responsables de l’opposition. Son porte-parole, le colonel Auguste Barry, a réaffirmé dans la soirée l’engagement des militaires à mettre en place un régime de transition « par un large consensus ». Dans ce communiqué lu, le  nouveau chef de l’Etat assure même que le pouvoir « ne l’intéresse pas » et que « seul l’intérêt supérieur de la Nation prime ».

Malgré cette promesse, l’opposition et la société civile ont condamné cette « confiscation » du pouvoir par l’armée.

« La victoire issue de l’insurrection populaire appartient au peuple, et par conséquent la gestion de la transition lui appartient légitimement et ne saurait être en aucun cas confisquée par l’armée », ont-ils déclaré dans un communiqué commun.

L’armée ne calme pas la rue

En face, si l’armée s’est voulue rassurante quant à l’aspect ponctuel de cette prise de pouvoir, ses actions ont témoigné du contraire envers la population. En effet, dans la journée de dimanche, l’armée a pris le contrôle de la place de la Nation, place emblématique pour les manifestants, où ils étaient plusieurs milliers à s’être rassemblés pour protester contre cette prise de pouvoir.

Désormais, l’accès à cette place est interdit et des barrières ont été installées jusqu’à 100 mètres autour des lieux.

Les soldats burkinabés ont également investis les locaux de la radio-télévision nationale (RTB) et ont chassé le personnel présent dans les bâtiments. Ces derniers ont visiblement pu reprendre possession de leurs locaux en fin de journée. Cette même journée, un homme qui manifestait devant les locaux de la RTB a été tué, par une balle perdue selon une déclaration de l’armée, alors que les forces de l’ordre tentaient de disperser la foule.

La communauté internationale condamne sans appel

Face à cela, la communauté internationale qui était restée relativement silencieuse jusqu’ici, a témoigné de sa vive inquiétude face aux agissements de l’armée. Dans la nuit de dimanche à lundi 3 novembre, les Etats-Unis ont appelé « l’armée à transférer le pouvoir aux autorités civiles », selon une déclaration de Jen Psaki, porte-parole du département d’Etat et ont condamné « la tentative de l’armée burkinabé à imposer sa volonté au peuple du Burkina Faso ».

En Afrique, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a appelé au « dialogue » et à la retenue afin que « la situation déjà précaire » ne dégénère, selon les propos du président guinéen John Dramani Mahama, président de l’organisation.

Enfin, la médiation internationale tripartite au Burkina conduite par l’ONU, l’Union africaine et la Cédéao a évoqué la menace de « sanctions ». « Nous espérons qu’il y aura une transition conduite par un civil, conforme à l’ordre constitutionnel ». « Sinon, les conséquences sont assez claires. Nous voulons éviter pour le Burkina Faso la mise en place de sanctions », a déclaré l’émissaire de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest, Mohamed Ibn Chambas lors d’une conférence de presse à Ouagadougou.

Quel civil pour prendre le pouvoir ?

Pourtant, dans toutes ces déclarations et ces appels à donner le pouvoir aux civils, une question n’est pas résolue : quels civils ? En effet, alors que l’armée prenait le pouvoir, un ancien ministre, le général Kouamé Lougué, et la dirigeante d’un autre parti de l’opposition, Saran Sérémé, ont tenté à leur tour de s’auto-proclamer chef d’Etat, sans y parvenir.

Le Burkina Faso, qui n’a connu qu’un président depuis 27 ans, ne compte pas moins de 74 partis d’opposition dont beaucoup sont des amis de Blaise Compaoré.

Une personnalité qui fasse consensus n’est pour le moment pas encore sortie du lot et dans les faits, si l’armée voulait vraiment transmettre le pouvoir à un civil, elle ne saurait pas à qui le confier.

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