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CEDH : la perpétuité réelle pratiquée en France jugée conforme au droit

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La CEDH a jugé conforme au droit européen le régime des peines de perpétuité incompressibles pratiqué en France – shutterstock.com

Pierre Bodein, âgé de 66 ans, avait été en 2007 le premier accusé à écoper de la peine la plus lourde du code pénal, la « perpétuité réelle ».

JOL Press : En quoi consiste le régime des peines de perpétuité incompressibles pratiqué en France, que contestait devant la Cour européenne des droits de l’homme le détenu Pierre Bodein ?
 

Alexandre Giuglaris : Il s’agit de peines de perpétuité qui ne prévoient pas de période de sureté mais qui peuvent néanmoins, au bout de 30 ans de détention, déboucher sur une libération conditionnelle. Le régime des peines de perpétuité incompressibles, qui date de 1994, est relativement encadré et est réservé aux criminels ayant commis des crimes extrêmement graves : meurtre avec viol ou torture sur mineur de moins de quinze ans – ce qui est le cas de Pierre Bodein, auteur de trois meurtres particulièrement violents, dont celui d’une enfant de 10 ans – et meurtre en bande organisée ou assassinat d’une personne dépositaire de l’autorité publique à l’occasion ou en raison de ses fonctions. 

Ces peines n’ont été appliquées, en France, que pour les meurtres d’enfants. Depuis la condamnation de Pierre Bodein en 2007, la perpétuité incompressible n’a été prononcée que pour trois autres criminels, dont le tueur en série Michel Fourniret.

JOL Press : Qu’espérait Pierre Bodein en faisant appel à la Cour européenne des droits de l’Homme ?
 

Alexandre Giuglaris : Pierre Bodein souhaitait que la Cour européenne des droits de l’Homme reconnaisse qu’il était victime de « traitements inhumains ou dégradants », traitement interdits par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Selon lui, l’absence d’espoir de recouvrer un jour la liberté pouvait être considérée comme des « traitements inhumains ou dégradants ». Mais la  CEDH a jugé conforme au droit européen le régime des peines de perpétuité incompressibles car la possibilité de réexamen existe dans le droit français : « Le droit français offre une possibilité de réexamen de la réclusion à perpétuité, qui est suffisante, au regard de la marge d’appréciation des Etats en la matière », a estimé la Cour européenne des droits de l’Homme.

Cette possibilité de demande de libération conditionnelle a donc été considérée comme suffisante. De la même manière que les Etats membres s’engagent à abolir la peine de mort, la Convention européenne des droits de l’homme interdit aux États de pratiquer la torture, ou de soumettre une personne relevant de sa juridiction à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants. Ce jeudi 13 novembre, la CEDH a considéré que le régime des peines de perpétuité incompressibles pratiqué en France ne pouvait être considéré comme inhumain ou dégradant.

JOL Press : Quelles sont les conditions d’une acceptation de libération conditionnelle ?

Alexandre Giuglaris : Après 30 ans d’incarcération, le Tribunal de l’application des peines peut mettre fin à la période de sûreté ; décision qui ne peut être rendue «  qu’après une expertise réalisée par un collège de trois experts médicaux inscrits sur la liste des experts agréés près la Cour de cassation qui se prononcent sur l’état de dangerosité du condamné », selon l’article 720-4 du code de procédure pénale. Mais cette libération serait, dans tous les cas, très surveillée. Jusqu’à présent cela ne s’est pas présenté puisque les cas de peines de perpétuité incompressibles sont extrêmement rares.

JOL Press : Quand la Cour européenne des droits de l’Homme parle de « traitements inhumains ou dégradants », de quoi pourrait-il s’agir concrètement ?
 

Alexandre Giuglaris : En mai 2013, par exemple, la CEDH a condamné la France au regard des conditions de détention existantes dans certains établissements pénitentiaires ; en ligne de mire de la Cour : la surpopulation carcérale. Le fait qu’une cellule de prison prévue pour deux détenus se retrouve à en accueillir trois ou quatre est considéré comme des « traitements inhumains ou dégradants ».  La France doit permettre des conditions dignes de détention.

JOL Press : En 2013, la CEDH avait donné gain de cause à des condamnés britanniques qui remettaient en cause les peines incompressibles telles que pratiquées au Royaume-Uni. Quelles différences ?
 

Alexandre Giuglaris : En Grande-Bretagne, il n’y avait pas de possibilité de recours possible. La CEDH avait alors estimé que les peines incompressibles, non amendables et non modifiables, étaient assimilables à un « traitement dégradant », car aucun espoir de sortie n’existait.

JOL Press : Cette décision de la Cour européenne des droits de l’homme était-elle importante au regard du droit français ?
 

Alexandre Giuglaris : Oui c’était important puisqu’il s’agit d’une sécurité juridique supplémentaire pour le droit français et pour les familles des victimes. Si la CEDH avait donné gain de cause à Pierre Bodein, il aurait fallu ouvrir un nouveau procès. Au regard des actes commis par Pierre Bodein, on imagine la souffrance des familles si une nouvelle procédure avait été lancée.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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