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Comme Compaoré, d’autres présidents sont très accrochés à leur pouvoir

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A l’image de Blaise Compaoré, quels présidents africains actuellement en fonction pourraient être tentés de prolonger leur mandat en modifiant la Constitution de leur pays ?
 

Hélène Quénot-SuarezUn certain nombre d’élections vont se dérouler en 2015, 2016 et 2017. Il est difficile de prédire l’avenir mais certains pourraient être tentés par un allongement de leur mandat, même si ce n’est pas encore officiel.

C’est le cas par exemple de Joseph Kabila, en République démocratique du Congo. Ce dernier a déjà abordé cette question lors d’une discussion avec le Secrétaire d’Etat américain John Kerry qui lui avait fait quelques remarques critiques sur un éventuel projet de rester au pouvoir malgré la limitation constitutionnelle, dans la ligne de Barack Obama, qui avait affirmé à Accra en 2009 que « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts. Elle a besoin d’institutions fortes ». Les collaborateurs de Joseph Kabila avaient alors répondu qu’ils n’avaient pas l’intention de « violer » la constitution.

On peut également penser à Denis Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville, à Idriss Déby au Tchad en 2016 ou Paul Kagamé au Rwanda en 2017. Il y aura aussi Pierre Nkurunziza, président du Burundi et Paul Biya au Cameroun, entres autres. Pour certains le problème vient de la limitation de mandats, pour d’autres  de leur grand âge.

Dans ces pays, les tractations des présidents en place pourraient-elles mener à des révoltes populaires telles que celle qu’ont mené les Burkinabés ?
 

Hélène Quénot-Suarez : Comme au Niger, où un coup d’Etat a entrainé la chute du président Tandja qui voulait prolonger son mandat, ou au Sénégal, où le président Wade a dû renoncer à ses projets, on constate que les sociétés civiles sont de plus en plus attentives à ce type de manipulations.

Ce sont des exemples qui peuvent créer des dynamiques. C’est ainsi que les Burkinabés se sont inspirés des Sénégalais lorsqu’ils sont descendus dans la rue. Les sociétés civiles s’inspirent les unes des autres car comme toutes les autres, ces sociétés sont très jeunes et très connectées et savent très bien ce qu’il se passe dans les pays voisins.

Estimez-vous que ces mouvements sont le signe d’une meilleure appropriation de la démocratie dans ces pays ?
 

Hélène Quénot-Suarez : Il y a une question politique qui se pose. Dans tous ces pays, les populations sont très jeunes, et pour certaines, n’ont connu que le président en place. C’est le cas avec Blaise Compaoré, avec Denis Sassou Nguesso, ou encore avec Paul Biya. Il y a donc un phénomène de « ras le bol » et une volonté de renouvellement. Jusqu’ici, il y a eu beaucoup de démocraties formelles dans lesquelles les Constitutions étaient démocratiques quand les pratiques ne l’étaient pas.

Il semble que les populations aspirent désormais à ce que la démocratie reprenne ses droits et à pouvoir participer davantage car ils voient que les abus sont énormes. Cela tient à une certaine conscience politique. C’est très net chez les Burkinabé, ça l’était aussi chez les Sénégalais, qui ont une forte conscience politique.

Il y a également des raisons économiques. Tous les pays dont nous parlons ont une forte croissance et leurs conditions économiques se sont beaucoup améliorées. Cela a créé de nombreuses attentes au niveau politique. Jusqu’ici, on pouvait dire du Burkina Faso qu’il était pauvre mais que Blaise Compaoré était garant d’une certaine stabilité. Mais lorsqu’il y a une croissance forte et qu’il n’y a aucune redistribution parce que les institutions ne font pas leur travail, et que les classes dirigeantes s’approprient d’énormes richesses, un ras le bol économique naît.

Certains pays démocratiques, qui ont en plus une très bonne croissance économique donnent l’exemple. C’est le cas du Ghana. Les Burkinabés, qui sont leurs voisins, voient bien que de l’autre côté de la frontière, il y a un pays stable dans lequel l’alternance fonctionne et où la croissance est à deux chiffres.

La communauté internationale agit-elle en coulisse pour changer ces modes de gouvernance et pour convaincre certains présidents de laisser la main aux suivants ?
 

Hélène Quénot-Suarez : Dans la question des réélections, il faut considérer plusieurs niveaux d’analyse. Il y a le niveau national, où les sociétés civiles peuvent s’inspirer des cas précédents dans les pays voisins.

Il y a ensuite une échelle régionale. Quand Joseph Kabila se demande s’il se représente ou pas, la question retentit dans les pays voisins. Joseph Kabila a 42 ans, il est entouré de présidents beaucoup plus âgés et s’il décidait de ne pas se représenter, ce serait une mauvaise nouvelle pour ceux qui sont en place depuis plus longtemps que lui. On ne parle que très peu de cette échelle régionale et pourtant, tous les présidents africains se connaissent très bien et depuis très longtemps et veulent défendre leur position.

Finalement, au niveau international, les modifications de Constitution sont illégitimes puisqu’elles n’ont pas comme fondement une volonté populaire, mais ne sont pas illégales. Sauf à rappeler, comme l’avait fait la France avec Blaise Compaoré avant ces derniers événements, que l’Union Africaine interdit théoriquement la modification des articles constitutionnels qui portent sur les limitations de mandat.

La communauté internationale n’a donc pas vraiment de moyens de pression politiques si elle ne veut pas être accusée d’ingérence dans les affaires internes d’un pays.

La communauté internationale peut cependant jouer un rôle facilitateur mais ces positions sont toujours extrêmement délicates à tenir, surtout lorsque la communauté internationale tient un discours de renouvellement des relations avec l’Afrique qui tend à prôner une relation d’égal à égal et la non-ingérence dans les affaires africaines.

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

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