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Déficit public : la situation de la France risque de s’aggraver…

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La Commission prévoit un déficit à 4,4% en 2014, 4,5% en 2015 et 4,7% en 2016 à politique inchangée – shutterstock.com

Bruxelles ne croit pas que la France tiendra ses objectifs budgétaires l’an prochain, et estime même que la situation va s’aggraver en 2016, éloignant le scénario d’un retour sous 3% l’année suivante comme le promet Paris. Quelle conséquences pour notre économie ?

JOL Press : La France ne tiendra pas ses objectifs budgétaires l’an prochain, selon la Commission européenne. Cela vous surprend-il ?
 

Christophe Blot : Pas vraiment parce que tout le monde s’y attendait y compris le gouvernement. Globalement les chiffres de déficit pour 2014 seront moins bons que prévu. L’ajustement prévu pour 2015 par le gouvernement français sera plus faible que celui qui avait été anticipé il y a un an mais tout le monde savait qu’en 2015 le déficit public de la France ne passerait pas sous la barre des 3% et la Commission ne fait pas exception. Après, il y a des écarts sur les chiffres de prévision de croissance et de déficit mais pour le reste, il n’y a pas de surprise.  

JOL Press : Faut-il s’en inquiéter ?
 

Christophe Blot : Oui et non. Il faut s’en inquiéter parce que ces conclusions sont le signe que la situation économique de la France n’est pas bonne : les déficits ne se réduisent pas parce que la croissance ne part pas, la France est dans une situation de quasi-stagnation depuis 2011. Nous avons des déficits conjoncturels, liés à l’état de la situation économique, qui restent importants. Cet état de fait est une source d’inquiétude parce que derrière il y a la question du chômage qui reste très élevé en France.

JOL Press : Selon les prévisions de la Commission, la France aura en 2016 le déficit le plus élevé de toute la zone euro. Quelles peuvent être les conséquences d’une telle situation ?
 

Christophe Blot : Il faut être très précis, quand on utilise les chiffres que donne la Commission pour l’année 2016, parce que dans son calcul elle raisonne à politique inchangée, c’est-à-dire qu’elle ne tient pas compte des éventuelles mesures qui seront prises dans le budget de l’année 2016. S’il ne se passe rien, le déficit de la France augmentera selon la Commission. Mais on a du mal à imaginer qu’il ne se passe rien. Ce scénario est peu probable et peu crédible. La France fait des ajustements tous les ans, elle a certes fait moins fort que ce qu’elle avait prévu de faire dans le programme de stabilité, il y a un an, mais elle continue ses efforts. Raisonner en termes de politique économique inchangée donne très peu d’informations sur ce qui va se passer en 2016.

Par ailleurs, le fait que la France ait le déficit le plus élevé de toute la zone euro n’est pas une information capitale ; cela peut jouer sur des questions d’ordre politique en matière de gouvernance européenne parce que la France étant le deuxième plus gros pays de la zone euro, si elle ne parvient pas à réduire son déficit, cela posera des questions en termes de relation entre la France et la Commission et entre la France et ses partenaires européens. Cela dit, sur le plan économique, il n’y a pas de raison de s’alarmer.

JOL Press : La France est-elle « l’enfant malade de l’Europe » ?
 

Christophe Blot : C’est le genre d’expression dont il faut se méfier. On disait cela de l’Allemagne dans les années 2000 et aujourd’hui le revirement est complet : on considère l’Allemagne comme le pays leader de la zone euro, ce qui est incontestable en termes d’évolution de la croissance sur les dernières années. La France a certes des difficultés mais qui sont la résultante de difficultés macro-économiques européennes.

Dire que la France est le pays qui va le plus mal en Europe ne paraît pas approprié. Si on regarde la situation économique de l’Italie, elle est bien plus inquiétante que la France ; l’Italie est en récession pour la troisième année consécutive, ce qui n’est pas le cas de la France. L’Espagne a un taux de chômage qui dépasse encore les 20%. La situation de la Grèce, on n’en parle même pas…

Le fait que la France soit en situation de stagnation, pose des problèmes au niveau européen, cela interroge sur les politiques économiques qui ont été suivies depuis le début de la crise, mais faire de la France « l’enfant malade de l’Europe » est une formule un peu hâtive.

JOL Press : Quels sont aujourd’hui les atouts de la France ?
 

Christophe Blot : La France est riche d’un niveau d’infrastructures et d’investissements publics plutôt élevé, d’un niveau d’éducation important… La France est au cœur de l’Europe donc en termes de capacité à attirer différents investisseurs, elle possède de grandes qualités. Sa productivité reste, en tendance, assez forte parmi les pays industrialisés. La France a aussi des atouts structurels pour relancer la croissance.

JOL Press : Quelles sont les alternatives du gouvernement face à cette situation ?
 

Christophe Blot : Le gouvernement n’a pas d’autre choix que de continuer à vouloir réduire nos déficits mais il doit le faire à petits pas pour ne pas tuer la croissance. On voit bien que la croissance est en berne, il ne faut donc pas renchérir dans l’austérité – c’est une trappe à récession et à déflation. C’est ce message-là qu’il aurait fallu transmettre en 2011, 2012. Aujourd’hui il n’est pas trop tard mais des dégâts ont déjà été faits. Il faut par ailleurs mettre en œuvre, avec nos partenaires européens, un plan d’investissement ambitieux qui sera capable d’apporter des perspectives de croissance à court terme et à long terme. La clé du succès se trouve dans la coordination des politiques européennes. 

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Christophe Blot est directeur adjoint au Département analyse et prévision à l’OFCE. Ses thèmes de recherche actuels touchent au commerce extérieur, à la crise financière et à la politique monétaire.

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