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Djihadistes français en Syrie: comment ces jeunes ont-ils basculé ?

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Photo DR shutterstock.com

Ils sont aux alentours de 500 actuellement en Syrie. Des français qui, aujourd’hui, combattent le régime de Bachar Al Assad dans les rangs de groupes de Djihadistes. Adolescents et bons élèves parfois, convertis et radicalisés brutalement pour d’autres, comment ces jeunes français ont-ils basculé ? Pourquoi ces gamins de Toulouse, Strasbourg ou Lyon ont ils pris les armes pour le compte d’organisations terroristes rêvant d’instaurer la Charia ? Comment sont-ils recrutés, et comment s’organisent-ils pour partir en Syrie ? Pour quelles raisons des jeunes femmes, nées en France, intégrées rejoignent le Djihad et aspirent à vivre auprès de ces  » moudjahidins « ? Pourquoi les services de renseignement français sont-ils persuadés que certains préparent un retour en France, pour commettre un attentat ?

Extrait de « La France du Djihad », de Francois Vignolle et d’Azzeddine Ahmed-chaouch (Editions du Moment, Novembre 2014)

La Belgique est traumatisée. Et aujourd’hui la France est plongée dans la crainte qu’une attaque similaire ou même de plus grande envergure encore la frappe sur son terri- toire. « Ces jeunes sur le retour constituent une menace bien réelle, pour la sécurité de la France », constate le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve 2. Une menace quantifiée place Beauvau. Depuis le début du conflit en Syrie, un chiffre est tenu secret par le gouvernement français. Celui des actes terroristes prévus contre la France et déjoués. « En moins d’un an, la DGSI a réussi à détecter trois attentats en cours de planification sur le territoire national impliquant des djihadistes de retour de Syrie », détaille une source au ministère de l’Intérieur. Il s’agit de projets concrets, avec parfois un arsenal en état de marche.

Le 1er juillet dernier, Mohamed Reda O., formé par l’EILL, a été interpellé chez lui, dans le Val-de-Marne. « Son projet terroriste était pour le moins atypique », commente cette même source. Avant de choisir la France comme cible, il était parti au Liban pour commettre, avec d’autres Français, une attaque kamikaze contre des chiites. N’ayant pu réaliser son projet, il revient en France et recontacte l’EILL en Syrie déclarant « être prêt à travailler ». Le Francilien entreprend des recherches sur les centres chiites implantés en France. Les services de l’antiterrorisme flairent un gros poisson. Ils surveillent tous ces faits et gestes. Devant cette menace imminente, il est donc mis en examen et écroué le 5 juillet. D’autres actions terroristes jusque-là ont été jugulées ainsi ces derniers mois sans être médiatisées.

Lyes D., un Français originaire de Maubeuge, rentré de Syrie en août 2013, a lui aussi été arrêté après son retour en France. Il est mis en examen le 18 octobre 2013. Lors d’une perquisition à son domicile, les policiers saisissent son ordinateur et découvrent des éléments très inquiétants. « Il y avait à l’intérieur des documents relatifs à la confection d’un engin explosif artisanal, dans le but de réaliser une opération suicide pour une cause religieuse », détaille un fonctionnaire place Beauvau. Le jour de son interpellation, Lyes s’était rasé. Un signe annonciateur d’un attentat, pensent les policiers. Les terroristes islamistes pratiquent la taqiyya, l’art de tromper l’ennemi en changeant d’apparence.

Un autre projet d’attaque kamikaze a été jugé plus préoccupant encore. Peut-être même le plus préoccupant : « Tant par son avancement, par la cible choisie, que par l’ampleur des dégâts souhaités », assure un policier de l’anti-terrorisme. Cette fois aussi, l’homme interpellé avait connu le terrain de guerre syrien. Ibrahim Boudina, vingt-trois ans, franco-algérien qualifié de « très dangereux » était « sur le point de commettre un attentat de grande envergure, confie un enquêteur 1. D’après les informations que nous avons recueillies, il voulait réaliser un Boston-bis 2. Franchement, ce n’est pas pour être alarmiste, mais nous pensons avoir échappé à l’une des plus grandes attaques terroristes sur notre territoire. » Boudina est interpellé le 11 février 2014 à Mandelieu-la-Napoule, dans les Alpes-Maritimes, un mois seulement après son retour de Syrie. Il est cueilli au pied du bâtiment B de la résidence Surcouf, où son père possède un studio. Lors des perquisitions menées dans les parties communes de cet immeuble de standing, les policiers découvrent une arme de poing, du matériel informatique et trois cannettes de Red Bull remplies de TATP, un explosif relativement facile à fabriquer. « C’est l’équivalent de trente grenades », résume un enquêteur 1. L’une d’elles semblait prête à l’usage : des clous et des vis fixés par du scotch entouraient l’explosif. Le carnaval de Nice, qui devait se dérouler le 13 février, soit deux jours après l’arrestation de Boudina, s’avère pour les policiers une cible très probable.

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Autre précision qui fait froid dans le dos : les mèches retrouvées sur l’explosif laissent penser que Boudina voulait réaliser le premier attentat suicide en France. « Les mèches sont très courtes, précise un enquêteur. Il est difficile d’imaginer que quelqu’un puisse les allumer pour ensuite poser la bombe. Pour nous, la volonté d’une attaque kamikaze est établie. » Tout comme Mehdi Nemmouche, avant de tomber dans le fanatisme religieux, Boudina possédait un CV de délinquant fourni. Ancien braqueur, il apparaît sur les radars de la DCRI en 2012 pour sa proximité avec la cellule dite « Cannes-Torcy », à l’origine de l’attaque d’une épicerie casher à Sarcelles dans le Val-d’Oise. Au lendemain du démantèlement du réseau en 2012, les policiers français le recherchent pour son activisme dans ce groupe.

Face à cette menace d’arrestation, l’apprenti djihadiste part précipitamment en Syrie en octobre, et intègre la milice salafiste Jabhat Al-Nosra, concurrente de l’EIIL. De quelle manière a-t-il participé aux combats là-bas ? A-t-il été mandaté par Al-Nosra pour frapper la France ? Sans avoir de réponse précise, les policiers parviennent tout de même à intercepter des conversations du djihadiste avec sa famille en France. Le 14 janvier 2013, sa mère le joint sur le téléphone d’un autre Français. « Allô, Ibrahim ça va ? » La liaison est mauvaise. Boudina se doute-t-il que la DGSI le recherche activement ? L’ancien braqueur prend soin en tout cas de changer régulièrement de numéro de téléphone. « Je vais avoir une nouvelle puce, ensuite je t’appellerai avec ce numéro, inch Allah. » Ses parents savent-ils qu’il est soupçonné de combattre en Syrie ? Quoi qu’il en soit, sa mère lui envoie de l’argent. « Je t’ai donné des sous, il y a deux jours. » « Combien? » « 250 euros ». Boudina est décidé à quitter la Syrie en janvier 2014. Lors de son voyage de retour, des policiers grecs le contrôlent à la frontière. En le fouillant, ils découvrent une clef USB listant des modes de fabrication de bombes artisanales. De manière incompréhensible, il n’est pas inquiété mais un mandat d’arrêt international est lancé contre lui. Un premier voyant rouge s’allume, avant son interpellation en février.

 Ibrahim Boudina doit être acheminé à Paris pour les besoins de l’enquête. Un incident va lui montrer qu’il est « indésirable » en France. Malgré l’escorte des policiers de la DGSI, il se voit refuser, deux fois, l’accès à un vol Air France. « Seuls les commandants de bord peuvent refuser d’embarquer quelqu’un. Visiblement, ils ne voulaient pas d’un homme menotté, présenté comme dangereux, dans leur avion », glisse une source à Air France. Malgré cet incident, ce jeune père de famille mat de peau, au crâne rasé, stoïque garde le sourire aux lèvres. Devant les policiers et juges, Boudina n’assumera jamais les faits qui lui sont reprochés.Il jure avoir « fait de l’humanitaire » en Syrie et aspire, dit-il, à vivre normalement.

Une version que beaucoup d’anciens moudjahidines servent aux policiers mais qui ne convainc guère, tant ils semblent habités par la haine des « ennemis d’Allah ». Lui, Mehdi Nemmouche, et les autres djihadistes de retour, ont désormais un surnom, attribué par l’antiterrorisme français : « les vétérans de Syrie ». Pas très adapté quand certains n’ont pas seize ans et semblent totalement dépassés par les événements…

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Ancien Grand Reporter au Parisien, François Vignolle est spécialiste des questions de Police et de Justice. Il est rédacteur en chef des JT de M6 et a co-écrit avec Emmanuelle Maurel, « Le Pacte des Fourniret  », (Hachette Littérature, 2004). Azzeddine Ahmed-Chaouch est reporter à M6, spécialiste des questions police et justice auteur de l’ouvrage « Le Testament du diable » (Editions du moment, 2010).

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