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«En acceptant des Noirs, le Ku Klux Klan signe son arrêt de mort»

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John Abarr, membre actif de l’organisation du Ku Klux Klan, souhaite que le KKK se modernise en permettant à des Noirs et des homosexuels d’y adhérer. Une révolution ?

JOL Press : On le croyait disparu. A quoi ressemble aujourd’hui le Ku Klux Klan ?
 

François Durpaire : Le Ku Klux Klan d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec l’organisation d’origine. Le KKK a été fondé après la Guerre de Sécession en 1865, dans le Tennessee. L’Objectif du Klan, à l’époque, était de maintenir la suprématie des Blancs sur les Noirs. Composé d’anciens combattants de l’armée confédérée, le Klan craignait que l’abolition de l’esclavage conduise à une égalité des Noirs et des Blancs sur le sol américain.

Aujourd’hui le KKK n’est plus une véritable organisation mais plutôt des petits groupes, pas toujours connectés entre eux, qui utilisent le nom Ku Klux Klan mais aussi le costume blanc avec la capuche conique. On estime, d’après les enquêtes menées par un certain nombre d’universitaires américains, que le KKK compterait entre 5000 et 8000 membres, surtout dans le sud des Etats-Unis.

JOL Press : Les membres de ces groupes assument-ils l’histoire du Ku Klux Klan ?
 

François Durpaire : Oui, jusqu’à présent, ils assumaient l’histoire du Ku Klux Klan, jusque dans le rituel et les symboles du Klan. Ils donnaient l’impression d’une sorte de secte dont les membres vivent dans le passé. Quand  John Abarr, un des responsables de la confrérie du Montana, propose de renouveler le Klan et de cesser les discriminations sur la race, la religion ou l’orientation sexuelle, la nouvelle a trouvé un écho très large dans la presse américaine. Les Américains pensaient que le KKK était une veille organisation enfermée dans le passé, en s’ouvrant aux minorités, John Abarr souhaite donner un nouveau visage à l’organisation.

JOL Press : John Abarr veut recentrer le combat du KKK sur le nationalisme américain. Cela a-t-il un sens ?
 

François Durpaire : John Abarr lance une campagne de recrutement. Il ne veut pas que le Klan continue d’être réservé aux Blancs mais ouvert à tous les Américains, quelque soient leurs origines. Il ne veut plus que les membres du KKK se retrouvent autour « de la haine irrationnelle » de l’autre mais autour de la puissance américaine. Il ne souhaite plus défendre les Blancs en Amérique mais l’Amérique. Il glisse de la défense de la race à la défense de la nation.

 Ce qui est complétement révolutionnaire sur le plan de l’identité du Klan, c’est que jusqu’à présent, pour le Ku Klux Klan, la nation américaine se fondait dans la race blanche. En associant les Noirs et les Latinos à la défense de la nation américaine, John Abarr reconnait que la nation américaine ne se confond pas avec la race blanche mais qu’elle est multiculturelle. On est là aux antipodes de l’origine, de l’histoire et de l’identité du Ku Klux Klan.

JOL Press : Pourquoi a-t-il ressenti le besoin de cesser les discriminations sur la race, la religion ou l’orientation sexuelle ?
 

François Durpaire : Comme nous l’avons dit précédemment, le Klan est aujourd’hui plus une nébuleuse de petits groupes qu’une véritable organisation pyramidale. Certains membres d’autres confréries accusent John Abarr de vouloir faire parler de lui. Après on ne voit pas bien comment des Noirs et des Latinos pourraient avoir envie de rejoindre le Klan et son idéologie douteuse.

JOL Press : Comment ces organisations n’ont-elles jamais été interdites par les pouvoirs publics ?
 

François Durpaire : Il faut bien avoir en tête le 1er amendement de la Constitution américaine : « Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour le redressement de ses griefs. » Aux Etats-Unis la liberté d’opinion et d’expression est totale. Toute folie peut être exprimée. On ne peut pas interdire une organisation, aussi raciste soit-elle. Ce que l’on peut interdire et punir ce sont les violences et les lynchages. Il est arrivé que le Klan ait été condamné dans l’histoire mais pour des violences, et non pour ses opinions. Aux Etats-Unis, contrairement à ce qui se passe en France, les propos haineux ne sont pas punis par la loi.

JOL Press : Faut-il voir dans cette affaire un recul du racisme aux Etats-Unis ?
 

François Durpaire : Si l’un des responsables principaux du Klan peut tenir ce type de propos c’est aussi parce que des organisations qui professent un racisme clair et radical ne rencontrent plus le même succès qu’avant. Cela ne veut pas dire que les préjugés raciaux n’existent plus mais ces préjugés se sont transformés et ne sont plus de la même nature. Cet été à Ferguson (Missouri, Centre), quand Michael Brown, ce jeune Noir de 18 ans a été abattu par un policier blanc, qu’ont dénoncé les jeunes ? Le fait que la police soit intégralement blanche, l’attitude des médias, les préjugés plus que le racisme en tant que tel.

John Abarr a conscience de cela mais en cessant les discriminations sur la race, la religion ou l’orientation sexuelle il sape complètement les fondements de son organisation puisque l’identité d’origine de son organisation était le racisme. En acceptant des Noirs le Ku Klux Klan signe son arrêt de mort.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

François Durpaire est historien, spécialiste des Etats-Unis. Il est enseignant à l’université de Cergy-Pontoise. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Que Sais-je ? Sur l’Histoire des Etats-Unis (PUF, 2013) ; Les Etats-Unis pour Les Nuls avec Thomas Snégaroff (First, 2012) ; L’Amérique de Barack Obama (Demopolis, 2007). Son site : www.durpaire.com

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